Photo-graphies et un peu plus…

… ou la salle d’attente d’un cabinet médical. En poussant la porte, la première question que vous vous posez est : combien y a-t-il de personnes dans la pièce ? C’est-à-dire, à passer avant vous, quand bien même vous avez un rendez-vous et qu’il est pile poil l’heure, ce qui vous fait réaliser, soit dit en passant, que ce sont là les seules occasions où vous êtes ponctuel (à méditer). Trois, quatre, cinq ? La journée est finie ! Vous lancez un bonjour à l’assemblée, qui répond proportionnellement au retard pris par le médecin. En gros, ceux qui attendent depuis 1h30 vous ignorent totalement ou vous regardent avec des yeux désespérés « ça fait une heure que je suis là, j’ai autre chose à faire et encore moins envie d’être poli ! ». Vous vous posez donc sur une chaise, libre de préférence, et c’est à ce moment précis que point la deuxième question : qu’est-ce qu’ils ont  ? En gros, pourquoi vont-ils voir le médecin ? Pour vous, vous savez, mais eux, c’est quoi leur problème ? Elle, en face, elle a une grosse enveloppe à la main, des radios, et un bras bandé… Une chute ? Lui, juste à côté, il n’arrête pas de tousser, tout comme son voisin… Oh, celui-là n’a vraiment pas l’air bien en point, tout rouge, avachi sur sa chaise… Vous pensez à tous ces microbes qui flottent dans ces 8 m2, des microbes que vous n’aviez pas en arrivant, et que vous emporterez peut-être avec vous en sortant, histoire de vous donner une bonne raison de retourner voir le médecin dans 3 jours, le temps d’incuber tout ça…

Conscient de l’inutilité de votre paranoïa microbienne, vous vous tournez alors vers la table. Il y a toujours une table dans une salle d’attente. Il n’y a d’ailleurs pas grand chose d’autre, en plus des chaises. Et sur cette table, où que vous alliez, c’est-à-dire, quelle que soit la spécialité du médecin, il y a des magazines. Souvent, des titres que vous ne lisez pas habituellement, ou alors sans le clamer haut et fort. Vous les scannez du regard, en soulevez un, deux, trois, avant d’en extraire un de la pile et de l’ouvrir… Vous avez une impression de déjà-lu ou entendu, vous refermez le magazine, regardez la date. Novembre 2012. Normal. Vous reposez l’exemplaire, repiochez dans la pile comme si vous étiez en train de faire une partie de loto, vous en exhumez un. Cette fois-ci, avant de l’ouvrir, vous vérifiez qu’il est récent. Mars 2010. Wouah ! Voyage dans le temps… D’un autre côté, ça vous amuse de voir comment on s’habillait il y a 3 ans (si, si, ça change), de redécouvrir les tendances ou les actus de l’époque en sachant ce qui s’est passé après toutes les théories plus ou moins fumeuses développées dans les diverses feuilles de chou, mais bon, vous refermez la bête, bien décidé à trouver un magazine récent, un magazine d’aujourd’hui, un magazine de votre temps. C’est reparti pour un tour de loto, cette fois-ci, vous ne faites que jeter un oeil sur les couvertures à la recherche de la perle rare, vous creusez un peu en sous-sol pour voir si les magazines ne sont pas empilés du plus récent au plus ancien (ce ne serait pas très pratique, je vous l’accorde : le matin, le médecin entrerait dans la salle, déposerait tous les magazines sur sa moquette grise, poserait le dernier numéro de Modes & Travaux sur la table avant de le couvrir de toute la pile passée… tordu !). Mais non, tout est daté, tout est obsolète, tout a déjà été feuilleté, peut-être par d’autres patients d’autres cabinets. C’est parfait si vous avez 2 ou 3 ans de retard dans les nouvelles du monde. Mais où sont les numéros du présent ? Et pourquoi ne pas les mettre à disposition, comme les autres ? Par crainte du vol ? Qui irait, en effet, emprunter (restons innocent) un numéro vieux de 2 ans ? Les questions sans réponses se multiplient, vous êtes perdu dans vos pensées mais quelque chose, un son, vous ramène à la réalité… C’est votre tour ! Le médecin est à la porte et vous appelle. Pendant que vous tergiversiez avec ces feuilles d’un autre âge, la salle s’est vidée (quid des microbes ?), la nuit est tombée (ce n’est définitivement plus l’été), vous n’avez rien lu et le temps a filé, presque sans que vous ne vous en rendiez compte, et alors même que le contenu de votre attente a été de constater que le temps était déjà passé…

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Une abeille est entrée dans la cabine pendant que Bob, appelons-le Bob, mon héros récurrent américain – ce qui, soit dit en passant, me refait penser à une lointaine et amusante incompréhension orale… Un cours sur la télévision pendant lequel le professeur se met à nous parler des films aéro-récurrents… Aéro-récurrents, j’entends bien mais je m’interroge sur la nature exacte de cette catégorie tout en m’étonnant que les films sur l’aviation constituent une niche si importante. J’avoue que cela m’avait complètement échappé… Jusqu’à ce qu’une ampoule de 40 W s’allume dans ma petite tête et que je réalise qu’elle ne parlait aucunement des exploits de Mermoz ou autre Dieudonné Costes mais de films « à héros récurrents ». En somme, de personnages de séries. Je me suis sentie bien bête.

Mais revenons à Bob dans sa cabine, tranquillement en train de boire sa bière et d’écouter un peu de country, un vieux tube de Bill Monroe qui passe à la radio. Bob, une force de la nature d’1m98 – il doit plier la tête pour entrer dans son cockpit, ses genoux touchent le volant pourtant surélevé et il est obligé d’écarter un peu les jambes pour conduire, ce qui, à la fin de la journée, lui provoque toujours de douloureuses crampes. Bob n’a peur de rien. Sauf des abeilles. Imaginez donc sa réaction en réalisant que l’une de ses représentantes s’est égarée dans son univers d’un mètre cube ! Il a attrapé son magazine d’août sur les tracteurs nouvelle génération de la main gauche pour taper partout où passait l’hyménoptère, en vain évidemment, tout en dirigeant son imposante machine avec son bras droit. Enfin, dirigeant, c’est un bien grand mot quand on voit les traces qu’il a laissées dans son beau champ de blé jeune au terme de cette bataille hors normes qui s’est soldée par trois piqûres, deux bleus (de malheureux coups de magazine sur le visage) et une abeille méchamment secouée mais bien vivante. Seule explication tangible à cette errance motorisée…

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On trouve de tout sur les bords de route et parfois même, des mystères. Il y a ce qui nous désole et/ou nous agace – des canettes de bière, des papiers, des chaises, des sacs plastique, des cagettes, des bouteilles, le tout jeté par des automobilistes de passage confondant la nature avec une poubelle géante -, il y a ce qui nous attriste et/ou nous dégoûte – un hérisson écrasé, un renard écrasé, un hamster écrasé, un raton laveur écrasé, une biche renversée par les mêmes automobilistes (mais pas forcément les mêmes au sens propre) – et il y a ce qui nous étonne et/ou nous ravit – un sapin décoré comme à Noël perdu dans la forêt, un chien côté conducteur, une mini-tornade dans un champ soulevant des brins de paille, vus ou pas par les automobilistes concentrés, ou pas.

Les arbres à chèvres font partie de cette dernière catégorie. J’en ai vu une fois au Maroc, j’étais passagère, j’ai cru à une hallucination, c’est passé vite, nous n’avons pas pu nous arrêter, le chauffeur avait l’habitude lui, il ne les voyait plus, mais moi, j’étais stupéfaite, je pensais à Newton et à sa pomme et me disais que des chèvres perchées sur des branches aussi fragiles, c’était impossible, elles ne pouvaient que tomber et se casser les pattes en arrivant au sol. J’avais tort.

Quelques années plus tard, j’ai croisé un arbre à chaussures sur un bord de route reliant nulle part à nulle part, autrement dit, au milieu de nulle part. Je conduisais cette fois-ci. Je l’ai d’abord dépassé – vitesse et surprise obligent : on ne s’attend pas à grand chose au milieu de nulle part, à part s’ennuyer un peu – mais je l’avais bien vu – même si, j’ai, un instant, à nouveau cru à une hallucination. Freinage donc, assez sec, puis marche arrière sans me donner la peine de changer de voie car l’on ne croise pas grand monde au milieu de nulle part, jusqu’à me retrouver face à cet arbre bizarrement chaussé. Des chaussures par paires, lacées, jetées dans l’arbre quasi caduque, jusqu’à ce qu’elles s’y accrochent fermement, qu’elles s’y entassent et s’y perdent. Arbre, sur le bord de la chaussée donc, mais surtout, je me permets de le rappeler, dans un no man’s land où la première boutique de chaussures est probablement à 247 miles. Rien à voir, donc, mais certainement leur déclinaison campagnarde malgré tout, avec les chaussures catapultées sur des câbles électriques en pleine ville, qui sont tout autant énigmatiques…

Dans ce cas précis d’arbor pedibus, plusieurs questions se posent quant aux motivations profondes des jeteurs de baskets (ce qu’il y a en masse) et la chronologie des faits… Au même titre que je ne cherche à savoir qui de la poule ou de l’œuf est arrivé en premier, je ne me pencherai pas vraiment sur celui qui a jeté la première pierre, enfin, chaussure. Peut-être un ex-urbain voulant perpétuer une tradition locale, ou quelqu’un, comme ça, désirant voir jusqu’à quel point les gens étaient prêts à faire quelque chose d’insensé simplement parce qu’une personne avait commencé à le faire et qu’ils en déduisaient que ça avait forcément un sens pour elle, même s’ils n’étaient pas en mesure de l’appréhender ? Mais à qui appartiennent ces pompes, parfois dans un état tout à fait honorable ? Aux gens du coin ? Aux zouaves qui, après avoir jeté une canette et écrasé un hérisson, se sont dits, « pourquoi pas larguer mes shoes maintenant » ? Ou à des gens comme moi, par exemple, passant devant l’arbre en allant d’un point A à un point B, remarquant sa singularité, rebroussant chemin et trouvant cette initiative si fascinante qu’ils s’extraient de leur voiture, enlèvent leurs chaussures, les attachent l’une à l’autre et les envoient le plus haut possible dans l’arbre, participant ainsi à la croissance d’un projet indéfini sur lequel ils n’ont aucun indice ? Allez savoir… En tout cas, j’ai conservé les miennes ! C’est plus pratique pour conduire !

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Il a fallu faire un sacré détour pour les trouver et le tapis de neige hivernal n’a pas facilité pas les recherches… Mais au terme de 2h34 de marche par -17, elles sont apparues, dépassant à peine de la surface pour certaines : les flèches de la bataille de Tehukatemak. Intactes malgré les épreuves du temps et étrangement concentrées, laissant imaginer la violence, mais aussi le chaos, de l’attaque qui s’est tenue dans cette orée en 1893 ainsi que la taille de l’ennemi. Un ennemi sur lequel il plane d’ailleurs une légende incroyable. Tous les témoignages des assaillants de l’époque concordent : il se serait volatilisé juste avant que la salve de flèches ne l’atteigne, comme par magie…

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Il y a d’une part ce que la photo montre et semble dire, et d’autre part, ce qu’elle ne montre pas mais dit malgré tout à la personne qui l’a prise. Ce qu’elle dit et montre à tous : un lever de soleil sur une rizière en étages. On devine, ou imagine, un moment de grâce matinale, de calme vivifiant, d’élévation spirituelle, de profonde sérénité. Ce qu’elle ne dit pas ni ne montre : ce qui s’est passé avant, ce qui s’est passé après, et qui se rappelle à mon bon souvenir en la regardant.

La veille, plus haut dans la montagne, sur un étroit plateau surplombant la vallée, un orage aussi effrayant que magnétique, des éclairs hauts comme le ciel hésitant chaque mètre sur la direction à suivre pour atteindre le sol, un tonnerre au grondement et à l’écho décuplés par la caisse de résonance formée par la vallée, des nuages noirs et denses gorgés d’eau. Un spectacle assourdissant et palpitant. Une démonstration de puissance sans égal possible. Un rendez-vous avec les éléments.

L’après-midi, après la traversée des rizières pour rejoindre la colline d’en face, le souvenir d’une mésaventure embarrassante. Le guide se tourne vers nous et nous conseille de vérifier qu’aucune sangsue ne s’est accrochée à nos mollets pendant que nous dévalions les pentes de façon insouciante. Chacun scrute ses jambes en quête de ces petites bêtes visqueuses noires pompeuses d’hémoglobine. Rien pour moi. Quelques centaines de mètres plus loin, une voyageuse commence à se dandiner, puis à vraiment s’agiter. Elle disparaît dans la végétation, mue par une sorte d’urgence non maîtrisée. Et revient quelques instants plus tard avec une nouvelle qui a suscité une étrange grimace chez tous ceux qui l’ont entendue : une sangsue avait réussi à se glisser dans sa culotte… Ah, vous voyez, vous aussi, vous la faites, la grimace !

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Vous comprendrez, j’espère, que cet endroit doive rester secret… On se transmet son emplacement exact de génération en génération, et, un peu comme avec les astrophysiciens, il faut qu’un membre du groupe trépasse pour pouvoir en introniser un nouveau. C’est que ce qui s’échange là, à l’abri des regards et en silence, est extrêmement précieux. Le luxe ultime pour certains !

En journée ou en pleine nuit, peu importe, c’est ouvert 24h/24, deux populations se croisent derrière ce mur de crépis blanc cassé : ceux qui s’ennuient, qui ne savent que faire de leur temps, qui estiment en avoir trop et qui préféreraient que les journées soient plus courtes, et ceux, au contraire, qui n’arrêtent pas de courir après lui, qui n’en ont jamais assez pour accomplir tout ce qu’ils ont prévu, qui vivent d’optimisation et de frustration, et qui rêveraient de journées plus longues. Ainsi les premiers s’y rendent-ils régulièrement pour déposer une minute de leur temps – pas plus de 8 fois par jour – que les seconds s’empressent de récupérer – pas plus de 8 fois par jour également.

Vous me direz qu’avec une minute par ci, une minute par là, on ne va pas très loin. Ce à quoi je vous répondrais : détrompez-vous ! Car il y a en fait deux écoles chez les récupérateurs de temps : les cigales, autrement dit, ceux qui sont incapables de thésauriser et qui utilisent leurs minutes dès qu’ils les obtiennent comme si elles leur brûlaient les doigts, et les fourmis, qui, jour après jour, les mettent de côté, un peu comme un compte épargne temps classique, et qui, au bout d’un certain laps de temps, se retrouvent avec un, deux, trois jours, une semaine de plus, cagnotte dans laquelle ils ponctionnent en cas d’urgence, atteignant ainsi une sérénité remarquable.

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Ce « drapleau », c’est la première chose que j’ai vue en entrant dans la salle des mariages de l’hôtel de ville de Villeurbanne, l’une des pièces maîtresses du quartier des Gratte-ciel. Cet ensemble architectural symbolique du mouvement moderne, remarquable et unique en France, a été conçu dans les années 30 en guise d’habitat social et de cité ouvrière. Allez, faisons la parisienne de base. Je dois avouer, en tant que parisienne de base donc, que la ville de Villeurbanne ne m’a jamais fait fantasmer. Je ne me suis jamais réveillée, un matin, en me disant : « Il faut absolument que j’aille à Villeurbanne ! ». Et, même si c’est affreusement injuste et totalement subjectif, j’aurais tendance à penser que c’est à cause du nom même de la ville. Villeurbanne. Villeurbanne, comme pourrait le dire Harry, ça fait ta feuille d’impôt, ça dévitalise une dent, mais l’extase, non… Heureusement, il y a les mariages pour vous faire aller là où vous n’iriez pas spontanément et, par la même occasion, ravaler vos a priori.

Mais je m’égare. On rembobine. Le drapleau. Point de départ. Quelle étrange idée, dans une institution nationale, que ce tableau… Première pensée, furtive : le drapeau était fixé plus haut sur cette feuille quadrillée et, évidemment, était bien droit ; les attaches ont lâché ; la mairie n’a pas eu le temps de s’en occuper. On a tous un tableau penché chez nous, ou un cadre avec une photo qui se décolle. Pour autant, on ne se jette ni sur l’un ni sur l’autre pour les redresser… Néanmoins, dans une mairie, on imagine un minimum de discipline. Conclusion qui nourrit la seconde pensée, pérenne : il n’y a pas d’erreur, ce drapeau français en pleine dégringolade est une œuvre d’art (en l’occurrence et après recherche : « Le drapeau libre » de Jean-Pierre Raynaud), peut-être même une commande, tout est donc fait exprès ! Mais alors, comment interpréter sa présence dans ce lieu aussi symbolique? Un pied de nez à l’institution ? Une conscience aiguë de la futilité du pouvoir ? Une illustration de la fragilité du pays ? Ou, au contraire, une prise d’indépendance vis-à-vis de la rigidité des règles établies ? Alors même que, en y réfléchissant un peu, un drapeau ne peut jamais être parfaitement droit, hormis sur les dessins d’enfants…

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Ce matin-là, je m’approche de mes chaussures comme je l’ai fait la veille et encore l’avant-veille. Des chaussures de rando. Je ne suis pas en pleine montagne pour autant, mais à Detroit, Michigan, la paria du moment. Mais contrairement à la veille ou l’avant-veille, mes chaussures sont différentes : leurs lacets sont faits. Et plutôt bien, même. Cela n’a l’air de rien, dit comme ça a posteriori, mais sur le moment, je reste sans voix. J’attrape une chaussure, teste le lacet, confirme qu’il est parfaitement noué et ne peux m’empêcher de lancer, à voix haute : « Ce n’est pas moi qui ai fait ces lacets ! ». Je suis catégorique, j’ai – généralement – une très bonne mémoire des gestes, encore plus lorsqu’il s’agit potentiellement des miens. Or, face à cette paire bien posée le long du mur de la chambre et à ces lacets faits (un double nœud qui plus est !), c’est le trou noir. D’autant plus sombre et profond que je ne peux pas retirer ces chaussures montantes sans les dénouer comme on peut le faire un peu sauvagement en s’aidant d’un pied pour pousser sur le talon de l’autre, lui permettant ainsi de se libérer. De cette impossibilité mécanique découle l’unique conclusion qui vaille : quelqu’un d’autre a profité du fait que je sois endormie pour s’occuper gentiment de mes chaussures !

L’explication cartésienne écartée, deux autres hypothèses me viennent rapidement à l’esprit. La première ? Un événement atroce serait survenu dans cette maison des années auparavant, une mère ayant péri dans un incendie accidentel (une bougie tombée sur le parquet et enflammant les rideaux de la chambre où elle dormait) laissant ses deux enfants orphelins. Depuis, certaines nuits, elle revient faire les lacets des chaussures des occupants du moment, comme elle aurait voulu le faire avec ses propres enfants dont elle avait été dramatiquement séparée… C’est crédible.

La seconde hypothèse, bien que du même acabit, me semble tout aussi plausible. Voyez-vous cette dame entourée de quatre gaillards en tenue de marin sur la photo ci-dessus, en premier plan ? Et bien, cela pourrait être elle aussi. Qui a refait mes lacets pour me remercier de l’avoir choisie et extraite de cette boîte à souvenirs perdus posée sur une table basse en formica d’une brocante du Eastern Market de la ville, boîte où elle aurait pu croupir encore des années, coincée entre un jeune couple sur une barque et une photo floue d’une famille devant leur maison. Ils ont certainement une foule d’histoires à se raconter, les uns et les autres, piégés dans ces bouts de papier sans couleurs, mais j’imagine qu’après quelques années, malgré les brassages imposés par les mains anonymes et pas toujours délicates plongeant dans la boîte pour faire remonter les souvenirs à la surface, interrompant parfois par ce geste anodin de passionnantes conversations, ils finissent par tourner en rond, ressasser les mêmes anecdotes et finalement, trouver le temps long…

J’ai été cette main anonyme qui a remué le passé. Cette photo-là m’a vite attirée. Premier réflexe : la retourner pour en savoir plus. Pour seules informations : WWII et 3. La seconde étant le prix du souvenir en dollars, la première son origine dans le temps. Rien de vraiment précis. Une époque. La 2e guerre mondiale. Si lointaine aujourd’hui que l’intégrité de la photo paraît miraculeuse. Un retour de guerre à en croire la joie irradiant leurs visages à tous les cinq. 1945 alors ? A la Libération ? Au moment du retour au bercail ? C’est une photo posée. L’éclairage est trop parfait, et puis, il y a un décor, au fond, de végétation derrière une fenêtre. Ont-ils fait la guerre ensemble ? Et cette femme, au milieu, était-elle l’amie de celui qui l’entoure de ses bras victorieux ? J’extrais la photo du coffre en continuant à m’interroger sur leurs vies respectives. La nouvelle se propage dans la boîte, mais c’est à peine si j’entends le léger murmure qui me suit, un magma d’au-revoir que s’échangent ceux qui partent à tout jamais et qui restent. C’est un peu comme si j’adoptais des souvenirs auxquels je n’aurai probablement jamais accès…

Arrivée à la caisse, je tends la photo protégée dans du cellophane au maître de cette caverne d’Ali Baba. Il la retourne machinalement et encaisse mes 3€ sans même les regarder une dernière fois. Ils ne sont rien, ou plus rien, pour lui, alors que je m’attache déjà à ce quintet joyeux. Ce qui n’est pas sans m’étonner d’ailleurs : je ne suis pas spécialement attirée par les uniformes, encore moins par les images mettant la/les femme/s dans une posture de femme objet ou assimilé, ce que le déséquilibre numérique de l’image et l’affection guillerette de ces hommes privés de tendresse pendant une durée indéterminée peuvent laisser entendre. Je range méticuleusement la photo dans mon carnet de telle sorte qu’aucun coin de l’image ne vienne à se corner et poursuis mon chemin, sans y penser, ou presque, jusqu’à ce matin-là donc. Face à mes lacets noués et à ma seconde hypothèse. C’est elle, c’est sûr. Heureuse de revivre à nouveau dans l’esprit d’une personne d’un autre temps et à l’idée de s’envoler vers ce vieux continent qu’elle n’a connu qu’aux travers des récits de ces anciens guerriers rieurs…

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Magie féérique de cette improbable nuit américaine… Je me réveille dans une sombre barque au milieu d’un fjord scandinave sans savoir comment je l’ai atteint – je ne trouve aucune rame – ni comment j’ai gagné la frêle embarcation. Tout autour est incroyablement calme, immobile et silencieux, comme si le temps qui passe s’était arrêté là où le mouvement, le bruit, sont, d’habitude, incessants. Je voudrais rejoindre ce port, au fond, dont les maigres lueurs sont autant de signes de vie rassurants mais je suis incapable de bouger. Ce ne sont pas mes muscles qui résistent, mais mon esprit irrationnel : il ne veut pas souiller l’équilibre parfait sur lequel je parais flotter et qu’un simple tressaillement de ma part briserait en une fraction de secondes, faisant à jamais disparaître ce dialogue mi-diurne mi-nocturne entre le ciel et la mer, autant sublime qu’irréel.

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Nous ressentons parfois le besoin de cacher certaines choses. Je ne parle pas de secrets, mais plutôt d’objets bien concrets, palpables, physiques que nous désirons mettre en lieu sûr pour une raison (nous abandonnons le navire amiral pendant un temps certain) ou une autre (le caractère précieux, réel ou pas, de la chose en question que nous ne pouvons pour autant pas avoir sur nous en permanence). Deux places de spectacle achetées un an à l’avance (oui, dans la vie, vous êtes quelqu’un qui anticipez), les négatifs de photos compromettantes (vous en transe à un concert de Céline Dion il y a 20 ans), un diplôme de funambule rempli à l’encre sympathique (enfin, c’est ce que vous vous dites pour vous rassurer), une liasse de faux billets de 500 euros (ça peut toujours servir), le premier collier en coquillettes que vous a offert votre petite dernière pour la fête des mères (à faire cuire en cas de disette)… Bref, les exemples ne manquent pas.

La première question qui vient à l’esprit lorsque l’on souhaite cacher quelque chose (certains diront simplement « ranger ») est évidente : où ? Sous les lattes 3 et 4 du lit de la chambre bleue, dans le double fond du coffre rouge acheté à la brocante de Marcq-en-Baroeul l’été dernier, dans la bibliothèque du couloir entre « Les chroniques de l’oiseau à ressort » de Haruki Murakami et « La disparition » de Georges Perec (non, effectivement, vous ne rangez pas vos livres par ordre alphabétique mais par ordre d’arrivée dans votre vie), dans le sac à linge sale où agonise la fameuse chaussette abandonnée du sac à linge sale… A nouveau, les planques ne manquent pas. Elles se multiplient même dangereusement si, dans un élan de douce folie, vous décidez de cacher vos trésors hors du périmètre de votre lieu de vie. Et c’est souvent naïvement aveuglé par une logique que vous pensez inaltérable et implacable que vous placez ladite chose à l’endroit élu en étant intimement persuadé que vous vous en souviendrez parfaitement le jour, potentiellement lointain, où vous souhaiterez l’en extraire. Car comme le dit l’adage, « Logique d’un jour, logique toujours ! »

En phase avec vous-même, vous sauterez sans filet et ne prendrez donc pas la peine de noter (même en langage crypté) vos petits arrangements internes. Pourtant, malgré tout cet optimisme, le jour venu, vous aurez beau tourner et retourner dans tous les sens cette logique que vous pensiez sans faille, vous ne réussirez pas à reproduire le raisonnement qui vous avait poussé à déposer vos places de concert dans l’armoire à pharmacie derrière la bouteille de mercurochrome… C’était pourtant logique à l’origine : vous aviez dû littéralement vous battre au guichet avec un groupe de jeunes sauvageons pour acheter les deux dernières places et aviez pris quelques coups de griffes dans la bataille. De retour chez vous avec vos précieux sésames, vous vous étiez alors désinfecté et aviez eu cette lumineuse idée du mercurochrome. Comment oublier ? Mais ce n’est que quelques jours après le concert, manqué donc, que vous retomberez dessus un peu par hasard : votre petite dernière s’étant égratigné le genou droit en tombant de la chaise sur laquelle elle était montée pour attraper ce qu’elle croyait être son doudou perdu en haut de l’étagère et qui n’était, en réalité, que son premier collier de coquillettes !

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