Nous nous sommes rencontrés sur un quai de métro. Un matin comme un autre, sur la route du labeur. Rien de bien original donc. Cela a commencé comme ça. Spontanément, il s’est ouvert à moi et ça m’a touchée… Je n’ai pas vu ce temps souterrain passer et lorsque je suis arrivée à ma destination finale, que j’ai dû descendre et donc lui dire au revoir, j’ai eu beaucoup de mal à me focaliser sur autre chose. Heureusement, ayant exactement les mêmes horaires, nous nous sommes donné rendez-vous au même endroit le lendemain matin. Je n’irai pas jusqu’à écrire que j’ai attendu ce moment pendant tout le reste de ma journée, mais je mentirais aussi à ne pas avouer que j’ai pensé à ce qui allait pouvoir advenir ensuite…
C’est donc avec une excitation de jeune fille que j’ai débarqué, le matin suivant, sur ce même quai, pleine d’espoir pour cette relation naissante, et la tête fourmillant de questions. Quels allaient être ses mots aujourd’hui, quelles histoires allait-il me raconter une fois qu’il aurait achevé celle d’hier ? Cette fois encore, ce trajet jadis ennuyeux s’était mu en une subtile et merveilleuse parenthèse. Après quelques secondes, je naviguais dans un autre monde dont je ne connaissais pas les codes. Et plus il se livrait, plus j’avais envie d’en savoir plus, plus les séparations, inévitables, étaient douloureuses. En pensée, nous passions nos journées ensemble. J’ai bien tenté d’entrer en contact avec lui à d’autres moments de la journée, le soir par exemple, mais c’était difficile. Je n’en suis pas spécialement fière, mais autant le dire simplement, c’est une relation cachée chacun d’entre nous ayant sa propre vie.
Evidemment, tout cela est bien frustrant et j’ai souvent rêvé de manquer ma station ou de sécher le travail pour pouvoir prolonger ces instants délicieux. Mais je n’oublie jamais ma station. Quant à me déclarer malade, ce n’est pas mon genre. Je me contente donc de ces interludes matinaux que j’attends avec une indicible impatience. Je suis bien consciente que cette histoire ne pourra durer ainsi éternellement et que ce bonheur volé au temps et à la morosité ambiante disparaîtra aussi vite qu’il est apparu, qu’ainsi dire, il faudra tourner la page. Heureusement, il m’en reste un certain nombre à lire. Et surtout, j’ai un autre tome.
Sur le fameux Walk of fame à Hollywood, il y a deux catégories d’étoiles carrelées : celles autour desquelles tout le monde se presse, se fait prendre en photo et/ou s’extasie en revivant intérieurement le moment où ladite star a effectivement inauguré son étoile – Michaël Jackson, Daniel Radcliffe, Steven Spielberg, Sharon Stone, Will Smith, Woody Woodpecker … – et celles à côté desquelles ce même monde passe sans s’arrêter ou pire, en les piétinant comme si elles n’existaient pas. Il ne s’agit pas là de dénigrement, seulement d’ignorance : le nom inscrit en lettres d’or au centre de l’étoile ne résonne plus ni dans le cœur ni dans l’esprit des visiteurs d’un XXIe siècle à la mémoire cinématographique courte et sélective. Has been. Raison plus que suffisante pour s’attarder sur ces étoiles abandonnées ne recevant plus aucun regard admiratif depuis des lustres ou pas d’ailleurs.
Ainsi en est-il de Doris Roberts, que l’on ne confondra pas avec Julia, toute seule sur son bout de trottoir noir pailleté réfléchissant les éclairs de notre astre brillant. Doris pas Julia même si Julia a été Viviane, qui a arpenté un bout de trottoir voisin. Le coup de projecteur est fortuit, motivé par cette injustice faisant rage sur ces quelques mètres linéaires : je ne sais pas qui est Doris Roberts, j’en sais donc autant sur sa vie d’artiste, c’est-à-dire rien. D’abord, née en 1930, Doris Roberts, actrice de télé, cinéma et de théâtre, est toujours vivante. C’est une information importante. Elle dira d’ailleurs sûrement quelque chose aux amateurs de la série comique « Tout le monde aime Raymond » (Everybody loves Raymond en VO) pour lequel elle a remporté 4 Emmy Awards – même si la probabilité pour que ces derniers tombent sur cette page est assurément minime -, son plus grand succès en 60 ans d’une carrière ininterrompue. Il est aussi dit dans sa bio qu’elle a écrit un livre de cuisine avec une autre personne, littéralement « As-tu faim chéri ? Vie, rires et lasagnes », tout un programme alimentaire sur lequel je ne m’étendrai pas ! Et on sait, depuis le récent L’homme invisible, ce que signifie réellement ce subtil « écrit avec »… Enfin, Doris Roberts, très impliquée dans des œuvres humanitaires, vit actuellement dans une maison anciennement possédée par James Dean. Au sens premier du terme. D’ailleurs, il a une étoile, James Dean ? Oui, au 1719 Vine Street, autant dire, du côté des oubliés…
Un bocal – sans poisson rouge – débordant de boutons – multicolores donc rouges par moments, la lumière n’ayant pas encore eu raison de leur teinte -, comme ça, pressé contre la vitrine d’une retoucheuse du 4e arrondissement, l’air de rien, ultimes souvenirs de jupes à carreaux, vestes à rayures, robes à pois, pantalons zébrés, chemises à fleurs savamment démantibulés et transformés en chiffons après une bataille sans merci avec des mains sachant pourtant être délicates… Imaginez un peu les histoires qu’ils se racontent ainsi les uns contre les autres dans une promiscuité qui devrait aider les utilisateurs de la ligne 13 à relativiser quelque peu leur condition quotidienne (parisian joke, pardon !).
Ce qui ne transparaît pas ici est la guerre intestine qui se joue entre les boutons au sein même du bocal. Chaque matin, depuis 16 ans, un enfant de l’école voisine est invité par madame la retoucheuse à plonger sa main dans la masse constamment alimentée afin de la retourner et de faire bouger les lignes de front. Tous font ce geste à la fois avec délectation et sérieux comme si c’était le plus important de leur courte journée. Au même moment, une grappe de camarades se bouscule de l’autre côté de la vitre pour assister au spectacle sans cesse renouvelé de la rotation des boutons, comme celle des manchots sur la banquise en hiver. Il faut les voir se pousser les uns les autres, les boutons, les petits, les grands, les en plastique, les en tissu, tout ça, pour accéder à ce quart d’heure de célébrité promis à tous, même aux boutons, par Andy Warhol, et pouvoir se retrouver ainsi, le temps d’une journée, sous le feu des projecteurs ! On tient le fil ! Coupez !
La vie des bibliothèques nord-américaines est légèrement différente de celles que j’ai pu aborder en France. J’entends, les prestigieuses, les nationales, les grandes… Je dirais, moins solennelles. Ce qui n’implique pas que chacun n’y respecte pas le périmètre de son voisin. Ceci dit, les bibliothèques nord-américaines sont tellement grandes que le voisin, parfois, c’est un peu comme dans les prairies du Saskatchewan, il faut bien chercher pour les trouver. Un point commun malgré tout, ici comme là-bas et réciproquement, les bibliothèques regorgent de pages noircies. C’est leur raison d’être. Des romans, des revues, des guides, des thèses, des livres d’art, d’informatique, sur la faune, la flore, et même sur les bibliothèques elles-mêmes et l’écosystème qui s’y développe petit à petit comme la vie dans une boîte de Pétri (Julius de son prénom, mais rien à voir avec la chanteuse qui demande à Eve de se lever)…
Parmi ces livres, il y a une catégorie très particulière : celle des livres que l’on « doit avoir lu pour être un homme » sur cette planète où les terres cultivables s’amenuisent chaque jour. Vous savez, ces livres auxquels il est fait régulièrement référence comme s’il s’agissait d’un Martine et qui peuvent mettre mal à l’aise ceux qui ne les ont pas lus et se retrouvent piégés dans une conversation où leur seul espoir est de réussir à faire illusion. Bref, il y a quelques semaines, j’ai décidé que l’Ulysse de James Joyce faisait partie de cette liste d’incontournables, persuadée qu’après l’avoir ingurgité, je me sentirai mieux. Non, je n’ai pas lu Ulysse. La bête m’est arrivée par avion. Colis spécial. Je ne réalisais pas, je pense, l’ampleur de la tâche qui m’attendait en me lançant dans cette aventure livresque. Catégorie F16 chez Folio. Je suis sûre qu’ils l’ont créée exprès pour cette masse ! 1172 pages. Je vous épargne les couvertures. 5 cm d’épaisseur. 622 g (super pour faire quelques exercices musculaires à tout moment de la journée).
La première phrase ? « En majesté, dodu, Buck Mulligan émergea de l’escalier, porteur d’un bol de mousse à raser sur lequel un miroir et un rasoir reposaient en croix. » Prometteur. Et la dernière ? Non, je ne peux pas, elle fait 67 pages, si cette règle que l’on apprend en primaire selon laquelle une phrase commence par une majuscule et se termine par un point est toujours d’actualité. Je n’y suis pas. Loin de là. Car pendant plusieurs jours, cela a plutôt une longue odyssée pour ce livre, bringuebalé dans mon sac partout où j’allais. De temps en temps, je l’en sortais croyant être prête à lire cette première phrase, puis feignais d’avoir autre chose à faire de plus urgent. Et puis, un jour, je me suis lancée. J’ai ouvert et j’ai lu 39 pages d’un coup. Et puis, un autre jour, aujourd’hui en l’occurrence, je suis tombée sur un lien. Celui de la liste selon Esquire des 75 livres qu’un homme doit avoir lu. Chic. Alors, j’ai cliqué sur le lien, et j’ai passé en revue couvertures et titres. C’est en arrivant vers les 10 derniers que mon palpitant s’est mis à battre un peu plus vite et que j’ai eu un pressentiment : Ulysse n’allait pas avoir sa place dans ce best of… Et effectivement, point d’Ulysse à l’horizon. Bon, je fais quoi moi maintenant avec mon 3 en 1 ?
Si l’apparition du numérique a fait exploser le nombre de photographies prises dans le monde… Que dis-je, exploser… Quel terme pourrait être approprié pour évoquer les quelque 600 à 800 milliards de photos numériques créées chaque année (difficile à croire mais la source est officielle) ? Je poursuis… Si donc, l’apparition du numérique a fait ?fgjhr?x+! le nombre de photographies créées dans le monde, un autre phénomène a conduit à celle d’un certain genre de photo : l’autoportrait. Pas l’autoportrait travaillé, recherché, réfléchi, avec mise en scène, travestissement, démultiplication voire transformation, à la, au hasard, Cindy Sherman, Dali, Claude Cahun ou Gilbert Garcin, non, le simple et classique autoportrait pris à bout de bras. Une main sur l’appareil ou deux, c’est selon.
On lui sourit, on se donne l’air heureux, on arrange un peu ses cheveux, on fait attention à l’arrière plan… Vraiment, on fait au mieux pour se mettre à son avantage et on déclenche. Clic clac. Instantanément, on retourne l’appareil et on visualise la photo réalisée. Si ce premier essai n’est pas à la hauteur de nos espérances (totalement indépendantes du mieux que l’on peut faire avec soi-même), ce n’est pas grave, on recommence – les ratés ne coûtent pas cher en numérique – jusqu’à ce que nous montre l’écran nous satisfasse. Ils sont partout, les adeptes de ces autoportraits, à faire les yeux doux à leur boîte à images… Dès que le soleil se lève, leur bras accompagne le mouvement… Sous cet angle, c’est pas mal aussi… Allez une autre !
Evidemment, ces zozoportraits ne sont pas destinés à dormir et à se laisser oublier dans un coin d’un disque dur externe qui lui-même, bientôt, ne sera plus lisible… Ce qui nous conduit au second phénomène : le boom des réseaux sociaux, en tête desquels l’inévitable Facebook. Facebook et ses photos de profil (souvent de face d’ailleurs), que d’aucuns s’amusent à changer régulièrement au gré de leurs humeurs, de l’évolution de leur coupe de cheveux, de la météo, de leur dernière destination de vacances… Facebook et les photos que chaque membre du club le moins élitiste de la terre peut télécharger, livrant aux amis, amis d’amis, amis d’amis d’amis que l’on ne connaît déjà plus (car, avec FB, c’est un peu comme dans Tintin, « les amis de mes amis sont mes amis ») des photos initialement personnelles… Un autre chiffre donne d’ailleurs le ton : 6 milliards de photos sont téléchargées sur FB chaque mois, et d’ici cet été, le site pourrait constituer une photothèque de 100 milliards d’images !
Tout s’explique ! Ainsi des milliards de bouts de vies défilent-ils devant nos yeux, comme une histoire du monde à lire en continu. Evidemment, ces autoportraits facebookiens ne peuvent se passer de commentaires « amicaux ». Ils les appellent même comme la terre sèche attend la pluie… « L’histoire de l’autoportrait est longue et séduisante » proclame la 4e de couverture de L’art de l’autoportrait (Omar Calabrese, Citadelles). Un révélateur (sans jeu de mot) des pratiques artistiques et sociales d’une époque. La nôtre ? A un cheveu près, un poil narcissique !
La réponse est oui, tous ces points de couleur sont des chewing-gum ! Et oui encore, ils sont bien collés sur des pans de murs entiers… Et oui enfin, c’est totalement dégoûtant ! On ne peut s’empêcher néanmoins d’être, beurk, fasciné par ces gommes mâchouillées par des centaines de milliers de dents appartenant à des bouches baveuses de visiteurs d’un jour ou de toujours, et collées les unes sur les autres, les unes à côté des autres, les unes dans les autres… Beurk bis repetita. Le Gum Wall, c’est son nom, est ainsi l’une des curiosités touristiques les plus pathogènes de Seattle. Et probablement du monde. J’étais prévenue. Même si sceptique. J’avais des instructions pour le trouver. Encore qu’un odorat un peu fin aurait probablement permis de repérer d’assez loin l’odeur artificielle si caractéristique de ces machines à produire de l’air…
On s’en doute à voir, ou plutôt, à ne plus voir le mur, la tradition ne date pas d’hier. Les petites boules s’entassent ainsi depuis 18 ans ! Nous allons bientôt pouvoir lancer des recherches archéologiques d’un nouveau genre ! Et une carotte de chewing-gum, s’il-vous-plaît, une ! « Hum, celui-ci remonte à 2002. En analysant ces poussières trouvées au milieu, je peux même affirmer qu’il a été collé sur le mur le 12 novembre… Quant à l’analyse ADN, elle nous révèle que le mâcheur était blond et qu’il n’avait probablement plus sa 2e prémolaire droite (déduction de la trace des dents laissée sur la gomme, aucun rapport avec l’ADN). » Pour la petite histoire, car on n’accroche pas son chewing-gum sur un mur, comme ça, sans raison, le dit mur appartient à un théâtre, dont on voit, beurk ter, encore, le guichet… Attention où vous posez vos affaires quand vous prenez une place ! Un jour d’attente un peu longue, un futur spectateur a eu une idée de génie (Seattle, c’est écrit noir sur blanc dans les guides, est une ville d’inventeurs de génie… Microsoft est né là, Starbucks aussi… je cite leurs exemples… reste à définir le génie… bref…)… L’idée de génie donc : « J’en ai marre d’attendre. Et si je créais un mur de chewing-gum, tiens ! Ce serait beau et tellement absurde et insensé que tout le monde me suivrait ! » Il avait raison sur la 2e partie de l’assertion… Pour la première, il faut simplement faire abstraction de la réalité, ce qui n’est pas tous les jours facile, il faut bien l’admettre. Voilà, des gens ont ainsi commencé à coller leur chewing-gum, en y coinçant une petite pièce jaune (pas d’opération de récupération pour l’instant), alors qu’ils faisaient (im)patiemment la queue devant le théâtre. Théâtre qui a nettoyé le mur à deux reprises, avant de laisser la nature masticatoire de l’homme faire son travail devant le succès grandissant de l’œuvre d’art collaborative. Et même de l’encourager en vendant lui-même des boules de gomme à mâcher bigarrées… Hé, on est en Amérique !
Il y a beaucoup de questions auxquelles nous n’avons pas, à titre individuel, de réponse. Je ne parle pas des récurrentes « qui suis-je ? », « où vais-je ? », « mais qui a changé la place du sel ? ». Des choses plus faciles : « quelle est la capitale du Malawi ? », « qui a réalisé « Le père noël est une ordure ? », « quelle mer se trouve au sud des Philippines ? »… Un mélange de questions jaune et rose au Trivial Pursuit, par exemple. Mais, même si nous ne connaissons pas les réponses à ces questions-là, nous savons qu’elles existent, qu’elles sont simples et uniques. Lilongwe, Jean-Marie Poiré, la mer de Célèbes.
Parmi ces questions ne sondant que les abysses de notre inculture, il arrive que certaines soient de véritables colles. Cela dépasse le simple fait de savoir ou pas. C’est donc légèrement déstabilisée que j’ai accueilli cette question pourtant légitime : « Qui a découvert la France et quand ? » Lorsque la question est posée par une canadienne, sur une île officiellement découverte en 1534 par Jacques Cartier (les Micmacs – qui n’est pas le nom d’un double burger prononcé par un enfant ni un ensemble de mauvaises intrigues, mais une tribu amérindienne – y vivaient déjà) et aujourd’hui composée essentiellement d’une population descendant d’irlandais, d’anglais, d’écossais, d’acadiens, cela a du sens. Et la réponse que je me suis piteusement entendue bredouiller, après avoir remué le peu qu’il restait de mes cours d’histoire, est : « euh, je ne me suis jamais posé la question en ces termes ; c’est comme si la France, qui n’était pas la France d’aujourd’hui, avait toujours été là ». Même si la bêtise de ma réponse m’est apparue sitôt après l’avoir prononcée, je n’ai pas réussi à la retenir. Les premières traces d’hommes (préhistoriques) en « France » remontent à 1 Mo d’années. Des Homo erectus venant d’Afrique. Il serait donc juste de dire qu’ils ont découvert la « France ». Mais que sous-entend réellement le mot « découvrir » ? Jacques Cartier est le découvreur officiel d’une terre qui était déjà habitée par les Indiens, les peuples des Premières Nations comme on dit aussi, qui auraient posé le pied en Amérique il y a au moins 40 000 ans via le Détroit de Béring alors gelé. Tout est relatif et la découverte ne vaut que pour les ignorants. Malheureusement, l’ignorant se croit parfois supérieur, se sentant alors obligé d’effacer et/ou d’avilir, les traces de vie antérieures à son arrivée…
Celle-là, j’ai réussi à l’attraper avec mon épuisette à papillons il y a quelques jours à peine. Ni trop courte, ni trop longue, exactement la taille nécessaire pour se prendre correctement dans le filet. Je l’avais vu passer il y a quelques années déjà, mais dans la précipitation, elle m’avait échappée… Le stress… Ce n’est effectivement pas tous les jours que des expressions paradoxales se présentent à nous. Ainsi en est-il des « 4 coins du globe » ou, parfois, « de la planète » qui, nous le savons depuis Aristote et même Platon, c’est-à-dire il y a très très longtemps (IVe siècle avant JC), est ronde. Patatoïde en fait, ou plutôt aplatie aux pôles, ce qu’ont montré plus récemment les images satellites. Certains l’ont imaginé plate ou ayant la forme d’un cylindre avec deux faces plates et une certaine épaisseur, d’autres qu’elle était accrochée à un pilier pour ne pas tomber… A quoi était lui-même fixé le pilier, l’histoire ne le dit pas…
Et quel est le point commun entre un disque et un cylindre, les deux formes pressenties pour notre planète ? Ils n’ont pas d’angles ! Or, en l’absence d’angles, nous pouvons conclure en celle de coins. Et en l’absurdité d’une expression comme « les 4 coins du globe », même si ledit globe comporte quelques petits coins de paradis… C’est toute la subtilité de la langue française. A la fois sur le coin et sur le paradis, dont il faudrait alors discuter de l’existence, ce qui nous mènerait probablement très loin. A des années lumières d’ici. Qui, contrairement à ce que l’on pourrait croire, n’est pas une durée mais une distance… Bref, tout comme la Terre n’a pas de sens, elle n’a pas de coins non plus. Mais cela se complique… Dans l’ancienne cosmologie chinoise, le ciel était rond et la Terre carrée. Ce qui change tout. Car, le carré est très précisément connu pour la perfection de ses angles, droits. Ainsi, à cette époque reculée, aller aux 4 coins du globe pouvait avoir un sens, indépendamment du fait que la Terre n’a pas de sens donc, et qu’un globe, que la Terre soit ronde ou carrée, reste un globe, comme l’œil. Imaginons-nous, par exemple, quelques instants, avec les yeux carrés ou cubiques. Il nous serait alors impossible de « rouler des yeux ». Ce serait dommage ! Revenons à la cosmologie chinoise… Le rond du ciel était circonscrit dans le carré terrestre de telle sorte que les quatre coins de la Terre n’étaient pas recouverts par le ciel et étaient perçus comme des « territoires incultes peuplés d’êtres non civilisés » (cette analyse semblerait provenir du sinologue Michel Granet). Contrairement à aujourd’hui, se rendre aux quatre coins du globe à cette époque n’était donc certainement pas très positif et glorieux puisqu’il s’agissait d’aller à la rencontre de sauvages. Ceci dit, l’autre est toujours un peu un sauvage pour soi… Même si c’est encore un abus de langage ! Quant à savoir si cette expression vient de l’empire du milieu, je n’en ai fichtre aucune idée !
L’autre jour, dans le métro, j’ai eu l’impression de reconnaître quelqu’un. Quand on prend tous les jours la même ligne, à peu près aux mêmes heures, il n’y a rien d’étonnant à cela. C’est même logique. Sauf que je ne prends pas le métro tous les jours et que j’ai croisé cette personne, j’en suis sûre maintenant, à des heures et sur des lignes différentes. Elle aurait donc pu passer totalement inaperçue, ce qui est le cas de la grande majorité des personnes à côté desquelles nous marchons dans notre vie. Mais, elle, on ne pouvait que la remarquer. A chaque fois, ce petit bout de femme d’une quarantaine d’années était assise dans un sas à 4 places et en occupait deux. Non qu’elle en imposait, mais parce qu’elle transportait toujours avec elle une pile de livres, une boîte de biscuits ou gâteaux et un thermos avec du thé. Je n’ai d’ailleurs jamais vu ses yeux, toujours rivés sur les lignes d’un livre. On l’entendait simplement rire parfois, on la voyait aussi se tamponner les yeux avec son mouchoir en tissu… Tout le monde respectait cela et personne ne lui a jamais demandé de débarrasser ses affaires. Bien évidemment, elle avait la présence d’esprit – même si cette attitude la faisait souvent passer pour une douce illuminée (il m’était déjà arrivé plusieurs fois d’en parler avec d’autres voyageurs et chacun y allait de son hypothèse) – de ne pas prendre le métro aux heures de pointe. Mais la raison du rituel continuait à m’échapper.
Aussi, après une bonne vingtaine de rencontres fortuites, je me suis décidée à lui poser la question. Pour comprendre. Je fais partie de ces personnes qui croient qu’il y a toujours des raisons aux choses, et qu’il existe peut-être même des raisons aux raisons…
– Excusez-moi ? (quelle étrange habitude que de s’excuser avant d’engager toute conversation avec un inconnu !)
Je suis obligée de répéter ma question deux fois en m’approchant à chaque fois un peu plus d’elle car elle est totalement absorbée par sa lecture et n’est sûrement que très rarement, si ce n’est jamais, importunée lors de ses voyages. Elle lève enfin les yeux, mais pas la tête, déjà prête à retourner dans son livre… Hum… « A la recherche du temps perdu » aujourd’hui. Rien que cela.
– Puis-je vous poser une question? je tente.
Sitôt, un léger sourire apparaît sur son visage. Elle prend machinalement un marque-page attendant son heure sur le siège à côté, le place à la page 232 du tome 2 en prenant soin de le faire légèrement dépasser pour retrouver rapidement sa page une fois l’intermède fini.
– Oui ! lâche-t-elle comme si elle s’apprêtait à faire un 100 mètres.
– Que faites-vous ? Je veux dire… Je bafouille. Tout d’un coup, le ridicule de la situation me saute aux yeux, mais il est déjà trop tard… Je reprends. Cela fait plusieurs fois que je vous vois dans le métro, à lire…
– Tout le monde lit dans le métro, m’interrompt-elle, sachant bien que cette réponse ne me satisferait pas.
– Certes. Mais, il y a lire et lire, lui dis-je en montrant son thermos, ses livres et ses gâteaux du regard.
– Il y a quelques années, j’ai choisi de travailler chez moi. Du jour au lendemain, je n’avais plus à prendre les transports ! Un vrai bonheur ! Sauf qu’au bout de quelques mois, j’ai réalisé que je n’avais pas ouvert un seul livre depuis ce changement et que ça me manquait… Parce que, comme beaucoup justement, je lisais essentiellement dans les transports ! Et j’adorais lire dans le métro. J’ai retourné le problème dans tous les sens et ai fini par me dire que la seule façon de reprendre la lecture était de prendre à nouveau les transports. Pas avec le but d’aller quelque part cette fois-ci, mais d’y faire quelque chose : lire. Je conçois que cela soit étrange, mais j’y ai trouvé mon équilibre. Je continue à travailler de chez moi, donc suis libre d’organiser mes journées comme je le souhaite. Alors, voilà, chaque jour, je me pose dans un wagon pour lire…
Je ne m’attendais pas à ce que l’explication, quelle qu’elle soit, sorte aussi facilement et aimablement. Je suis presque déçue.
– Et vous restez dans la même rame ?
– Oui, oui ! Les chauffeurs ont l’habitude de me voir maintenant et ils ne m’obligent plus à sortir au terminus. Les pauses sont parfois longues au garage d’ailleurs avant que le métro ne reparte dans l’autre direction… C’est assez étrange. Au bout de deux, trois allers-retours, je range mes affaires et je sors, rassasiée !
– Mais, pourquoi ne pas vous installer dans votre canapé, chez vous, ou dans un café ? C’est plus confortable que le métro !
– J’ai essayé. Il n’y a pas assez de bruit, ou alors, pas les bons, pas assez de mouvement. J’aime bien être ballotée. Cela rythme la lecture… Vous savez, quand on prend l’habitude de faire quelque chose dans un certain environnement, il devient très difficile de le faire ailleurs. Cela fait 4 ans que je fais cela et je n’ai jamais aussi bien et autant lu…
Sur ces derniers mots, elle m’a regardée avec le même sourire qu’au début de notre échange, clignant rapidement des yeux, puis a plongé sa main gauche dans un sachet marron opaque et en a sorti deux petites madeleines maison desquelles s’échappait une douce odeur de vanille.
Un matin neigeux. Aucun arc en ciel à l’horizon et pourtant, une mélodie sort de moi encore et encore. Et je n’ai même pas vu LeMagicien d’Oz. Pour tout dire, je ne sais pas vraiment d’où elle sort. Over the rainbow donc. C’est donc cette histoire d’espoir d’un monde coloré, de peines perdues au loin derrière les nuages, de soucis qui fondent comme des boules de glace au citron (si, si), de rêves qui deviennent réalité qui passe en boucle dans ma bouche. Bien sûr, je ne fais que fredonner l’air multicolore et ne découvre que maintenant les paroles de cette chanson créée en 1939 pour Judy Garland. Pour rompre le fil – je ne peux décemment pas rester avec cette chanson accrochée à moi toute la journée -, je décide de tenter l’overdose en l’écoutant en boucle. Direction le site du requin qui groove. Je tapote les quelques lettres du titre et là, s’ouvre devant moi, une liste d’interprétations que j’étais à mille lieues de soupçonner. Un véritable exercice de style ou un bizutage de chanteur ?
Le désir de se défaire de l’arc en ciel se mue en expérience musicale : écouter toutes les interprétations proposées. Une petite cinquantaine au bas mot, Ray Charles, Jewel, Tom Jones, Aretha Franklin, Cosmic Gate, Israël Kamakawiwo’ole, Rufus Rainwright, Barbra Streisand, Beyoncé, Nina Hagen, Jimmy Hendrix, Elvis Presley, Tom Waits, Melody Gardot et j’en passe donc. Il y en a pour tous les goûts, de toutes les époques – jusqu’à 2010 avec Jeff Beck -, de tous les styles musicaux – jazz, techno, électronique, instrumental, ukulele, soul, lyrique, folk… -, des fidèles à l’originale, des déjantées, des inspirées, des amusantes (involontaires je présume), des passionnées, des traduites, des perchées… A chaque fois, la structure et les paroles sont respectées, mais tout le décorum change. Réinventer un classique n’est pas aisé et certains se donnent du mal pour se démarquer. Ecouter ces différentes versions, c’est aussi un peu parcourir l’histoire des courants musicaux de ces 70 dernières années… Cela n’est pas sans me rappeler le couple formé par le négatif et le tirage en photo. Si le négatif est unique – les paroles, la structure -, les tirages – l’interprétation – eux, faits ou pas par la même personne, peuvent se multiplier à l’infini, offrant ainsi des approches totalement différentes d’une même image. Le passage au numérique ne fait qu’étendre le champ des possibles. Mais, d’un certain point de vue, il est aussi réconfortant de constater qu’un tel appel à un monde idéal empli d’amour et de joie – ça a quand même un petit goût de sucre d’orge non ? – a pu être le point de convergence et de ralliement de personnes a priori si opposées les unes des autres…
En pratique, toutes les photos figurant sur ce site sont en vente. N'hésitez pas à me contacter pour plus de renseignements !
Un tour du Soleil en duos : 6e année en cours
Pour (re)découvrir en un clin d’œil et sur une seule page les micro-histoires photographiques publiées en ces lieux virtuels :
- entre le 22/02/2010 et le 22/02/2011, voici Un tour du Soleil en duos…
C’est bien beau de philosopher sur le temps qui existe ou pas, le savoir et l’ignorance, les icebergs et les albatros, revenons-en aux faits ! 1106 cas de COVID-19 en tout en Nouvelle-Zélande, dont 39 nouveaux et 28 probables depuis hier. Sur ces 67 cas, 20 concernent des clusters déjà identifiés et surveillés de près. […]
… adossée à la surface, on y vient à fleur d’eau, on ne frappe pas, ceux qui vivent là, ont jeté la clé… Et pour cause, ils ont été chassés. Ce n’est pourtant pas l’histoire que l’on a envie d’entendre lorsque l’on zigzague le coeur léger entre les pitons rocheux et que l’on s’approche de ces […]
15 nouveaux cas hier dont 11 dans des clusters surveillés de près. Le plus important, de 92 personnes, est lié à un mariage organisé dans la ville la plus au sud de l’Ile du Sud. Autant dire, au bout du monde. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous sommes allées à Slope Point en mars, […]