J’ai cherché une idée, j’ai cherché une image et puis je suis tombée sur celle-ci et je me suis dit que ce serait celle-là. L’image de cette petite fille au bras tendu et à la main délicatement posée sur cette immense et épaisse vitre derrière laquelle se déploie un monde habituellement invisible. Et j’ai pensé : je voudrais que cette petite fille – vous, nous, moi -, qui devrait avoir la vie devant elle, puisse tranquillement continuer à observer ces milliers de petites bulles d’air remonter à la surface, à s’en s’émerveiller et, plus tard, à rêver d’ailes.
Quand, à l’autre bout du monde, on se retrouve face à un restaurant ou une boutique portant un nom en français alors même que le dialecte local lui est totalement étranger, on se laisse volontiers porter par une onde de chauvinisme tout en célébrant la puissance du rayonnement culturel hexagonal. Et si, le plus souvent, le nom est choisi à bon escient, il arrive aussi qu’il laisse dubitatif. Comme ici, avec cette boutique de chaussures d’une galerie commerciale de la gare d’Osaka étonnamment appelée « Cocue ».
Hypothèse spontanée : c’est une pure coïncidence ; ce n’est pas du français (qu’est-ce donc alors ?) et ce mot ne fait pas référence à l’infidélité qu’on lui prête sous nos latitudes. Mais cette hypothèse vacille assez rapidement : ne semblent en effet être vendues que des chaussures pour femmes, ce qui justifierait l’accord de l’adjectif. Par ailleurs, vous aurez certainement noté la couleur des murs – jaune -, qui nous renvoie instantanément à cette couleur imaginaire – le jaune cocu -, expression typiquement française faisant bien écho à une tromperie subie… Bref, tout porte à croire que ce « Cocue »-là est bien notre « cocue ». Reste à savoir qui les a mis sur cette étrange et étonnante piste. A moins que les gérants n’aient volontairement joué la carte du cynisme, teintée d’une once de misogynie, en appelant chaque femme dupée à se réconforter en trouvant nouvelle chaussure à son pied…
Certes, au volant, ce brillant et frontal soleil couchant peut être incommodant voire aveuglant. Mais je ne peux m’empêcher de le trouver touchant et troublant. Tel un coureur de fond convoquant ses ultimes ressources dans un héroïque sprint final avant de s’effondrer à l’abri des regards pour reprendre son souffle et repartir de plus belle, notre étoile – dont la désarmante banalité à l’échelle de la Voie Lactée tranche sensiblement avec le rôle absolument déterminant qu’elle a joué dans l’apparition de la vie sur notre petite planète bleue – lâche les rais les plus puissants et éclatants de la journée, ceux-là même qui redessinent le monde à coups de scalpel doré, avant de s’effacer rapidement sous l’horizon et de nous envoyer la nuit pour seule compagne… Avec ses milliards d’étoiles.
Cela s’est passé à un feu tricolore. Niveau le plus élevé sur l’échelle du non-mouvement. Rouge. J’étais perchée sur mon fidèle destrier – 22 kgs tout mouillé -, celui-là même avec lequel je traverse la vi(ll)e les cheveux – courts – au vent, mon bien nommé Vélib – chaque fois différent certes -, et j’ai senti que c’était le moment idéal. Idéal pour dire ce que j’avais sur le cœur, annoncer à voix haute ce qui me trottait dans la tête depuis un certain temps, quand bien même cela allait en désarçonner plus d’un. Le pied droit posé au sol, la main droite figée sur le frein, je me suis donc tournée et j’ai lancé, le plus sereinement et sérieusement possible :
– Je crois que j’ai envie de me faire tatouer.
J’avais réussi à énoncer ma phrase d’une traite et sans bafouiller. Et j’en étais étrangement fière. Dire les choses est parfois aussi complexe que de les réaliser.
Silence parmi les cyclistes. Puis rire. Et réplique.
– On dirait que tu fais un coming out !
Vert. Voilà, je venais donc de faire mon coming out de tatouage ! Moi, moi qui n’avais jamais souhaité la moindre intervention sur mon corps susceptible d’en altérer l’intégrité, tout d’un coup, ou presque, je souhaitais me faire tatouer. C’est-à-dire faire apposer des marques indélébiles sur ce sanctuaire. Mon aveu rendu public, plusieurs questions restaient néanmoins en suspens : pourquoi, où, par qui, quoi et quand ? Le « pourquoi » est une question fondamentale intimement liée au « par qui ». Ainsi, sans la rencontre – virtuelle seulement – avec le sublime et subtil travail de Roberel, l’idée même de me faire tatouer aurait glissé sur ma peau comme une goutte de pluie sur une feuille de nénuphar, autrement dit, sans laisser de trace. C’est donc là le point de départ d’une envie, d’un revirement de situation.
Mais si l’envie insinue le doute, la mise en évidence d’une raison vient lui donner plus de corps, plus de crédit en quelque sorte. Et cette raison me semble être à la fois politique et humaine, si tant est que cela ait un sens. Car cette soudaine envie de me faire tatouer, aussi étrange que cela puisse paraître, y compris à mes yeux, est née d’une réaction épidermique face au sort des réfugiés risquant leur peau pour une vie meilleure, face à ces inégalités de naissance contre lesquelles il peut sembler utopique ou naïf de lutter…
Tout d’un coup, j’ai eu envie de faire graver sur ma peau, dans ma chair, et de façon irréversible, cette idée que j’étais un être humain ; que je vivais sur une magnifique planète que je partageais avec des milliards d’autres êtres humains comme moi ; qu’ensemble, nous formions l’humanité, et que cette précieuse et singulière humanité, que certains s’échinent à souiller et à détruire méthodiquement, faisait elle-même partie d’un tout – l’univers -, mystérieux, extraordinaire, beau, dont nous sommes absolument incapables d’appréhender la taille tant elle est hors de nos échelles habituelles et dont nous n’avons naturellement pas conscience la grande majorité de notre vie. Et cette idée, assurément complexe à incarner, je la voulais déployée sur mon bras droit en entier. Pour la voir sans me contorsionner et la dévoiler sans me déshabiller, même si, d’une certaine manière, l’afficher ainsi, c’est se mettre littéralement à nu. Reste une ultime question : quand ?
Qu’ont en commun le pain levé, l’Amérique, les pulsars, la Vénus de Milo, la vulcanisation, l’indigo, les rayons X, l’hélice de bateau, le four micro-ondes, le Kevlar, la draisienne, les Post-it et même le Nutella (oui, le Nutella !) ? Tic tac tic tac tic tac…
Vous séchez ? Et bien, leur découverte s’est faite par hasard ou par accident : par les Egyptiens, qui, 3000 ans avant JC, oublient la pâte dans un coin ; par Christophe Colomb, qui pense débarquer en Inde ; par Bell et Hewish, bien décidés à en découdre avec la scintillation des ondes radio lors de leur traversée, épique faut-il le préciser, du système solaire ; par un paysan de l’île de Milo qui cherche des pierres ; par Goodyear, qui pose malencontreusement un bout de latex et un peu de soufre sur un poêle à charbon ; par Sapper qui, oups, laisse échapper son thermomètre à mercure dans l’une de ses préparations chimiques ; par Röntgen, à l’occasion de banales expériences sur le rayonnement cathodique avec des tubes de Crookes ; par Pettit Smith testant une vis d’Archimède, inopérante, qui se brise en deux lors d’un énième essai et eurêka ! ; par Spencer, dont la barre chocolatée bien cachée dans sa poche de chemise fond alors qu’il s’arrête devant l’un des radars qu’il étudie ; par Kwolek – la seule femme de la liste -, qui, bizarrement, conserve un mélange expérimental de matériaux tout juste bon pour la poubelle ; par Drais, pour, selon la légende, faire face aux conséquences de l’explosion d’un volcan en Indonésie – de l’effet papillon puissance 1000 en somme – ; par Silver qui cherche à créer une colle super puissante et fait fausse route dans ses dosages ; et enfin, par Ferrero, qui, pour pallier la pénurie de fève de cacao, utilise aussi des noisettes pour sa ganache, ganache qui, par une très très chaude journée d’été se met à fondre et on connaît la suite…
Voilà donc qu’en posant bêtement mon téléphone intelligent à même le hublot de l’avion, en le voyant pris d’inquiétants spasmes dignes des plus grands « smurfers » des années 80 – fruit d’une mauvaise traduction par ailleurs -, et en remarquant que ceux-ci étaient partiellement enregistrés et capturés, j’ai eu la sensation, fugace, réelle et réjouissante, d’être à l’origine d’une découverte fondamentale qui allait changer le cours de ma découverte du monde, tout du moins, de ma traversée d’un quart du monde ! Un pur moment de sérendipité personnelle faisant entrer notre belle planète dans une toute nouvelle dimension.
Le pachliopta aristolochae venant courageusement de s’élancer pour traverser cette sinueuse route de montagne de la province de Ha Giang avait à peine achevé son premier battement d’ailes qu’ils avaient déjà disparu. Tout s’est passé si vite en réalité que j’ai même cru à une hallucination. Des tâches de couleurs mouvantes sur le bord de la route, c’est tout ce que j’avais pu voir. Le passé les avait déjà à jamais englouties quand je me suis tournée vers ma boite à images pour remonter le temps de quelques secondes et le figer pour une durée indéterminée. Les détails sont subitement apparus, la masse indistincte bigarrée s’est transformée en silhouettes monochromes curieusement vêtues. Des visages s’en sont détachés. Mes yeux ont alors convergé vers les leurs : eux m’avaient bien vue ! Preuve qu’ils étaient bien là. Et que moi aussi.
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Un tour du Soleil en duos : 6e année en cours
Pour (re)découvrir en un clin d’œil et sur une seule page les micro-histoires photographiques publiées en ces lieux virtuels :
- entre le 22/02/2010 et le 22/02/2011, voici Un tour du Soleil en duos…
Je ne sais pas si cela se passe comme ça aussi dans votre vie, professionnelle ou privée, mais peut-être plus professionnelle malgré tout, et, en réalité, il n’y a aucune raison pour que je sois privilégiée en la matière, mais j’ai la désagréable impression que la rapidité avec laquelle nous accédons aujourd’hui à n’importe quelle […]