Il y a quelques mois ou plutôt années, je ne sais plus, j’ai réalisé que nous faisions des mathématiques en permanence sans nous en rendre vraiment compte. Personnellement, je n’ai rien contre elles, j’ai été élevée à coup d’équations à résoudre et d’inconnues à identifier – j’ai même fini par y prendre goût -, mais j’ai bien conscience que les mathématiques resteront à jamais un cauchemar pour beaucoup. La révélation m’est apparue en attrapant un banal carton dont je ne connaissais pas le contenu. Je me suis baissée pour le récupérer au sol et, étrangement, je l’ai presque envoyé au plafond. Que s’était-il passé ?
Inconsciemment, j’avais manifestement fait de savants calculs mathématiques en me projetant, dans un premier temps, sur un poids supposé du carton et, dans la foulée, en configurant ma force à déployer pour que je sois en mesure de soulever ce poids hypothétique. En d’autres termes, j’avais imaginé que le carton serait plein et mon corps s’était donc préparé, en amont, à hisser quelque chose de lourd. Au moment où j’ai réalisé que le carton était en fait vide, a fortiori, très léger, mon cerveau avait déjà échangé avec mes neurones moteurs et tout calculé pour commander les mouvements adéquats à mes muscles. Résultat : la force déployée était disproportionnée par rapport à la masse à finalement soulever, et le carton s’est quasi envolé. N’est-ce pas absolument fascinant ? Si, si ! Bien sûr, le carton n’est qu’un exemple, voire, qu’un mot. Et ce raisonnement vaut aussi pour des pierres et roches, qui, elles aussi, peuvent être trompeuses, ce que confirme toute rencontre avec du basalte vacuolaire…
Qu’ont en commun Total Recall, Strange Days, The Game, Dark City, The Truman Show, Passé virtuel, Pleasantville, Matrix, eXistenZ et Dans la peau de John Malkovich ? Ce sont tous des films américains oui et ils datent tous du 20e siècle oui aussi mais surtout, ils placent leurs personnages dans a minima deux mondes, a fortiori deux « réalités », qu’ils en aient conscience ou pas, qu’ils vivent donc dans l’illusion ou pas. Cette situation les amène à douter rapidement de la nature de leur monde, et, pour certains, à douter du réel lui-même. Et face à un réel souvent désenchanté, laissant peu de place à l’espoir, obscur, chaotique, violent, décadent ou déjà simulacre de lui-même, le salut des personnages vient alors de l’ailleurs, des réalités alternatives, des mondes parallèles voire virtuels dans lesquels ils plongent ou sont plongés, rendant plus complexe leur retour à un réel, d’autant qu’il n’est pas toujours celui qu’ils croient.
J’évoque ces films aujourd’hui parce que récemment, je me suis assise sur le siège H10 de mon cinéma habituel pour absorber le dernier Spielberg en 3D, Ready PlayerOne.Au-delà des multiples références et auto-références au cinéma des années 80 et 90 ravissant les quarantenaires mais laissant sur le tapis une partie des millenials et de la génération Z – « je n’ai pas vu The Shining… » lance un personnage mi-figue mi-raisin -, son film, qui nous envoie en 2044, pose un certain nombre de questions sur notre perception de la réalité et notre interaction avec elle, sur notre rapport aux mondes virtuels, sur l’omniscience des réseaux sociaux, sur la place du jeu dans notre vie – et donc de l’évasion voire de la fuite -, sur notre identité flottante et flexible – ce que nous sommes « en vrai », ce que nous sommes « en faux » sur les réseaux -, sur les valeurs virtuellement humaines ou humainement virtuelles de part et d’autre de cette frontière ici bien délimitée entre monde réel et monde virtuel.
J’évoque ces films aujourd’hui car, il y a 20 ans, ils constituaient le corpus d’étude d’un essai que j’ai consacré aux mondes virtuels au cinéma et à leur interrelation avec la réalité. Et il y a 20 ans déjà, le réel l’emportait après un premier round pourtant accablant où le virtuel le mettait KO en quelques scènes. A tel point que ce passage au virtuel ne semblait, finalement, être là que pour affirmer la toute puissance du réel. Il ne s’agissait alors plus de l’effacer ou de l’oublier, mais de lui redonner du corps, de la substance, de l’intérêt pour y vivre mieux. Spielberg, sans condamner les technologies d’immersion – l’enjeu n’est pas du tout là – ne fait ainsi que répéter ce message envoyé il y a plus de 20 ans déjà, sachant que lui-même nous projette peu ou prou dans 20 ans. D’une certaine manière, cet écho ravive l’un des rôles clés du film d’anticipation et/ou de science-fiction : alerter en amont sur des dérives perceptibles dès aujourd’hui pour réorienter le cours de l’Histoire à venir à temps et réajuster des comportements, tant individuels que collectifs… Il semblerait donc, à la lumière de son film, que nous n’ayons pas réellement compris les messages jadis transmis par les réalisateurs. Bien au contraire, en matière de virtuel, le rythme s’est même grandement accéléré ! En 1927, André Breton écrivait dans Le Manifeste du surréalisme : « Viendra un jour où ce ne seront plus les hommes qui feront les choses ; ce seront les images qui les feront sans eux. Ce jour-là, on sera assis devant un écran, on ne sera plus des vivants mais des voyants ». 89 ans après, la prophétie se réalise. Or dans la vie, tout est une question d’équilibre. Il faut donc espoir garder !
Dans la vie, en vertu de ce principe réducteur et volontairement absurde selon lequel nous sommes des êtres dénués de complexité, il y a trois catégories de personnes : celles qui s’organisent a priori et celles qui s’organisent a posteriori. Vous avez entièrement raison, ces dernières ne s’organisent pas. Elles se laissent porter par le hasard ou le destin, selon qu’elles croient en l’un ou en l’autre, se décident le jour même sur un coup de tête, une envie fulgurante ou une chance à saisir, et pensent ainsi être entièrement libres. Celles-là sont incapables – et elles en sont fières – de vous dire ce qu’elles feront demain ou après-demain, et ne vous confirmeront parfois leur venue à un éventuel rendez-vous qu’à la dernière minute, après s’être bien assurées qu’il n’y aurait vraiment rien de plus intéressant au même moment. Parti pris qu’elles assument totalement mais qui peut-être très vexant pour ceux qui les attendent.
Vous avez à nouveau raison, il manque une catégorie dans mon énoncé. J’y reviendrai rapidement, mais pour l’heure, marquons une courte pause sur le premier groupe de personnes : celles qui s’organisent a priori. Là aussi, ce n’est pas aussi simple, car il y a « a priori » et « a priori ». Et si certaines se contentent de planifier à 10 jours, d’autres ont déjà une vision semestrielle voire annuelle de leur agenda, tout en se sentant aussi libres que les premiers, voire plus dans certaines circonstances. Parmi elles, il y a également des obsédés de la planification objectivement effrayants quand ils ne sont pas en mesure de penser en dehors du cadre qu’ils ont prédéfini.
Et puis, il y a ce troisième groupe donc, qui, je l’avoue, me fascine complètement d’autant que ses membres ne sont pas si rares : il s’agit de ces personnes refusant catégoriquement de se projeter dans le futur et de s’organiser trop en amont – pour un concert, une pièce de théâtre, un voyage pour citer des exemples plus agréables qu’un rendez-vous chez le dentiste – sous le prétexte extrêmement étrange qu’elles ne savent pas ce qu’elles feront à cette époque alors même qu’elles admettent être libres, le tout en regrettant, a posteriori, de ne pas s’être organisées plus tôt pour assister à ce concert, à cette pièce, ou faire ce voyage car au moment où elles acceptent enfin de les envisager, c’est complet ou bien trop cher… C’est là que mes connexions neuronales peinent lamentablement… Car, quelle est cette force invisible qui les empêche de décréter qu’elles assisteront justement à ce concert ou à cette pièce ou bien mettrons en place ce voyage ? Quelle est cette force invisible qui réussit à les persuader que prévoir, c’est s’enfermer ; qu’anticiper, c’est se mettre soi-même au cachot ; que préméditer, c’est mal alors qu’au fond, elles veulent aller à ce concert, voir cette pièce, visiter ce pays ?
Ceci étant dit, quelle que soit la catégorie dans laquelle on évolue, le plus important est de savoir dans quelle temporalité vivent les personnes avec lesquelles on souhaite passer du temps, pour pouvoir effectivement en passer. Si les anti-organisations se croiseront à une soirée prévue par une tierce personne après s’être mutuellement proposés de la passer ensemble ; les pro-organisations se verront dans 7 semaines dans un lieu et à une heure arrêtés 3 semaines plus tôt tandis que les anti-à-regret se décideront toujours trop tard et ne réussiront pas à se voir. Pour les métissages amicaux enfin, il faudra faire des compromis et preuve de patience…
Si je voulais être schématique, je dirais, sans que cela soit totalement grossier pour autant, que les différentes routes que j’ai empruntées jusqu’à présent – scientifique, journalistique, sociologique, artistique, « voyagique » – n’avaient (et n’ont) qu’un seul objectif : me permettre de comprendre un peu mieux – et sous différents prismes donc – le monde dans lequel nous vivons. Depuis la soupe primordiale à la naissance d’une émotion forte en passant par les raisons qui poussent telle ou telle personne à agir de telle ou telle sorte. Bien sûr, je ne comprends pas tout. Je devrais même dire qu’il y a beaucoup de choses qui m’échappent. Malheureusement. Et heureusement aussi, car cette incompréhension face à certaines choses de la vie, loin de me rendre fataliste, m’invite à chercher encore plus, à rester éveillée et alerte, prête à cueillir des réponses, même infimes, même instables, le tout, sans perdre de vue l’optimisme que je m’impose, bien écorché ces derniers temps il faut l’admettre.
J’aime la science-fiction. J’aime les films de science-fiction, et peut-être encore plus ceux d’anticipation. Et au sein de cette catégorie, les dystopies. Ces films nous plongent dans le chaos dès leurs premières minutes d’existence, mettent en scène des mondes totalitaires et sclérosés dans lesquels toute personne sensée ne voudrait pas mettre ne serait-ce que le petit orteil gauche. Figure récurrente de ces films dont il fait régulièrement l’introduction, un montage vidéo de fausses images d’archives montrant, comment, progressivement, la situation – économique, sociale, politique, écologique dans tel pays, sur tel continent, dans le monde entier même si ça ne se dit pas – a irréversiblement dégénéré, devenant totalement hors de contrôle au bout d’un moment. Un magma d’images énervées, de déchaînement de haine, de montée des inégalités…, devant expliquer, si ce n’est justifier, a posteriori, – car au présent, on ne voit pas ou on ne veut pas voir, on ne connecte pas les faits les uns avec les autres ou si, mais sans y croire -, l’origine du chaos liminaire présenté, dès lors, comme un état de fait. Et bien, malgré mon optimisme que je prends soin de cultiver au quotidien, j’ai de plus en plus la douloureuse sensation que la réalité a rejoint la fiction – qui n’est d’ailleurs qu’une réalité parmi d’autres – et que nous pourrions, dès aujourd’hui et sur la base de vraies images d’archives glanées ça et là dans le monde, produire de tels montages annonciateurs… Et là, je ne peux m’empêcher de me poser cette question : quand allons-nous atteindre le « bout d’un moment » ? et quel en sera l’événement déclencheur ?
Je serais presque en train de virer pessimiste… Mais je réalise dans le même temps que j’en ai oublié une, de route. Qui, en fait, est la matrice de toutes les autres. Même de cette réflexion. C’est bête dit comme ça, mais c’est celle de l’amour. De la vie, des autres. Alors je vais m’y accrocher car il ne peut en être autrement. Et j’enverrais bien quelques livres ou DVD quand même…
C’est certainement la question qui m’est posée le plus spontanément lorsque j’apprends à quelqu’un que je « fais » de la photo. Quelle est ma spécialité, en somme ? La question a beau être tout à fait légitime – le progrès et la complexité ont fait de nous des êtres spécialisés -, il m’est toujours difficile d’y répondre tant j’ai la sensation de ne privilégier aucune piste. La succession quotidienne de mes clichés sur ce site l’atteste mieux que mes mots. Reste que, comme tout autour de nous, rien n’est figé et tout évolue. Ainsi, il y a encore 4 ans, je pouvais annoncer que je ne faisais quasiment pas de portrait ou de photos où les hommes – au sens large, mes congénères donc – étaient au cœur du sujet et non pas des éléments parmi d’autres de mon champ visuel, ou encore les simples garants d’une universalité flattant mon idéal d’équité. Et puis, j’ai eu envie d’essayer de m’en approcher. Cela ne s’est pas fait sans appréhension, la distance, en particulier, à trouver d’abord puis à instaurer ensuite, entre le « sujet » et soi n’ayant rien à voir avec celle qui s’installe lorsque ce sujet est un paysage par exemple. Et je mets ici de côté le fait que, pour le paysage, le voyeur – simple observateur ou photographe – n’existe pas vraiment. Ce n’est pas le cas pour un autre être humain, quels que soient les efforts de discrétion fournis pour être invisible. Le théâtre s’est avéré être l’une de mes portes d’entrée vers les autres. Il ne s’agit donc là pas de réalité mais de sa représentation.
Avec la Cie Le Bouc sur le toit, que j’ai depuis intégrée, en tant que curieuse – mon métier officiel -, j’ai découvert un monde. Et en tant que photographe, un autre rapport à la distance donc, mais également à la lumière et au temps. Mettons la lumière dans un coin pour l’instant. Quand je parle de temps, je pense à celui de l’action. A moins d’assister aux répétitions et de finir par connaître la pièce travaillée par cœur – ce qui, en pratique, est mon cas -, tout n’est que surprise. Les déplacements, les échanges, les confrontations… A tel point qu’il peut être difficile d’anticiper ce qui va se produire sur scène. De l’autre côté de l’œilleton, cela requiert donc une attention extrême doublée d’une réactivité sans faille. Or, entre le moment où quelque chose se passe, dans la réalité je le précise même s’il n’y a pas vraiment d’alternative, et celui où l’on prend conscience de ce qui s’est passé, il s’écoule déjà 300 ms pour un adulte lambda ; il en faut 150 de plus au minimum pour prendre une simple décision, puis encore 70 pour amorcer la réponse motrice – en l’occurrence, prendre une photo, déclencher. Cela peut vous sembler infinitésimal, mais, à l’échelle d’un regard entre deux personnes, d’un geste subliminal, il est presque déjà trop tard, et ce, pour des raisons totalement indépendantes de notre volonté. De fait, la chance est un facteur à ne pas négliger dans ce contexte… Mais avec un peu d’entraînement, les résultats s’affinent.
Il y a encore quelques jours, je pouvais aussi dire que je ne m’étais jamais essayée à la photo de sport. Et, comme avec le théâtre, j’ai eu envie de voir. Cela aurait pu être du basket-ball, de la natation synchronisée, de l’escrime, c’est vers le foot que je me suis tournée. Les rencontres, ou connaissances, ou amis, ou autres, permettent souvent de réduire le champ des possibles de fenêtres trop grandes ouvertes. Très schématiquement, au foot, des personnes courent après un ballon et tapent dedans dans l’espoir de l’envoyer au fond du filet de l’équipe adverse. Dans les deux cas – courir et taper -, ce sont des gestes qui se préparent un minimum. N’ayant pas la célérité d’une mouche – ces empêcheuses de tourner en rond modifient subrepticement leur plan de vol en moins d’un centième de seconde, soit 50 fois plus rapidement que le temps nécessaire à un œil pour cligner -, lorsque vous vous mettez à courir, ou à sauter, ou à marcher, un observateur extérieur – étrange formule : quid de l’observateur intérieur ? – peut pré-voir, sans trop de risque de se tromper, où vous serez l’instant d’après. Il s’agit là de cinétique de base, de balistique, d’une banale histoire de trajectoire dépendant de conditions initiales. Cette remarque n’en est pas moins cruciale aux yeux du photographe puisque cela signifie que, contrairement à ce qui se passe sur scène et indépendamment de la lenteur intrinsèque de son cerveau dont il ne peut décemment pas se plaindre, il peut anticiper l’action suivante et donc, moyennant quelques rapides calculs, se préparer pour déclencher au « bon moment ». Bien sûr, d’autres paramètres entrent en jeu pour compliquer la prise de vue.
La vitesse en est un, et par extension, la distance, le ballon de football, envoyé de-ci de-là, se muant ici en une sorte de machine à voyager dans le temps. Certes, pas très loin, tout au plus quelques secondes dans le futur, et qui plus est, dans une même unité de lieu générale. Mais c’est loin d’être négligeable. Et pour le photographe, qui n’est pas un ballon, et, à ce titre, a besoin de temps pour se déplacer d’un point A à un point B et se retrouver face à l’action, la donne change. D’autant plus que pendant ce laps de temps, ledit ballon a très bien pu faire un nouveau voyage et se retrouver de l’autre côté du terrain. Ce n’est plus le cerveau qui freine mais bien le corps, son poids, son inertie, son ancrage au sol, pire son incapacité à voler… De fait, la chance est également un facteur à ne pas négliger dans ce contexte sportif. Et d’ailleurs, je lui dois cette image de prime abord sans relief : dans le feu de l’action, affairée à régler cadrage, mise au point, vitesse, zoom, je n’ai pas réalisé que le ballon, exactement au centre de l’image et dans lequel la joueuse au bandeau s’apprête à frapper, n’avait pas vraiment la taille réglementaire et, encore mieux, se jouait subtilement des perspectives et des illusions…
Je viens de mettre en forme, et du coup, en ligne, un court essai que j’ai rédigé il y a quelques années sur le film Bienvenue à Gattaca, d’Andrew Niccol. Film analysé, pour l’occasion, à travers le prisme de la mélancolie, omniprésente…
Ce film de 1997 me semble d’une actualité brûlante alors même qu’une équipe de chercheurs chinois a annoncé avoir réussi à modifier le génome directement dans l’embryon…
Précision : je fais très précisément référence à certaines scènes du fim, aussi est-il plus facile, a priori, d’entrer dans le texte en l’ayant vu…
En pratique, toutes les photos figurant sur ce site sont en vente. N'hésitez pas à me contacter pour plus de renseignements !
Un tour du Soleil en duos : 6e année en cours
Pour (re)découvrir en un clin d’œil et sur une seule page les micro-histoires photographiques publiées en ces lieux virtuels :
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