Photo-graphies et un peu plus…

La première fois que je suis passée devant ces étranges maisons sur pilotis dispersées le long de la Kuhio Hwy, côté océan, au bout du bout du monde sur l’île hawaïenne de Kauai, j’ai tout de suite imaginé le pire : les tsunamis ! Planter sa maison à quelques mètres au-dessus de la mer ne pouvait être qu’une parade à ces vagues géantes, qui s’étaient montrées dévastatrices de l’autre côté du Pacifique… Après discussion avec un autochtone, ma gentille naïveté – pléonasme ? – a pris un nouveau coup. Je n’y étais pas tout. Si les propriétaires de ces jolies bâtisses les avaient hissées vingt pieds sur terre, c’était tout simplement et de façon très pragmatique pour qu’elles soient plus élevées que celles qui se trouvaient entre elles et la vue sur l’océan… Je suis tombée de haut !

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Le Capitaine se redresse et lance, à la volée, en pleine rue : « Mais c’est pas vrai ! » Il s’offusque. Colère instantanée, surprenante car rare. Devant un panneau publicitaire. « Fukushima quand même ! » Face à un slogan surtout. « Ce ne sont pas quelques gouttes qui vont nous arrêter. » Une côte bretonne, une grosse vague passant au dessus de la digue, une estafette bleu électrique venant apporter la lumière à une maison en retrait. Dernière publicité d’ERDF. Le Capitaine a raison. C’est indécent. C’est même pire.

Comment ont-ils pu oser une telle suite de mots quelques mois seulement après le séisme, suivi du tsunami meurtrier, dévastateur et de la catastrophe nucléaire, encore sur les braises, qui ont touché les côtes Pacifique du Japon ? Il faut relire la phrase maintenant, à la lumière de cette brève recontextualisation. « Ce ne sont pas quelques gouttes qui vont nous arrêter. » Faut-il voir plus loin qu’une affligeante erreur de jugement de communicants ne voyant pas plus loin que le bout de leurs cils, donc vraiment pas très loin ? Y a-t-il, derrière cette insolente affirmation, un sous-texte provocateur, un message politico-économique proche du : « Ce n’est pas parce que tout le monde nous tombe dessus en ce moment, que des pays reviennent sur leur parc nucléaire, que la population et les politiques se divisent plus que d’accoutumé sur les questions énergétiques que nous allons baisser les bras, que nous allons réviser notre stratégie. Nous passerons entre les gouttes. La tempête finira bien pas passer. Et nous serons là. Partout sur le territoire. » La juxtaposition avec Eva Joly, dans ce journal ramassé dans une rame de métro hoquetant, n’en est que plus ironique… Et d’une certaine manière, aussi à double sens, compte tenu de sa posture actuelle…

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Est-ce que la fin du monde ressemble à ça ? Si oui, force est de constater qu’elle revêt des atours terriblement attirants… D’aucuns crieront au trucage, à la colorisation maladroite. J’avoue un traitement croisé à l’origine (sur de la vraie pellicule) : des contrastes accentués, des couleurs plus fortes, mais pas de modifications de tonalités ! L’embrasement du ciel était bien réel sur cette plage mordorée puis rougie de la rive sud du Sri Lanka… Le sentiment de petitesse qu’il a fait naître encore plus. Des photos presque oubliées, stockées, comme beaucoup d’autres, dans une quelconque boîte à chaussures, ou peut-être de papier Ilford (le summum du luxe), exhumées et scannées à l’occasion d’un départ.

Quelques années ont passé. Et pendant cet intervalle, ce qui était un spectacle à la beauté à couper le souffle s’est mu en fureur océanique. Un tsunami. Le tsunami. Celui du 26 décembre 2004. Provoqué par le 4e plus fort séisme enregistré dans l’histoire de l’humanité et atteignant jusqu’à l’Afrique du Sud. Sortir ces images de leur cachette ne ravive alors pas seulement les souvenirs vécus, cela soulève aussi une foule de questions sur ce qui ne l’a pas été : cette plage-là a été touchée, c’est certain ; les palmiers joliment balayés par un vent bienveillant ici probablement arrachés… Mais que sont devenues les personnes rencontrées, celles-là dont la maison donnait directement sur la plage ? Ces interrogations sont désormais attachées à ces images comme une abeille sur du miel. Et l’impression initiale de fin du monde prend alors une toute autre tournure…

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