Photo-graphies et un peu plus…

L'art de rien

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31. Votre âge. 50 000. Votre apport initial, loin d’être une bagatelle. 30. La durée de l’emprunt, en années. 3,6. Le taux d’emprunt. 11. Un arrondissement parisien ni trop chic ni trop choc. 285 000. La valeur d’un bien actuellement sur le marché. Après de savants calculs effectués par l’illusionniste des pépites, cette valse de chiffres vous conduit à la modeste mensualité de 1 068 euros. Somme dont vous ne serez autorisé à vous acquitter que si vous gagnez le triple, à savoir plus de 3 000 euros par mois, soit 50% de plus que le salaire moyen des Français (ce qui n’a pas grand sens, nous sommes d’accord…). Un sacré pactole donc.

Heureusement, à l’issue de ces 30 années, alors que vous fêterez votre 61e anniversaire et que vous guetterez la retraite du bon oeil, rêvant de mois où votre pension ne sera enfin plus amputée de votre remboursement immobilier, vous serez l’heureux propriétaire d’un… studio de 31 m² Loi Carrez situé au 5e étage d’un immeuble d’une jolie petite résidence, avec, veinard que vous êtes, une grande penderie dans l’entrée (si, si, je vous assure !), un balcon exposé Sud et même un coin cui-si-ne… A votre âge, vos parents s’étaient aussi endettés à vie. Mais pour une belle maison et un jardin, ou du moins, un grand appartement pouvant accueillir plusieurs personnes et équipé d’une vraie cuisine avec une table et des chaises au milieu, autour desquelles vous pouviez tourner. Qu’a-t-il bien pu se passer pour que nous arrivions à un tel non-sens, à une telle absurdité et surtout, qu’elle soit encore alimentée ? « Au gagne petit », c’est gravé dans la pierre de cet ancien grand magasin populaire… Une bonne blague du 20e siècle lancée à la façade de notre nouveau millionnaire… pardon, millénaire !

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Extrait d’« Etats d’âme sur le macadam », ensemble de textes griffonnés à l’aube du 21e siècle sur mes inséparables petits carnets…

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Ils vivent dans des bulles rectangulaires illuminées. Ils sont dans des boites. Tout le monde peut les voir vivre. Les violer dans leur intimité. Dans leur croyance d’intimité. Ils se croient protégés, derrière leurs murs ; ils se pensent chez eux. Foutaise. Ils se donnent en spectacle, en ombre chinoise, en personnage réel : au choix. Des vies s’imaginent. Fausses. Irréelles. Est-ce important que tout cela ait un sens ? Tout cela ? Ces gens qui bougent, qui vivent derrière leurs fenêtres. Cages dorées. Le ciel est là-haut, impalpable, inaccessible. A quoi sert-il ? Vie sans conscience des autres. En toute innocence. Transparence. Ou plutôt invisibilité. Le bruit n’est pas. L’écho est faux. Il est possible de vivre sans. La bulle. Personne n’osera la percer. Quelle est la volonté de son intérieur ? Qu’on la perce ou pas ? Ah, le choix. L’indéfinissable choix. L’irréalisable choix. Développer son esprit critique, d’analyse. Des paroles en l’air. Des mots pour tout dire, pour ne rien dire. Tous ces mots, sur le papier, dans l’air, à quoi servent-ils ? Changent-ils notre condition ? Où est l’intérêt de cette accumulation d’idées, d’opinions, de descriptions ? Justification matérielle et intellectuelle. Il faut bien se donner une raison d’être.

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Chaque matin, je passe devant l’enfilade d’agences immobilières de la rue voisine quasiment accolées les unes aux autres, à croire que tout le quartier est à vendre. Je jette un regard discret aux annonces en les lisant partiellement – mon œil est plus attiré par les photos et les prix indécents qu’ils affichent que par les descriptifs des biens présentés – et poursuit mon chemin en m’insurgeant contre la surenchère de la pierre parisienne. Ce matin était différent des autres. Dans mon balayage systématique, je tombe sur mon appartement : « grand 3 pièces en duplex au dernier étage, très lumineux, séjour cathédrale, chambre sur cour, cuisine ouverte, dans immeuble très calme. Ascenseur. Prévoir rafraîchissement. » Les photographies choisies pour illustrer le petit texte viennent prouver ce qu’il prétend. Le tout est idéalement mis en valeur dans la vitrine et se détache assez rapidement des autres annonces du moment. Une position qui me satisfait entièrement – j’ai finalement compris que pour se faire remarquer, il fallait se démarquer – et m’incite à croire que les visites seront nombreuses. Un raisonnement sans faille jusqu’à ce que je réalise avec effroi son inanité : je n’ai pas mis mon appartement en vente…

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