Photo-graphies et un peu plus…

Les sons d'antan

Tout a commencé là. Enfin, pas vraiment là au sens propre, sur cette esplanade d’Osaka, mais là, avec des talons. Ou plutôt, avec la musique qu’ils émettent en se déplaçant. Ce martèlement régulier et sec sur le bitume qui fait d’abord penser à celui des sabots d’un cheval avançant au trot sur des pavés en grès. C’est d’ailleurs cette image-là que j’ai lorsque ce son si caractéristique arrive à mon oreille droite alors que je rentre paisiblement chez moi, sans attente particulière. Et curieusement, pourtant bien consciente de vivre à la fois au 21e siècle et dans une grande ville peu connue pour être le théâtre de chevauchées fantastiques, hormis dans les salles d’art et d’essai du Quartier Latin peut-être, je pense : « Il y a des chevaux dans le coin ? » avant de conclure à l’anachronisme de la question et de chercher plutôt une femme haut perchée. Puis de me laisser happer par la pente glissante des associations d’idées, ou, de l’esprit d’escalier.

Je me projette alors au 19e siècle, enfin, dans l’idée très approximative et parcellaire que je me fais du 19e siècle – l’ignorance n’a jamais empêché qui que ce soit de parler – et j’imagine alors créer des balades sonores des temps révolus qui accompagneraient nos errances citadines contemporaines. Nous marcherions dans le quartier des Halles par exemple et, en lieu et place du soulèvement des machines, non Cameronien rassurez-vous, chargées d’ériger une canopée artificielle d’ici la fin de l’année, nous percevrions la vie grouillante de feu le ventre de Paris. Nos yeux, notre corps sentiraient le présent, nos oreilles vivraient le passé. Instantanément, l’idée me paraît géniale – si, si, n’ayons pas peur des mots – mais elle se heurte aussi rapidement à une interrogation décisive : ces sons-là, des Halles centrales comme du reste, existent-ils quelque part ? Ont-ils traversé les décennies ?

Car, si aujourd’hui, nous enregistrons absolument tout de façon quasi obsessionnelle de nos petites ou grandes vies, du plus insignifiant événement aux plus importants objectivement, de telle sorte que nous – l’humanité – avons une trace – de multiples en réalité – de ce qui se déroule sur cette planète, ça n’était pas le cas avant que Joseph Nicéphore Niepce crée la première photographie en 1826, que Thomas Edison invente son phonographe en 1877, premier appareil à pouvoir enregistrer et restituer les sons, et qu’Edison, encore lui, associé à William Dickson captent les premiers films en 1891. Autrement dit, hier à l’échelle de notre histoire, même jeune.

N’est-il pas troublant de réaliser que nous n’entendrons jamais de sons antérieurs à ces dates, que nous ne saurons jamais avec certitude comment résonnait la vie, dans le désordre, au Moyen Age, à l’Antiquité ou la Renaissance alors même que nos descendants ne sauront que faire de nos enregistrements compulsifs, tendance qui ne devrait pas faiblir dans le futur ? Dans ce contexte, j’en déduis que les textes deviennent alors l’une des principales portes d’entrée vers ces sons disparus, grâce aux descriptions qu’ont pu en faire leurs auteurs sans pour autant penser à léguer des indices à la postérité devant nous aider à reconstituer leur environnement sonore, donc sans être aussi méticuleux dans leurs exposés qu’ils ne l’auraient été en connaissant cette mission venue du futur. Un exercice assurément complexe – allez décrire le son d’un modem 1re génération par exemple, juste avec des mots – pour une hypothèse solide : un projet de l’Université Simon Fraser consiste justement à recenser, dans la littérature, les passages faisant référence à des sons, et remonte ainsi à la préhistoire… Qui sait, l’un d’entre eux évoque peut-être le son des talons, apparus, semble-t-il, dès l’Egypte antique. Et la boucle serait bouclée…

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Métamorphose

C’est Robert lui-même qui le proclame : « Changement de forme, de nature ou de structure, si considérable que l’être ou la chose qui en est l’objet n’est plus reconnaissable ». Exemple commun : la larve devenant papillon. Ici, contrairement aux apparences donc, un être humain. Etat initial. Une femme pour être plus précise. Ayant manifestement une sensibilité hautement chromatique, ce qui la rend très singulière à mes yeux, de photographe certes, mais pas seulement : car, assez trivialement, je suis irraisonnablement réceptive aux personnes prenant soin d’associer la couleur de leurs vêtements à celle de leurs chaussures (et, comble de l’élégance, de leurs chaussettes). J’y vois une salutaire, reposante et inoffensive quête d’harmonie là où le chaos règne. Ce que n’évoque pas Robert, en revanche, c’est la raison de ce changement de forme, son origine. De fait, tout devient possible. Et, présentement, si c’est bien le temps qui exalte le corps et le mouvement qui le transcende, c’est l’obscurité qui se charge de le révéler. Des conditions éphémères et maîtrisées qui, fort heureusement pour la luciole urbaine, rendent la métamorphose réversible… Il suffit de rendre son rythme au temps qui passe.

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L'être en plus

Comme il y a quelques années avec les mots « vide » et « vie », je viens de réaliser qu’il n’y avait qu’une lettre de différence entre « futile » et « utile », une lettre en plus pour le plus creux, le plus vain des deux, confirmant dans l’instant, qu’il en fait déjà trop et que, pour masquer sa frivolité et faire diversion, il se pare de beaux et doux atours. N’est-elle pas belle, en effet, cette lettre F ? Celle du feu, des flammes, de la folie, des fleurs, des fantasmes, des fourmis, du flamboyant ou encore du fantastique…

Mais revenons un petit peu en arrière. De telles pensées, tout comme la vie, ne surviennent pas ex nihilo. En l’occurrence, ce n’est pas en me rasant ce matin que j’ai vu ce message à la limite de l’insolence s’afficher sur le miroir me faisant face – nous sommes en 2022 – : « Hé, toi là-bas, au lieu de sonder la profondeur de tes abysses en quête de ton âme, as-tu jamais songé qu’il n’y avait qu’une seule lettre de différence entre les mots « utile » et « futile » ? ». Non, c’est en lisant un courrier amical d’une « redresseuse » de torts mineurs parfois majeurs que je me suis abandonnée à une minute d’autoflagellation doublée d’admiration, la seconde lui étant destinée et durant bien plus longtemps que la première : « ça, au moins, c’est fondamentalement utile ! Pas comme la photo… la photo, c’est juste… futile ! Oh, tiens, c’est assez ironique, il n’y a qu’une lettre de différence entre ces deux mots alors que… ». Voilà comment c’est arrivé, en vrai.

Mais revenons encore un petit peu en arrière. Car en arriver à dresser ce constat à la fois défaitiste et extrémiste – la futilité supposée de l’activité photographique, j’hésite à écrire « acte » car c’est encore autre chose même s’il l’une découle de l’autre – alors que l’on – enfin moi – occupe une bonne partie de ses journées à la pratiquer, est le symptôme, si ce n’est d’une crise existentielle, a minima d’une interrogation – qu’elle soit nouvelle ou récurrente ne change rien – sur le sens de la vie en général, sur celui de sa propre vie en particulier, à un instant t ou rétrospectivement ou encore pour les années à venir, mais aussi et surtout sur le sens à donner à sa propre vie à la lumière du cours du monde globalement insensé qui se déploie sous nos yeux et consciences irrités de jour en jour. En d’autres termes, comment – et c’est une question de riche – ne pas conclure en la futilité de tout, du tout, pour assurer la survie de notre âme et ne pas sombrer dans une folie irréversible vers laquelle devrait converger tout humain empathique face à cette chaotique destinée ?

Bien sûr, personne ne prétend que la futilité est inutile ni, véritablement, que la photographie est futile même s’il est difficile d’en mesurer l’utilité… Cela reviendrait en effet à prendre parti dans cette question piège atemporelle : « A quoi sert l’art ? » et nous mènerait beaucoup plus loin que le chemin que nous sommes supposés faire ensemble aujourd’hui. J’y réponds partiellement malgré tout en citant Fernando Pessoa : « La littérature, comme toute forme d’art, est l’aveu que la vie ne suffit pas ». L’honneur est donc sauf ! Ce qui sous-entend également qu’être utile est important, soulevant une nouvelle question : et pourquoi donc ?

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Mission impossible !

Il me semble, mais je me trompe peut-être, qu’au 20è siècle, c’est-à-dire à une époque à la fois proche, dans le temps, et lointaine, dans les moeurs, et d’utilisation raisonnée et raisonnable de l’appareil photo, les enfants y étaient moins attentifs. Le numérique n’avait pas encore déferlé sur l’industrie photographique, révolution inattendue qui a irrévocablement fait sombrer au fin fond de la fosse des Mariannes ceux n’ayant pas su ou voulu prendre la vague avant qu’elle ne casse violemment, parmi lesquels les plus illustres, Kodak en tête. Chacun apportait encore ses pellicules de 12, 24, 36 poses – comment avons-nous pu passer aussi rapidement du très limité à l’illimité ? – au labo du coin et patientait quelques jours avant de pouvoir découvrir leur contenu – comment avons-nous pu changer de rapport au temps aussi vite ? Les téléphones portables – sans remonter au Motorola DynaTAC 8000 X pour autant – se contentaient d’être des téléphones et n’étaient pas encore devenus les couteaux Suisse addictifs de nos vies connectées et multi-modales qu’ils sont aujourd’hui.

En ces temps-là donc, les enfants étaient naturellement moins sensibles – car moins exposés – aux boites à images qui pouvaient graviter autour d’eux. Bien sûr, il y avait les photos de famille, celles des vacances et les photos de classe sur lesquelles il fallait être sérieux, mais en grande majorité, cela s’arrêtait là. De telle sorte qu’un photographe se glissant dans un espace peuplé d’enfants voire d’ados pouvait, après une phase normale d’apprivoisement réciproque, passer inaperçu et assurer le travail qui lui avait été commandé relativement facilement, hormis la difficulté intrinsèque de l’exercice lui-même. A vrai dire, il ne s’agit là que d’une hypothèse, étant moi-même sur le banc des grands écoliers en cette fin de siècle dernier.

Toujours est-il qu’aujourd’hui, la même mission relève de la gageure tant la jeunesse semble, et de façon irrésistible, aimantée par les objectifs, par l’image d’eux-mêmes, au même titre que la pomme de Newton par le centre de la Terre. Que l’un s’aperçoive qu’il est dans votre champ, et le voilà qui interrompt toute activité – celle-là même que vous désiriez capter ni vu ni connu, vous qui ne jurez que par la spontanéité, l’innocence et la vérité qu’elle confère aux êtres -, pour vous regarder, vous montrer son plus beau profil, vous adresser son plus beau sourire, ou, à défaut, son intime gravité. Et sans vous en rendre réellement compte, les rôles et les rapports s’inversent totalement : ce n’est plus le photographe qui prend, ce sont les photographiés qui offrent et s’offrent à lui magnifiquement, avec une maîtrise de leur image et de la composition qui paraît totalement innée, un don qui fait chavirer coeurs et pupilles, et oublier – voire joyeusement saborder – la mission  première…

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Vers l'infini et au-delà !

Que répondriez-vous à un enfant vous demandant, très sérieusement, à vous l’adulte, à vous le sachant, si les extraterrestres existent ? Personnellement, en dépit des centaines de thèses pro-ET défendues aux différents coins de la planète à grands coups de complots intergalactiques et de ronds dans le blé, j’ai opté pour l’humble et pragmatique : « On ne sait pas. On n’en a pas encore rencontré, mais ça ne veut pas dire qu’ils n’existent pas. D’ailleurs, je pense qu’il n’y a aucune raison que nous soyons seuls dans l’univers… Simplement, ils sont certainement si loin que nous n’avons pas encore trouvé comment les contacter…  » Et intérieurement : « Mais que sait-il concrètement de l’univers ce petit gars qui n’a pas encore eu le temps de regarder les étoiles ? Sait-il seulement ce qu’il représente, peut-il en imaginer les dimensions et les contours – l’adulte n’en est évidemment pas plus capable – ; cet aveu d’ignorance – salutaire par ailleurs – a-t-il un sens pour lui qui préférerait malgré tout ne jamais les croiser, persuadé qu’ils seraient forcément « méchants » ? Et d’où vient cette approche instinctivement négative de cet Autre inconnu, intuition loin d’être farfelue par ailleurs puisque finalement partagée par des scientifiques sensés : serait-ce une sortie de notre cerveau reptilien face à la menace fantôme ? » Certains ne s’embarrassent déjà plus de la question puisqu’ils proclament à qui veut l’entendre qu’ils sont déjà parmi nous. Et je vais finir par le croire… Cinq, dont une grand-mère toute fripée, se sont en effet subrepticement glissés dans cette photographie, les voyez-vous, vous aussi ?

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Suprême insulte

Il me lance, par mur interposé : « En fait, t’es une touriste ! Beurk ! ». Le « beurk » est presque inutile, la première partie de la phrase suffisant à donner le ton général de la pensée. Désagréable. Sur le coup, je suis piquée au vif – je vois un horrible personnage manquant de respect aux us et coutumes locales, tout critiquer, la peau orange sanguine et un T-Shirt Hard Rock Café Acapulco avec un tache de ketchup sur le haut de l’estomac alors qu’il est en Turquie -, je me sens agressée. Dans mon être. Dans ce que je suis. Dans ma substantifique moelle donc. Car, le touriste – comme s’il était universel et unique, genre LE touriste – n’a pas le vent en poupe ces derniers temps (cf 2e photo), en plus d’être connoté de façon péjorative. Et puis, LE touriste, c’est celui qui traverse la vie sans vraiment s’y arrêter, distraitement ; c’est, par extension, celui qui ne fait pas les choses sérieusement, c’est-à-dire de façon approfondie. Référons-nous à Ortolang. Selon le dictionnaire, le touriste est « celui qui fait du tourisme, qui voyage, pour son plaisir, pour se détendre, s’enrichir, se cultiver ». Franchement, il n’y a pas de quoi s’offusquer ! Et en descendant un peu plus dans la page : « Amateur, personne qui s’intéresse aux choses avec curiosité, mais d’une manière superficielle ». Il devait certainement penser à celle-ci, plutôt, même si, là aussi, cela ne le regarde absolument pas.

Je suis donc une touriste. Comme 1, 1 milliards de personnes en 2014. Et j’irais même plus loin car à vrai dire, à 12h54m41s, nous étions exactement 7 311 706 171 touristes sur Terre. (Ouverture de parenthèse : en écrivant cela, je ne laisse évidemment pas entendre que nous sommes tous heureux, si tant est qu’il s’agisse là de notre quête du Graal à chacun, ni que tout va bien dans le meilleur des mondes – à part celui de monsieur Huxley justement : je suis malheureusement lucide : notre monde part en vrille, à rendre neurasthénique tout optimiste chevronné, alors imaginez un peu les autres. Fin de la parenthèse.) 7 311 706 171 touristes sur Terre donc. Non que nous ayons souvent l’opportunité d’aller faire des treks au fond de Valles Marineris sur Mars ou de l’ULM au dessus de la Grande Tache Rouge sur Jupiter (attention, cette sortie-là est exclusivement réservée aux pros, la zone étant un gigantesque anticyclone – 3 fois la taille de notre planète – balayée par des vents à 600 km/h).

Mais enfin, même si nous partons du principe que la vie a un sens – ce qui reste à prouver -, à l’échelle de l’âge de l’univers – 15 milliards d’années grosso modo -, même en battant le record de longévité de tous les temps actuellement détenu par Jeanne Calment, décédée à 122 ans et 164 jours, et peut-être même Fatma Mansouri, qui serait née il y a 142 ans et toujours parmi nous – l’espèce humaine dans sa globalité – quelque part en Kabylie (j’emploie le conditionnel car la performance vitale ne semble pas avoir été homologuée par les autorités en la matière, et la dame, par ailleurs, ne ressemble pas à l’image que je me fais d’une personne vivant depuis près d’un siècle et demi, mais il faut se méfier des idées préconçues sur les ultra-vieux…), notre passage ici-bas est plus qu’infinitésimal. A peine un clignement d’œil. Nous ne faisons que passer – j’assume la trivialité de cette assertion -, en nous occupant plus ou moins sérieusement – le sérieux de l’un n’étant pas forcément celui de l’autre, les normes sociales venant s’immiscer dans les définitions -, en laissant plus ou moins une trace durable et marquante – on se passerait volontiers de certaines… La vie elle-même ne répond-elle pas à la définition du touriste plus haut ? Et George Brassens, oui George Brassens, n’a-t-il pas dit : « Rester, c’est exister. Mais voyager, c’est vivre. » ? Que je complèterai par cette courte et efficace sentence de Tony Wheeler, fondateur du Lonely Planet qui vendait déjà bien sa cam : « Tout ce que vous avez à faire, c’est décider de partir. Et le plus dur est fait. » Quoi, vous êtes toujours là ?

Suprême insulte

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Le doux ton des rêves

Jusqu’à très récemment, je ne m’étais jamais interrogée sur la couleur de mes rêves, enfin, des rêves en général. Mais une question toute anodine – « Tu rêves en couleurs ou en noir et blanc, toi ? » -, posée sur un bout de trottoir, en plein milieu d’une conversation de coq à l’âne, et à laquelle j’ai machinalement répondu « En couleurs » pour ne pas avouer mon ignorance dont, tout d’un coup, j’avais un peu honte, a tout fait chavirer. Quel stupide réflexe par ailleurs que de se mentir à soi-même et aux autres pour une bête question d’orgueil ! Comment avais-je pu passer toutes ces années à côté de cette question-là, essentielle, alors même que je ne compte plus les interrogations inutiles, vaines et sans fondement qui peuplent mes pensées au quotidien ? Pour me rassurer, j’ai instantanément fait cette hypothèse, convoquant un léger raisonnement par l’absurde pour l’occasion : si j’avais rêvé en noir et blanc, cela m’aurait forcément sauté aux yeux – certes fermés – puisque j’ai la chance de ne souffrir d’aucune anomalie chromatique et donc de percevoir toutes les couleurs possibles – à quelques nuances d’appréciation personnelle près dès lors qu’ils sont ouverts. CQFD. Par ailleurs, une étrange impression m’a alors traversé l’esprit : rêver en couleurs me semblait plus valorisant que de se limiter au noir et blanc. Comme si on pouvait choisir ! Comme s’il suffisait de tourner le bouton « couleurs » avant de s’endormir. On pourrait alors imaginer d’avoir une batterie de filtres à disposition pour rêver en sépia, très contrasté, surex, sous-exposé, couleurs froides, façon sténopé ou plaque de verre… Quoi qu’il en soit, cette micro-analyse ne me permettait pas d’être catégorique quant à la tonalité de mes propres rêves.

J’ai alors essayé de m’en souvenir, non pas du contenu de mes rêves, mais de ce dont ils étaient visuellement constitués, de leur texture, de leurs teintes donc. A nouveau, la couleur s’est spontanément imposée à moi, et j’en tenais pour preuves des aquarelles justement tirées de mes fantasmagories nocturnes que je n’avais jamais eu l’idée de représenter en noir et blanc. Mais là encore, ma retranscription colorée pouvait être imaginaire et exclusivement orientée par ma vie éveillée. Au fond, le doute persistait. De fait, je me suis mise en tête d’y être particulièrement attentive à mon prochain rêve. Ce qui, je vous vois sourire, est une véritable gageure puisque rêver suppose d’avoir atteint un niveau d’inconscience incompatible avec le fait de mener une enquête consciemment et donc d’apporter une réponse claire, précise et indiscutable à la question liminaire. Peut-être, pour en découdre, devrais-je plutôt me concentrer sur cet état de semi-conscience précédant le réveil, où les dernières images construites par notre subconscient se mêlent aux premières sensations d’une nouvelle journée, ce moment où, justement, nos rêves ne se sont pas encore volatilisés, où le reboot matinal automatique s’initialise – je m’appelle Lou Camino, je suis dans mon lit, nous sommes samedi, il faut assez chaud, j’ai rendez-vous dans 2h à l’autre bout de Paris… -, suivi de la formalisation d’une série d’actions à entreprendre dans un ordre très précis pour arriver presque à l’heure ? Une chose est sûre, tout cela demeure un peu flou dans mon esprit…

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Le rocher

Dans quelles proportions les souvenirs se déforment-ils avec le temps ? Lorsque, exemple parmi d’autres, entré dans le monde adulte, nous retournons en des lieux visités ou habités ou aimés enfants, nous nous faisons souvent cette réflexion commune et quasi universelle : « c’était plus grand dans mon souvenir… ». Une simple phrase ou une phrase simple qui illustre la relativité des impressions, comme si elles étaient proportionnelles à notre taille, nous plonge dans les abîmes d’un monde à jamais envolé (au moins de façon temporelle), et nous force à douter de la réalité de tous ces autres souvenirs qui viennent, parfois, faire scintiller notre mémoire comme des lucioles éclairent la nuit.

Ainsi, en arrivant sur cette plage corse en fin de journée, face à cette mer calme habillée d’un camaïeu de bleu et à cette masse rocheuse à l’horizon, que la distance au rivage rend petite alors qu’elle est, contrairement aux souvenirs d’enfants, bien plus grande en vrai, ai-je décrêté que c’était celle vers laquelle nous nous étions élancés, avec quatre amis, un peu inconsciemment – jeunes quoi ! – quasiment 20 ans auparavant. Le soleil avait sans doute un peu trop chauffé nos têtes, pourtant raisonnablement bien cortiquées, pour que, non seulement, nous fomentions ce plan d’aller nager en pleine mer vers un îlot sans grand intérêt à quelques centaines de mètres du bord, mais surtout que nous ne nous arrêtions pas à l’idée de le faire. Car si l’atteindre semblait être l’objectif premier de ce défi que nous nous étions lancé à nous-mêmes, en revenir en était un autre que nous lancions à nos corps plus habitués aux allers-retours en piscine avec pause au pire tous les 50 mètres qu’à un long trajet sans répit possible dans des eaux dont nous ne voyions pas le fond…

Finalement, tout s’était bien passé, nous avions croisé quelques plaisanciers étonnés en chemin, nous demandant si nous avions besoin d’aide, nous avions fait plusieurs fois la planche pour nous reposer, nous nous étions agrippés tant bien que mal à une roche coupante ne se laissant pas aborder avant de refaire le chemin en sens inverse, et de débarquer sur la plage de sable blond, tels des explorateurs, pour nous allonger et faire une sieste bien méritée. Ou peut-être pas. Comme ce rocher, là, au fond, en est sans doute un autre. Mais qu’importe au final. Il sera désormais celui de nos exploits de jeunesse.

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Dans la vie, il y a au moins deux postures – ce qui, en soi, est rassurant car cela signifie que nous avons le choix. La première : attendre, plus ou moins sagement, que ce que nous attendons, voire espérons, survienne. Cela ne signifie pas pour autant que nous attendions passivement. A nous, en effet, de créer les conditions d’une attente intelligente, favorisant la survenue de ce quelque chose, défini ou pas. En revanche, cette première posture requiert de s’armer, d’une part de patience car, comme le dernier souffle, impossible de savoir précisément quand cela arrivera, et, d’autre part, de son corollaire, la persévérance – certains attendent toute leur vie quelque chose qui, au final, ne se sera jamais présenté, mais pour autant auraient-ils agi autrement s’ils avaient su ? – voire l’optimisme – il faut y croire, parfois, vraiment y croire… Bien sûr, l’effort à fournir dépend de la nature du « quelque chose » espéré. Par exemple, attendre quelques minutes sur cet escalier en colimaçon à marches à pois qu’un être vivant passe pour humaniser l’ensemble et habiller l’arrière plan (et presque faire oublier la benne à ordure bleue – ah, vous ne l’aviez pas vue ? Et voilà, maintenant, vous ne verrez plus qu’elle -) n’exige pas du tout le même investissement que de vouloir être la première femme à poser le pied sur la Lune (seul Fritz Lang l’y a envoyée en 1929), si tant est qu’un tel voyage ait encore un intérêt.

Quant à la deuxième posture, d’aucuns l’estimeront plus efficace, plus rapide et plus proactive puisqu’il s’agit de provoquer les choses, ou sa chance, de se créer ses propres opportunités, d’être acteur de changement comme on dit dans le jargon policé des communicants. Patience, persévérance et optimisme sont alors moins utiles que confiance en soi, culot et inconscience. Par exemple, ne pas attendre fébrilement sur les marches à pois de cet escalier en colimaçon, un œil derrière le viseur, un autre dans le monde réel à repérer des silhouettes potentielles, à s’en déclencher une crampe à l’index et à en lasser définitivement notre nerf optique, mais descendre pour arrêter un passant plus ou moins au hasard et lui demander d’emprunter ce chemin de telle ou telle façon pour les besoins d’une très importante expérimentation artistique… Cette posture a l’avantage indéniable de laisser peu de place au doute, phagocyté avant même de prendre ses quartiers, sauf si toutes les personnes sollicitées déclinent l’étrange invitation… C’est possible mais peu probable car le spécimen de la deuxième posture est aussi très convaincant.

La question – enfin, juste une parce qu’il faut bien finir – est de savoir si tous les chemins mènent à Rome, et si, compte tenu de ce que nous sommes chacun, individuellement, nous avons vraiment le choix entre ces deux routes…

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Un jour sans fin

J’aime cette heure de la journée où les hommes, tous âges et tous genres – au sens large – confondus, mettent fin à leurs occupations et, tels des zombies contemplatifs reprogrammés, convergent prestement vers des aires dégagées ; s’y dégotent un petit coin de paradis, celui-là même où ils pourront se poser, puis, les yeux rivés au ciel, perdre paradoxalement toute notion du temps alors même qu’ils l’observent passer au fur et à mesure que s’éclipse l’étoile aux quatorze branches, destinée, chaque jour, à disparaître derrière l’horizon pour en illuminer d’autres. Alors, ils se relèvent, presque en chœur, se dispersent, nonchalamment, dans la pénombre devenant nuit, et s’oublient, les uns les autres. Jusqu’au lendemain, même heure environ, à quelques minutes près, où le même rituel magnétique se reproduit sans qu’ils s’en lassent…

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