Photo-graphies et un peu plus…

Réalisé sans trucage numérique. C’est une mention qui apparaît de temps en temps sur des portfolios de photographes aux images parfois si étonnantes et si extra-ordinaires que l’observateur pressé en déduit, presque instantanément, qu’elles ont simplement fait un petit détour par la case « logiciel de retouche ». De la correction cosmétique (un peu de lumière par ci, un peu de contraste par là) à la chirurgie esthétique lourde (et hop, on retire ce type en arrière plan qui gâche ma perspective) en passant par l’exobiologie (et si je rajoutais quelques lapins existentialistes autour de cet arbre, et deux ou trois lunes dans le ciel, et peut-être même une tornade en arrière plan), la PNM (Photo Numériquement Modifiée) revêt une multitude de formes. En théorie, à l’instar des plus connus OGM, la PNM vise à améliorer l’image originale.

Ainsi, par l’ajout de cette légende de quatre mots, l’auteur de l’image se positionne-t-il en artiste, authentifie-t-il son travail de création, sa maîtrise technique de l’outil, ainsi qu’une réelle recherche esthétique. Autrement dit, il n’a pas simplement appliqué le filtre « contours lumineux » ou « océan » à une image, au demeurant plutôt quelconque, dans l’espoir de la sublimer. Ce qui n’empêche pas à la PNM d’être un choix d’artiste et d’être, parfois, à l’origine de merveilles iconographiques. Reste que pour un photographe désireux de préserver une certaine pureté ou vérité de l’image, et ainsi, de montrer que la photographie n’est pas morte, elle est, aujourd’hui, presque un fléau contre lequel il doit se battre. Evidemment, en agissant de la sorte, il s’expose à cette question aussi classique  que le « t’es où ? » téléphonique : « comment avez-vous fait pour obtenir cet effet naturellement ? » Comme si un magicien dévoilait ses tours ! Quid de cette image alors ? Et bien, ce n’est pas une photographie ! Ce qui est donc une manipulation. De l’esprit. La seule dans ce cas puisque tout le reste est « naturel ». Comme le dit la légende.

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Plusieurs éléments me font converger vers cet inoubliable pola aujourd’hui. L’événement déclencheur ? La lettre d’information d’un laboratoire photographique bien connu du 10ème arrondissement de Paris, jouant avec les plus et les moins, ou plutôt les négatifs. Annonce en fanfare : « C’est le moment de ressortir votre vieux pola ! » écrit dans une police un peu vieillotte, histoire de titiller notre œil sensible. Car le laboratoire a, à nouveau, un stock de films monochromes à écouler… Passons sur le fait qu’en général, ce que l’on aime dans un pola, ce sont les couleurs un peu passées, délavées, et donc, qu’un film monochrome ne nous aidera pas totalement à exhumer la fameuse madeleine. On se voit malgré tout se diriger vers l’étagère sur laquelle on a religieusement posé notre vieux-pola-donc, à l’image d’une pièce de musée, en attendant des jours meilleurs. On s’imagine déjà placer la cartouche dans l’appareil et chercher du regard ce que l’on va pouvoir prendre en photo pour cette résurrection. Pas n’importe quoi hein ! Car à 22 euros les dix vues, il faut réfléchir un minimum avant de déclencher… Un moment attendu pour la petite musique qui l’accompagne. Une sorte de roulement de tambour bref s’achevant sur un petit clac. L’image pensée est déjà là, entre nos mains, on la voit apparaître lentement mais sûrement ; on sait qu’agiter le tirage ne fera pas arriver l’image plus vite, alors on le pose sur la table verte du salon et on se poste juste au dessus pour scruter la révélation de chaque portion de l’image. Comme un tour de magie en direct !

Evidemment, les amateurs de ce rituel de la boîte noire n’ont pas attendu la réédition hypothétique de pellicules pour continuer à vivre. Et surtout, pour continuer à faire vivre le mythe créé par Polaroïd qui s’est éteint en deux temps, une fois en 2007 quand ils ont stoppé la production des appareils, la seconde un an plus tard lorsque les usines fabriquant les films ont mis, à leur tour, la clé sous la porte. Extermination causée par la concurrence déloyale du numérique, qui a raflé tout l’argent(ique) sur son passage. Le grain, les couleurs absorbées, les empreintes de doigts, les coins assombris… Souvenir, souvenir. Dès lors, deux choix se présentaient aux heureux propriétaires de Pola : l’étagère sus-citée ou la quête effrénée de cartouches outre atlantique, jusqu’à ce qu’il n’y en ait plus.

Une troisième option s’est imposée, par l’entremise du tueur même, le numérique. Un effet, numérique donc, recréant, à l’identique, les effets adorés du Polaroïd. C’est sur le réseau social aux plus de 500 millions d’abonnés que j’ai commencé à avoir des doutes, il y a quelques semaines, quelques mois au plus. Quelqu’un postait des polas. Comme ça, l’air de rien. Ayant un peu de mal à croire qu’il s’agissait de vrais (du fait de la pénurie évoquée ci-dessus), j’ai lancé une recherche sur l’antisèche universelle qui a assez rapidement débouché sur le projet Poladroïd, né de la volonté de Paul Ladroid, qui, en plus d’être doué en informatique, n’est donc pas dénué  d’un certain d’humour. Tout y est : le roulement de tambour, l’apparition progressive de l’image, ses défauts… La copie est à ce point conforme que lorsque vous avez transformé dix de vos classiques photos en de parfaites madeleinedroids, vous devez relancer le logiciel. Et oui, cartouche vide ! L’outil, gratuit (mais les donations sont acceptées, surtout les grosses), a été téléchargé 3 141 946 fois depuis le 17 octobre 2008. Le succès aidant, Paul Ladroid a repris son vrai nom : Dominik Fusina. Nombreux sont sûrement ceux qui le remercient mille fois. Parmi eux, peut-être ceux qui ont créé le groupe 1 pola/jour sur le fameux réseau, invitant chacun à télécharger ledit logiciel et à partager ses vrais faux polas. En somme, sa nostalgie de l’imparfait et de ce qui n’est plus dans un monde qui cherche parfois à faire table rase du passé sous prétexte qu’il sent un peu la naphtaline. Pourquoi vouloir du vieux quand on peut avoir du neuf  ressemblant à du vieux ? Ainsi, dans la vie, c’est un peu comme en chimie, rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme !

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