Je ne le sais pas encore, mais dans quelques minutes, au détour d’un virage à 90 degrés, je serai moi-même sur cette portion de route semblant jaillir de cette terre ocre pour mieux y retourner un peu plus loin, effrayée qu’elle est sûrement par ce ciel menaçant l’Atlas proche, et qu’actuellement je m’évertue à saisir. Je ne le sais pas encore mais il y aura de la neige sur les cols que je passerai à l’horizon montagneux. A ce moment, je ne sais pas encore non plus que, amusée par le contraste, je prendrai une photo d’une borne kilométrique indiquant la distance jusqu’à Marrakech recouverte d’une fine couche de cette neige inattendue après dix jours de marche dans un désert chaud, sec et aride. Comme s’il me fallait ramener une preuve. Et sans les images, prises il y a une bonne dizaine d’années, aujourd’hui, je ne saurais probablement plus rien de tout cela. Souveir du Maroc. Pardon, souvenir.
En fait, la formule exacte est : « ça ne rend pas bien en photo mais c’était vraiment splendide ! » ou, le cas échéant, « On ne s’en rend pas compte sur la photo mais c’était vraiment gigantesque ! ». Comme si la représentation du réel pouvait être différente du réel lui-même… (Bien sûr !) Comme si le réel résistait à la mise en boîte… (Pourquoi pas ?) Comme si l’appareil photo, avec l’humour qu’on lui connaît, se disait : « Tiens, si je changeais un peu l’image. Elle est vraiment trop belle ! Je ne vais pas lui laisser croire qu’elle peut tout prendre comme ça, facilement ! » (Limite impossible…) Evidemment, cela fait naître une véritable frustration, voire déception, à la découverte des photos, que nous ne nous arrêtons pas de prendre pour autant même si, avec l’expérience, nous parvenons à anticiper les images qui ne seront pas à la hauteur de la réalité et qui ne nous ferons donc pas vibrer de satisfaction lorsque, des années après, nous parcourrons l’album dans lequel nous les aurons malgré tout conservées. Car, même « si cela ne rend pas » – une étiquette qui leur restera collée au papier toute leur vie -, elles suffisent à raviver des souvenirs ! Et c’est parfois le plus beau cadeau que peut nous faire une photographie…
Vous êtes là. Il fait chaud. Une chaleur inhabituelle même si annoncée. 48°C peut-être. La clim’ est éteinte, les fenêtres sont ouvertes. Juste un conseil, presque un ordre en fait, comme ça, donné à l’entrée de la Vallée. Vallée de la mort, c’est son nom. Tout est dit, ou presque, dans ce nom. Il faut la traverser. Il faut traverser ce no man’s land. Il faut traverser ce vide qui n’en est pas un. Vous roulez, vous n’en pouvez plus de cette chaleur suffocante, de cet air brûlant qui entre et sort de la voiture sans vous rafraîchir. Vous parlez, vous commentez, vous parlez du rien. De ce rien immense qui s’étend et que vous êtes en train de traverser, l’air de rien. Et puis, vous ralentissez jusqu’à vous arrêter complètement. Vous stoppez le moteur. Sortez de la voiture. Vous vous avancez au milieu de la route. De cette route à sens unique qui semble elle-même déclarer forfait avant la fin. Vous patientez là, quelques secondes, sans rien faire, si ce n’est scruter l’horizon. Et tout d’un coup, vous réalisez. Vous réalisez que vous n’entendez rien. Strictement rien. Pas un craquement de sel, pas un brin de vent, pas un moteur lointain, pas un cri d’oiseau, pas un souffle de vie. Le silence. Le vrai. Celui que, la plupart du temps, vous ne pouvez qu’imaginer, nos vies étant tellement bercées par le bruit. Cela détonne, le silence. Ce silence-là dans cet espace-là. Qui donne à la fois l’impression d’être seul au monde et en même temps, d’être enfin en communion avec lui. Une sensation à la fois réconfortante et inquiétante. Soudain, l’ambiguïté vous bouscule. Vous commencez par bouger un pied. Un mouvement qui fait crisser quelques cailloux sous votre semelle. Vous l’avez entendu. Vous êtes rassuré. Vous vous sentez mieux. Vous n’avez pas encore ouvert la bouche pour parler, mais vous savez déjà que la première chose que vous allez dire, juste avant de remonter dans votre voiture et de faire vrombir le moteur, est : « c’est fou ce silence quand même ! ».
Lorsque nous faisons des milliers de kilomètres pour nous rendre dans des lieux prétendument remarquables (et nous savons bien qu’ils le sont puisque, au préalable, nous en avons cherché des images dans des livres, des guides, sur Internet, une curiosité maladive nous gâchant partiellement la surprise…), et par ailleurs situés en plein désert (ce qui nécessite un certain effort de la part des visiteurs), nous espérons secrètement, autant que naïvement, non pas les découvrir seul(s) – pure illusion -, mais au moins en petit comité.
Pouvoir entrer dans ce canyon aux couleurs ocres à l’heure où le soleil est au zénith sans faire la queue ; y errer librement sans que le regard ne se heurte à un autre corps découvreur ; apprécier la chute de température sur nos bras découverts, la chair de poule naissante, en passant de la lumière à l’ombre sans entendre qui que ce soit se fendre d’un « il fait froid tout d’un coup » ; suivre les particules de poussière jouant avec la gravitation révélées par les rais du soleil ayant réussi à se faufiler entre les parois rocheuses rapprochées et lissées par les flots sans sentir la pression montante d’un autre groupe en approche… En somme, inspirer et expirer avec l’espace. Dans la pratique, milliers de kilomètres et désert n’y font rien, et il faut souvent réussir à composer avec les autres. Donc, ralentir le pas, se mettre à l’écart, les laisser avancer jusqu’à ce qu’ils disparaissent définitivement et ainsi, être en mesure de capter cette fenêtre où nous serons enfin seul au cœur de la place. Le répit est de courte durée, mais, heureusement, il existe…
Il n’y a rien, ou presque, qui sorte de cette terre désertique à des kilomètres à la ronde, hormis cet arbre noir, sec et étrangement seul. Comme s’il avait été abandonné là, sur le bord de la piste, comme un chien ou un chat sur une aire d’autoroute le premier jour des vacances d’été. L’a-t-il toujours été, seul, cet arbre ? Une forêt recouvrait-elle cette terre aride à une époque ? Et qui était là en premier, l’arbre ou la route ? Indépendamment de la réponse à cette question, pourquoi sont-ils si proches l’un de l’autre alors qu’il y a tant de place autour ? Et comment expliquer, enfin, que, sur une zone vraisemblablement vierge et sans contraintes (pas de cours d’eau, pas de crevasse, pas de montagne…), l’homme préfère tracer une route sinueuse plutôt qu’une ligne droite ?
… cet endroit est fascinant ! N’allons pas pour autant dire qu’il est perdu au milieu du désert, même si c’est un peu le cas ; ni qu’il n’est pas très connu, même si Kolmanskop remporte certainement moins d’écho que Tataouine… Ce village fantôme est situé à quelques encablures ensablées de Lüderitz. Le point d’interrogation est toujours là ? Windhoek est la capitale de ce pays où, autrefois, on allait à la pêche au diamant. Certains mineurs croient d’ailleurs toujours au miracle à Kolmanskop, officiellement abandonnée au mitan des années 50 après 42 ans de vie plus ou moins intense, ou plus précisément, après 10 ans de rêve éveillé et 32 années de désenchantement continu. A l’époque faste, la ville a même été la première de l’hémisphère sud à équiper son hôpital d’une machine à rayon X et la première d’Afrique à se doter d’un tram.
Passé ultra moderne. Solitude présente. Entre les deux, le Namib a fait son chemin. Et quand le désert avance, c’est la vie qui s’en va. (!) Et qui revient, parfois, des années après, sous une autre forme, avec d’autres rêves. Non pas celui de trouver une de ces précieuses pierres mais de pouvoir découvrir avec ses propres pieds, avec ses propres yeux, avec son propre cœur curieux cet univers qui s’effrite, s’effondre, se craquelle de tous côtés, se fait engloutir, avaler par le sable, et même transpercer par les rayons du soleil, qui, lui, comme demain, ne meurt jamais. Contrairement aux diamants, faussement éternels…
Il ne reste plus que quelques heures pour participer à la 6e génération d’Objecti3280. Elle a ouvert avec 243 échos à poster vendredi soir. Il en reste 75 à proposer d’ici ce soir. Objectif3280 fonctionne sur la base d’associations d’idée. L’idée est d’apporter une suite aux photographies postées par les participants de la génération précédente. […]
Share on FacebookC’est étrange, on dirait que j’ai un peu le trac… Je teste virtuellement différentes deuxièmes phrases – celle-ci donc – en nettoyant nonchalamment les lettres de mon clavier comme s’il s’agissait de l’urgence du moment. C’est le trac, ça, non ? Un de ces petits gestes apparemment anodins qui nous trahissent lorsque nous sommes confrontés […]
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