Photo-graphies et un peu plus…

La frontière magique

L’autre jour, sous la douche, en regardant l’eau perler sur ma peau comme si je prenais la mesure de ce phénomène naturel pour la première fois de ma vie, j’ai pensé à cette étrange expression, « se sentir comme une éponge », littéralement, et à ce jeune homme au fond de l’océan. Et, une fois de plus, j’ai admiré l’incroyable et insondable magie de ce corps humain, quand bien même elle n’y est pour rien, permettant à l’eau – dont il est pourtant constitué à 60% – de s’échapper de nous entre autres par les pores de la peau alors que l’inverse n’est pas possible. Nous prenons en effet pour acquis le fait que la pluie, l’eau de mer, celle de la douche, voire un café  malencontreusement renversé sur la cuisse ne puisse que glisser le long de notre corps sans pouvoir y pénétrer, mais nous ne réalisons pas qu’en réalité, il y avait une chance sur deux que ce soit le cas : soit notre peau était imperméable soit elle ne l’était pas. Quelle chance ! Car vous conviendrez aisément que nous aurions eu une vie infiniment différente et bien plus lourde si cette première frontière intime était poreuse dans les deux sens…

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Marchez tout en regardant fixement un point dans le ciel, comme si vous suiviez quelque chose du regard, et vous serez bientôt imité par deux ou trois personnes témoins de votre petit manège. L’effet miroir est quasi instinctif, motivé par notre insatiable curiosité. Le constat semble aussi vrai avec la photographie… Exemple pris parmi d’autres avec cette image. Direction les jardins de la Fondation Miró sur les hauteurs de Barcelone. Quelques personnes se promènent sur la terrasse. Une double porte vitrée empêche le visiteur de s’approcher de cette sculpture dont je ne trouve pas le nom. Il y a un interstice entre les deux parois de verre légèrement bleutées, permettant – malgré la transparence – de voir d’une autre manière ce qui se trame de l’autre côté. A savoir, dans ses couleurs originales.

Cet espace de vérité coincé entre deux frontières à la fois translucides mais matérialisées capte mon attention : j’en fais mon objectif pour cette photographie et m’attèle sérieusement à mes cadrage-réglage. Cela prend quelques secondes, peut-être minutes – pas trop non plus -, laps de temps pendant lequel je vois entrer plusieurs personnes dans mon champ visuel. Je suis certainement restée trop longtemps au même endroit pour passer inaperçue… L’œil sur le viseur et les doigts sur la gâchette, je les vois s’approcher de la double porte… Ma photo en poche, je me recule pour assister au spectacle : trois personnes dégainent leur appareil photo et y font entrer la sculpture, que je n’ai toujours pas identifiée. Mimétisme photographique parfait, à ceci près qu’aucune n’a jugé pertinent de se placer au cœur de l’ouverture. Peut-être se sont-elles dits que ces deux bandes verticales allaient gâcher la photo, alors qu’à mes yeux, elles en sont le sel. Et voici comment trois innocents petits centimètres réussissent à créer une grande différence malgré l’apparente similitude des gestes…

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Deux départs possibles… Il y a les p’tites cases dans lesquelles certains veulent nous mettre pour se rassurer –  toi, tu es plongeur donc tu aimes l’eau et les poissons, mais pourquoi les manges-tu alors ? – ou, plus globalement, les p’tites cases dans lesquelles il faut que les choses soient pensées pour pouvoir exister aux yeux des autres. C’est-à-dire qu’il faudrait avoir ces cases à l’esprit avant de penser tout court, pour que le fruit de cette pensée puisse au final entrer dans une case. Mais par définition, la case est un espace clos dont rien ne dépasse ou si peu, alors que la pensée est légère et ouverte, elle déborde, dans le meilleur des cas. Et donc penser à la case avant même de penser n’est autre que de l’anti-pensée. Le problème, car il y a un problème, est que tout ce qui n’entre pas dans une case n’a droit qu’à une conclusion : bizarre. On le regarde de travers, on le met de côté, on le contourne, on ne sait vraiment pas quelle posture adopter face à cette chose « incasable ». Finalement, on l’oublie. C’est plus simple. La case est évidemment une bêtise.

Second départ. La case est quand même bien pratique. Surtout dans le cerveau, avec option multitâches (je m’interdis la blague misandre…). Pour un peu que ces cases soient dotées d’un poste frontière un peu sérieux et d’une paire de douaniers zélés, le propriétaire du dit cerveau est sûr de pouvoir penser à plusieurs choses en même temps sans qu’il y ait d’interférence pour autant.

– Papiers, s’il vous plaît ?

– Bah, depuis quand il faut des papiers pour se promener dans son propre cerveau ? Je veux juste aller dans la case à côté, là. J’y étais il y 2 heures. J’ai laissé des affaires… Je voudrais les récupérer pour avancer un peu.

– Non, justement, nouvelle politique de la maison, chacun reste dans sa case. On a été beaucoup trop laxistes ces derniers temps et on voit ce que ça donne… Quand tout le monde se balade hors de ses frontières, c’est l’anarchie ! On ne peut pas gérer un cerveau de façon durable quand y règne l’anarchie ! Après, ça procrastine, ça procrastine et qui c’est qu’on accuse, c’est nous, les douaniers de l’esprit ! Donc, vous rebroussez chemin et vous restez dans votre case. Et chacun fait son travail dans son coin.

– C’est totalement absurde ! Vous appliquez des règles à la lettre sans prendre de recul…

– Ecoutez, arrêtez de faire de l’esprit. Estimez-vous heureuse, vous avez une case entière pour vous promener, je dois me contenter d’une ligne. Autant vous dire qu’on en fait vite le tour !

– Raison de plus pour me comprendre, allez, laissez-moi passer… Personne ne verra rien…

Et quelques secondes plus tard, vous vous retrouvez à mettre votre ordinateur au frigo à la place du jus d’orange…

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