Photo-graphies et un peu plus…

Chaque matin, je passe devant l’enfilade d’agences immobilières de la rue voisine quasiment accolées les unes aux autres, à croire que tout le quartier est à vendre. Je jette un regard discret aux annonces en les lisant partiellement – mon œil est plus attiré par les photos et les prix indécents qu’ils affichent que par les descriptifs des biens présentés – et poursuit mon chemin en m’insurgeant contre la surenchère de la pierre parisienne. Ce matin était différent des autres. Dans mon balayage systématique, je tombe sur mon appartement : « grand 3 pièces en duplex au dernier étage, très lumineux, séjour cathédrale, chambre sur cour, cuisine ouverte, dans immeuble très calme. Ascenseur. Prévoir rafraîchissement. » Les photographies choisies pour illustrer le petit texte viennent prouver ce qu’il prétend. Le tout est idéalement mis en valeur dans la vitrine et se détache assez rapidement des autres annonces du moment. Une position qui me satisfait entièrement – j’ai finalement compris que pour se faire remarquer, il fallait se démarquer – et m’incite à croire que les visites seront nombreuses. Un raisonnement sans faille jusqu’à ce que je réalise avec effroi son inanité : je n’ai pas mis mon appartement en vente…

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Après avoir frôlé maintes fois la crise cardiaque, revu en accéléré les pires scènes des Oiseaux en voyant ces hordes de pigeons fondre insolemment sur lui comme s’il n’existait pas, Bastien avait décidé, à son corps défendant, d’utiliser les grands moyens. Il n’en était pas très fier, mais c’était la seule solution qu’il avait trouvée avec les moyens dont il disposait. Un matin bien remonté, il s’était rendu à la droguerie résistante de son quartier et en était ressorti, le sourire en coin, avec une grande vitre translucide en plexiglas épais. Certes, il avait rencontré quelques difficultés à se déplacer dans les rues avec ce morceau d’1m50 sur 1m20, mais rien, à ce moment précis, ne pouvait l’arrêter. Et il avait ainsi filé, presque tête baissée, vers cette maudite place où les pigeons avaient pris l’habitude de le narguer en faisant du rase-motte par dizaines à chaque fois qu’il se mettait à lire la rubrique nécrologie de son quotidien.

Il s’y était planté, au même endroit que la veille et l’avant-veille, avait dressé sa paroi invisible devant lui et s’était mis à compulser sa feuille de chou. Un œil sur les lignes de texte, un autre vers le ciel, il n’attendait qu’une chose : que ses visiteurs ailés zélés, dans leur élan d’aviateur, viennent s’écraser lamentablement sur cette surface qu’ils ne pouvaient voir et y glisser jusqu’au sol… Mais, les bêtes avaient senti le piège, elles avaient soigneusement contourné l’obstacle au dernier moment par des loopings rivalisant avec ceux d’un Spitfire SuperMarine, et, désormais de l’autre côté de la vitre, formant une escouade resserrée, elle s’étaient propulsé vers un Bastien tétanisé… qui avait eu, malgré sa peur, le réflexe de passer de l’autre côté de la vitre, chose que les pigeons, qui ne sont que des pigeons, n’avaient pas vu. Et ce que Bastien attendait arriva finalement…

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La vie des bibliothèques nord-américaines est légèrement différente de celles que j’ai pu aborder en France. J’entends, les prestigieuses, les nationales, les grandes… Je dirais, moins solennelles. Ce qui n’implique pas que chacun n’y respecte pas le périmètre de son voisin. Ceci dit, les bibliothèques nord-américaines sont tellement grandes que le voisin, parfois, c’est un peu comme dans les prairies du Saskatchewan, il faut bien chercher pour les trouver. Un point commun malgré tout, ici comme là-bas et réciproquement, les bibliothèques regorgent de pages noircies. C’est leur raison d’être. Des romans, des revues, des guides, des thèses, des livres d’art, d’informatique, sur la faune, la flore, et même sur les bibliothèques elles-mêmes et l’écosystème qui s’y développe petit à petit comme la vie dans une boîte de Pétri (Julius de son prénom, mais rien à voir avec la chanteuse qui demande à Eve de se lever)…

Parmi ces livres, il y a une catégorie très particulière : celle des livres que l’on « doit avoir lu pour être un homme » sur cette planète où les terres cultivables s’amenuisent chaque jour. Vous savez, ces livres auxquels il est fait régulièrement référence comme s’il s’agissait d’un Martine et qui peuvent mettre mal à l’aise ceux qui ne les ont pas lus et se retrouvent piégés dans une conversation où leur seul espoir est de réussir à faire illusion. Bref, il y a quelques semaines, j’ai décidé que l’Ulysse de James Joyce faisait partie de cette liste d’incontournables, persuadée qu’après l’avoir ingurgité, je me sentirai mieux. Non, je n’ai pas lu Ulysse. La bête m’est arrivée par avion. Colis spécial. Je ne réalisais pas, je pense, l’ampleur de la tâche qui m’attendait en me lançant dans cette aventure livresque. Catégorie F16 chez Folio. Je suis sûre qu’ils l’ont créée exprès pour cette masse ! 1172 pages. Je vous épargne les couvertures. 5 cm d’épaisseur. 622 g (super pour faire quelques exercices musculaires à tout moment de la journée).

La première phrase ? « En majesté, dodu, Buck Mulligan émergea de l’escalier, porteur d’un bol de mousse à raser sur lequel un miroir et un rasoir reposaient en croix. » Prometteur. Et la dernière ? Non, je ne peux pas, elle fait 67 pages, si cette règle que l’on apprend en primaire selon laquelle une phrase commence par une majuscule et se termine par un point est toujours d’actualité. Je n’y suis pas. Loin de là. Car pendant plusieurs jours, cela a plutôt une longue odyssée pour ce livre, bringuebalé dans mon sac partout où j’allais. De temps en temps, je l’en sortais croyant être prête à lire cette première phrase, puis feignais d’avoir autre chose à faire de plus urgent. Et puis, un jour, je me suis lancée. J’ai ouvert et j’ai lu 39 pages d’un coup. Et puis, un autre jour, aujourd’hui en l’occurrence, je suis tombée sur un lien. Celui de la liste selon Esquire des 75 livres qu’un homme doit avoir lu. Chic. Alors, j’ai cliqué sur le lien, et j’ai passé en revue couvertures et titres. C’est en arrivant vers les 10 derniers que mon palpitant s’est mis à battre un peu plus vite et que j’ai eu un pressentiment : Ulysse n’allait pas avoir sa place dans ce best of… Et effectivement, point d’Ulysse à l’horizon. Bon, je fais quoi moi maintenant avec mon 3 en 1 ?

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La photo de route, un genre en soi, que l’on soit conducteur ou passager ? « Faire de la route » peut en effet conduire à voir des paysages qu’en d’autres circonstances, par exemple pédestres, l’on immortaliserait. La route. Parfois véritable tranchée dans un paysage uniforme dont on se lasse assez rapidement (ou pas). Parfois chemin serpentant à travers des espaces vallonnés laissant, à chaque virage, entrevoir de magnifiques et inédites perspectives. Le paysage. Parfois, il nous accompagne des kilomètres durant, laissant à chaque observateur, le temps de bien s’en imprégner. Parfois, ce qui attire l’œil est furtif, presque subliminal. Une petite rivière gelée en contrebas s’enfonçant dans des bois épars, des chevaux dont la silhouette se dessine au sommet d’une colline… Le temps de les montrer aux autres et il a déjà disparu.

Trois solutions se présentent à soi : avancer et garder en mémoire ces espaces admirés ; s’arrêter – ce qui peut difficilement se faire sur une autoroute sauf si l’on se trouve au Nouveau Brunswick notamment – pour rattraper au vol cette image filante – une opération qui peut se répéter un certain nombre de fois dès lors que l’on s’est auto-autorisé à le faire une fois ; et enfin, déclencher, tant bien que mal, depuis derrière la vitre, soit en confiant le volant au copilote pendant quelques secondes lorsque l’on est conducteur (si, si) tout en veillant à ne pas accélérer car la scène est vraiment exaltante, soit, plus simplement, parce que l’on est passager et porté par un flux sur lequel on n’a aucun pouvoir. Ce qui est le cas de cette image, prise derrière une vitre teintée et striée de traces de poussière orientées dans le sens du mouvement d’un bus nécessitant 72 heures pour traverser un seul et unique pays…

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