tags: Hawaii, Honolulu, hôtel, humour, immeuble, océan pacifique, plage, tour, Waikiki Beach
A l’origine, l’idée n’est pas vraiment mauvaise. Elle est plutôt bonne d’ailleurs, tout du moins amusante, un petit clin d’œil de voyageur à celui qui l’accompagne pendant son séjour : son guide. Celui de papier. Et l’idée ? Retrouver le lieu et l’angle exact sous lequel a été faite la photo de sa couverture et la faire à son tour. Identification rapide pour celui de l’Ouest américain : le mythique Golden Gate Bridge fait la Une. La photographie est prise quasiment à ses pieds, au sud de la baie, côté Baker Beach, décrite comme une petite plage très agréable dans ledit compère d’errance. Rien de plus facile a priori !
Il suffit de remonter cette longue plage, où une Californienne, que l’on veut croire typique, plonge ses pieds dans les eaux glacées de la célèbre Baie. Dix-quinze minutes de marche à tout casser et l’image est dans la boîte ! Sauf qu’à mi-parcours, les choses se corsent. Tel un mirage, j’ai l’étrange pressentiment que les gens se promenant un peu plus loin sur la plage sont nus comme des vers. L’hypothèse se confirme en avançant. Je marque une pause, ouvre le guide, retrouve le paragraphe consacré à Baker Beach. On n’y parle pas de plage naturiste… Ce qui n’est pas un problème en soi dans la mesure où la tolérance est à double sens et que personne ne réclame aux habillés de se dévêtir pour traverser cette portion de plage où le bronzage intégral est de rigueur. Cela pimente juste un peu le chemin jusqu’à l’objectif de la promenade. Et encore plus lorsque l’un de ces adeptes du simple appareil s’approche avec le sien – photographique – pour demander à ce qu’on le prenne en photo devant le pont. Passée la surprise de la requête – le type n’est pas d’ici, il veut ramener un souvenir de son passage à Baker Beach et évidemment, préfère solliciter quelqu’un en tenue normale car, forcément, c’est bien plus drôle ! -, une question cruciale se précipite rapidement aux portes de l’esprit : à partir de quelle hauteur veut-il être cadré ? Comme çà ? Non, non… Ah, plus bas ! Bien, très bien… Alors, attention, un, deux, trois, le petit oiseau va sortir ! Ah, non, pardon, c’est déjà fait ! Moralité : vouloir reproduire la photo de couverture de son guide de voyage, c’est bien, mais il faut avoir à l’esprit que le hors champ peut réserver quelques surprises !

L’histoire d’une photographie ne s’arrête pas à ce que disent les éléments qui la composent. Une fois faite, la photo est soigneusement rangée dans un sous-dossier, lui-même inclus dans un dossier, à son tour sous-partie d’un méta dossier. Idéalement, quelques mots clés lui sont accolés pour pouvoir la retrouver sans avoir à organiser une partie de Memory (ce que j’aime beaucoup pour ma part). Passées ces louables attentions liminaires, la photo coule des jours heureux et paisibles avec ses camarades de sous-dossier avec lesquelles, peut-être elles s’échangent des points de vue très argumentés sur la perception qu’elles ont, à la fois d’elle-même mais aussi des autres ; sur la manière dont elles ont été capturées : « oh, elle a totalement raté son cadrage ! » ou « C’est joli ce petit reflet qu’elle m’a collé en haut là ! » ou encore « Moi, je suis contente, je sens que je vais en faire rire plusieurs… » puis enfin « Rigolez bien car vous êtes condamnées à passer le reste de votre vie ici ! Elle vous a prises en photo, c’est sûr, mais maintenant, elle vous a oubliées ! Mettez vous bien ça dans le pixel ! »
Cette photo communarde exagère un peu la situation mais n’a pas tort sur le fait que beaucoup de photos ont déjà vécu leur heure de gloire par le seul fait de leur existence. Ce n’est pas une fatalité et certaines échapperont à cet apparent triste sort. Sélectionnées sur des critères changeant chaque jour, certaines seront imprimées pour intégrer un album ou livre photo. Ce qui reste une présentation intimiste, réservée à quelques élus mais cela fait toujours plaisir. D’autres se retrouveront sur des sites internet, des blogs, des réseaux sociaux pour une exposition certes virtuelle mais potentiellement mondiale. Dans des cas exceptionnels, une sélection d’entre elles fera l’objet d’une véritable exposition. J’entends « réelle » avec tirages, cadres et vernissage. C’est l’euphorie sur les murs pour ces images qui se pavanent, toutes émoustillées de l’intérêt que leur portent de parfaits inconnus. Mais il peut encore arriver mieux : qu’une personne ait un coup de cœur, qu’une autre se dise que cette image plaira à tel ou telle, et décide de se la procurer, généralement en l’achetant. Ce sont des choses qui arrivent…
Voilà donc l’heureuse élue comblée de l’être, choisie, mais déjà nostalgique à l’idée de quitter ses camarades à jamais. Une toute nouvelle vie commence alors pour elle, dans un tout nouvel environnement. Une vie a priori sans histoire puisqu’elle devrait être accrochée à un nouveau mur, idéalement vu de tous. Ce n’est pas toujours le cas. La photographie ci-dessus, dont la vie n’a pas été un long fleuve tranquille jusqu’à présent, pourrait aisément le confirmer. Cette photo, tronquée pour les besoins de la démonstration, est un cadeau rapporté d’une ville dévastée par des crises successives à l’allure, aujourd’hui, apocalyptique : Detroit. Une fois achetée, elle a traversé la frontière américaine en direction de Montréal où elle a passé quelques mois à quelques centimètres de moi. De là, dans l’obscurité la plus totale d’une valise bien remplie, elle a parcouru le pays d’est en ouest, s’arrêtant même là où personne ne va – Winnipeg – avant de filer à Vancouver. Elle a alors repris l’air pendant quelques semaines sur un rebord de fenêtre la mettant à son avantage. Et puis, nouveau black out. Retour anticipé à Paris par valise à coque solide. Avec escale. Et malencontreux échange de valide à l’aéroport de Toronto. On croit que cela n’arrive jamais ou, à la rigueur, qu’aux autres, mais c’est possible. Un personne peut vraiment confondre sa valise avec la vôtre et l’embarquer comme si de rien était. Un type a donc confondu une valise noire avec une autre mais identique valise noire. Cela peut s’entendre. Une valise d’une bonne vingtaine de kilos avec une autre d’une dizaine à peine. Là, le doute s’installe : a-t-il vraiment porté sa valise à un moment ? Une valise extrêmement bien rangée, sans perte d’espace donc, avec une valise où tout est en fouillis, vêtements et ours en peluche. Ok, on ne peut pas deviner l’intérieur de l’extérieur…
Après trois jours d’angoisse iconographique, la compagnie aérienne a réussi à négocier l’échange pas standard. La Gare de Detroit est arrivée à bon port. A l’ombre pour quelques mois encore, mais saine et sauve. Les pérégrinations achevées, la valise s’est ouverte et la photo est passée d’une table à une étagère à un mur à une desserte, toujours non encadrée (parce qu’elle se mesure en inches et que nous naviguons dans le système métrique, mais ce n’est qu’une excuse…). Tranquille et vue par tous. Jusqu’à ce terrible matin de juin où j’ai bien cru que c’en était fini pour elle. Tout d’un coup, j’ai entendu un grand « boum » venant d’ailleurs. C’était mon iceberg ! Il venait de tomber du mur de tout son poids… sans pour autant atteindre le sol, ce qui est pourtant la suite logique de tout objet en chute libre… Deux corps ont en effet fait blocage : la desserte, juste en dessous et sur laquelle il a vraisemblablement rebondi – je ne peux que reconstituer la scène n’y ayant pas assisté -, avant de basculer – tel un morceau d’iceberg arraché de la masse mère par le dérèglement climatique et s’écrasant, avec fracas, dans un lac, une mer, un océan – sur un fauteuil courageux, annihilant en une micro-seconde ses envies de destruction glaciaire. Pas un éclat, rien. L’iceberg, une œuvre d’art bidimensionnelle, n’avait rien. Malheureusement, la gare de Detroit se trouvait justement sur le chemin de l’iceberg… En glissant le long du mur, il est donc arrivé au sommet de la Gare, faisant plier puis déchirant la Marie-Louise sous la violence du choc, cassant la photographie dans la foulée et envoyant l’ensemble valser à terre dans un silence de photo blessée. KO en un décroché d’iceberg. Et une nouvelle ligne à ajouter à la biographie de cette gare à la vie haute en couleurs !
Etre au bon endroit est une chose plutôt positive et agréable qui fait éprouver un doux sentiment de satisfaction à celui qui s’y trouve. Y être au bon moment s’avère encore mieux ! Envolons-nous vers le nord-ouest de Kyoto et larguons les amarres à l’entrée du Ryoan-ji. Ce nom ne vous dit peut-être rien mais ce temple abrite le plus célèbre jardin zen au monde et, à ce titre, est inscrit au Patrimoine mondial de l’Unesco. Voilà pour l’introduction touristique. En revanche, vous en avez sûrement vu des images car c’est un fond d’écran très prisé, justement pour la paix et la sérénité qu’il dégage, essentielles lorsque l’on s’apprête à travailler : quinze rochers entourés de mousse verte soigneusement dispersés sur un tapis de petits cailloux strié minutieusement au râteau. Métaphore en minuscule de la Nature : vagues, îles, montagnes… Il faut en effet un peu de calme et de solitude pour pouvoir apprécier toute la puissance de cette installation moderne vieille de plus d’un demi-millénaire, être capable d’entrer dans une phase de méditation et ainsi atteindre un état d’éveil !
Malheureusement, calme et solitude ne sont pas toujours au rendez-vous même si tout le monde a laissé ses chaussures à l’entrée. Réussir à apercevoir lesdits rochers (ils sont 15 en fait) derrière la barrière humaine photographique relève déjà d’un patient exercice de zénitude… Il faut attendre qu’une personne cède sa place pour pouvoir avancer et enfin les découvrir. Ce n’est que la première étape d’un long cheminement. Les trois petites marches qui surplombent le jardin, telles des gradins, sont noires de gens faisant semblant de méditer. L’intention de départ est bonne mais j’ai du mal à croire que cela soit possible dans ces conditions peu propices à l’introspection… Là encore, exercice de patience : les places assises sur les marches se libèrent une à une. Mais que peut-il bien se passer une fois que l’on a réussi à se loger entre deux candidats à l’éveil ? Beaucoup se contentent de prendre des photos (peut-être pour personnaliser leur fond d’écran !), certains se jettent dans leur guide ou fascicule pour en savoir plus, d’autres regardent laborieusement la composition en se disant qu’ils sont bien au bon endroit mais absolument pas au bon moment. Une tradition veut que, quel que soit le point de vue, l’on ne puisse voir que 14 pierres à la fois (effet collatéral : tout le monde les compte pour vérifier : 1, 2, 3, 4… 14 et réalise, qu’effectivement, il en manque une, sauf que ce n’est jamais la même…). Vraisemblablement, le nombre 15 symboliserait l’achèvement, un état connu pour être inatteignable… Les dés étaient donc pipés dès le départ par les facétieux créateurs du Ryoan-ji !
Lorsque l’on prend une photo, c’est parce que l’on a décidé, pour des raisons qui nous sont propres et qui peuvent ne pas être comprises par d’autres, d’immortaliser ce qui se passe sous nos yeux à un instant très précis. Tout est relatif évidemment, l’immortalité pouvant être très éphémère si l’image est ensuite supprimée, pour des raisons qui, à nouveau, nous sont propres. Lorsque l’on prend une photo à un instant très précis, impossible de savoir ce qui va suivre…
Je vois que vous doutez ? Par exemple, prenez deux enfants jouant au ballon sur une pelouse bien tondue. L’un la lance à l’autre. Vous prenez une photo à ce moment-là parce que leurs positions sont plutôt amusantes. Un petit cours de cinétique remonte alors à la surface : vous savez que le ballon va alors suivre une trajectoire définie par plusieurs conditions de départ, force et direction du coup de pied, résistance de l’air, ce genre de choses… En théorie, vous savez donc où sera le ballon à l’instant t+1 etc. En théorie seulement car il peut se passer un nombre phénoménal d’imprévus entre l’instant t et l’instant t+1 qui feront que le ballon ne sera pas là où vous l’avez anticipé : un chien, hors champ, se jette dessus et file à l’autre bout du parc avec ; un pigeon, qui n’avait pas activé son sonar, croise sa trajectoire et c’est le choc ; un tireur à l’arc caché derrière un arbre n’attendait que cet instant pour envoyer sa flèche dans le ballon et stopper sa course… Vous pouvez toujours attendre pour votre cadrage anticipé et vous donner des tapes derrière la tête pour les trois photos exceptionnelles que vous venez de rater…
Bref. En prenant cette vieille dame de dos, immobile au milieu de ce flot continu de visiteurs, je ne cherchais rien d’autre qu’à saisir ce contraste de mouvement. Voilà, c’était tout. Je n’ai toutefois pas baissé ma garde. Comme si je sentais qu’il allait se produire quelque chose. En effet… Après être restée un temps figée, la petite grand-mère semblant tout droit sortie d’un manga s’est mise à pivoter très lentement sur elle-même, jusqu’à se retourner complètement. Elle s’est ainsi retrouvée face à moi, restée bien cachée derrière mon viseur, lançant un drôle regard dans ma direction… Un regard me disant : « hé, hé, je t’ai vue ! » Et bien, pas moi… Tout comme je n’avais pas vu, concentrée que j’étais sur le personnage principal de mon micro-film, la dame cherchant à s’enlever quelque chose dans l’œil en se regardant dans son miroir tigré ni l’échalas en jean et chemise à carreaux absolument statique à côté de la vieille dame au 6e sens…
14 Share on Facebook
Share on Facebook4 Share on Facebook
Share on Facebook7 Share on Facebook
Share on Facebook