tags: Cape Kiwanda, eau, fille, océan pacifique, Oregon, plage, rocher, sable, sculpture, silhouette
Le soir venu ou au petit matin, des êtres étranges arpentent parfois les plages équipés d’une extension de bras et d’un casque. Ils les balayent en long en large et en travers, au sens figuré, en quête d’objets métalliques enfouis sous le sable – quelques pièces, bijoux et autres capsules de bouteilles – et perdus par les plagistes du jour ou de la veille. D’autres tracent le même chemin sinueux, la tête également penchée vers le sable, sans pour autant rechercher ce qui brille. Pour ceux-là, le butin se compose de beaux coquillages, de grains de sable remarquables, de galets bien lisses, de morceaux de bois flottés… Souvent, ces trésors, petits, ne se laissent pas voir du premier coup d’œil, ils requièrent un peu de concentration, d’effort, de sélection… De loin, on repère un coquillage à fière allure, on s’approche, on se baisse, on le ramasse, on lui retire grossièrement le sable qui lui colle à la carapace, on le regarde avec cet air de juge arbitre d’un 100 mètres hommes aux Jeux Olympiques et on décide soit de le mettre dans notre poche, soit de lui rendre sa liberté et de le rejeter nonchalamment au sol…
Exceptionnellement, le trésor trouvé sur la plage est immensément grand et extrêmement surprenant. Inutile de se pencher pour le voir, il s’impose à tous comme une fontaine à eau en plein milieu du désert. Ainsi en est-il de cet arbre mort dont les racines, tournées vers l’océan, reposent sur la plage, tandis que son tronc est partiellement inhumé dans le sable, derrière. Un arbre gigantesque, au bois lisse lavé par le sable, le vent, le sel… Un arbre accueillant au fond duquel on peut se lover sans crainte… Un arbre ludique que l’on peut escalader facilement… On tourne autour, on s’extasie, on le caresse avant d’être secoué par une question pourtant évidente : comment est-il arrivé là ? Ses congénères ne sont pas du même bois. Amené par les hommes ? Pour quelle raison ? Et comment ? Je sais que les Egyptiens ont réussi à ériger des pyramides sans grue, mais quand même… Se pourrait-il que l’océan, un jour de grande colère, ait eu la force de balloter ce mastodonte peut-être tombé d’une falaise et de le faire s’échouer sur le sable, rendant ainsi à la Terre ce qu’elle a engendré ? Même si un « non » incrédule s’affiche machinalement sur l’écran de contrôle, ce dernier est bien en peine de lui trouver une alternative plus convaincante…
Il paraît que c’est un truc de garçon, de vouloir aller jusqu’à la bouée, flottant à quelques encablures du rivage. Avez-vous déjà entendu une fille dire « On va jusqu’à la bouée ? » Non ! La fille, elle, elle s’étonne et demande : « Pourquoi faire ? » « Bah, pour voir, pour y aller, pour pouvoir revenir après y être allé ! » lui répond-on, comme si le but d’une excursion vers la bouée (ça pourrait être, « on fait du feu ? » ou « on monte sur le rocher là ? » aussi) allait de soi… L’objectif est donc d’atteindre un endroit faussement inaccessible et de transformer la traversée en odyssée : « T’as vu, je suis allé jusqu’à la bouée ! » « C’est super ! Et alors, c’était comment ? » « Bah, c’était une bouée ! Une bouée normale. » Hum…
Parfois, la bouée se transforme en rochers, et la mer qui la sépare de vous en rivière à l’eau glaciale venant se jeter dans l’océan. Pacifique. Et là, la théorie vacille… Car c’est vous, moi en l’occurrence, qui au loin, avez repéré ces grosses roches posées sur le sable et l’eau, et vous êtes mis en tête de les atteindre. d’aller les toucher… Vous avez bien vu le filet d’eau séparant la rive sur laquelle vous vous promenez de celle où se trouve votre but, pensant pouvoir le passer facilement, jusqu’à ce que vous n’arriviez au bord et réalisiez que, contrairement aux apparences, cette rivière a son petit rythme et sa profondeur. Cela va très vite dans votre petite tête, vous pensez à la bouée, au feu, au rocher, aux garçons, et à la fille que vous êtes – y a quelque chose qui cloche ? -, vous regardez le tronc en amont, opportunément couché en travers de la rivière, mais imposant ensuite un peu d’escalade pour rejoindre l’autre plage, vous touchez ensuite l’eau de la pointe du gros orteil droit – ouch, c’est froid, très froid -, manquez de vous raviser avant d’enlever vos chaussures, de remonter les jambes de votre pantalon et d’y aller ! Quand même, ce n’est pas de l’eau à 10°C et un petit courant qui vont vous arrêter ! Et non, effectivement… l’eau mouille et glace, le courant déstabilise, les galets massent mais l’ensemble n’arrête pas. Et maintenant, de l’autre côté, vous vous dites que puisque vous y êtes, autant aller au bout. Autant vous approcher. Pour voir… Et alors, vous vous dites finalement que ça a du sens d’aller à la bouée. Ceci dit, il y a quand même quelque chose : le garçon a préféré le chemin le plus long, grimper sur l’arbre coincé en travers de la rivière et faire un peu d’escalade…
Les temps sont durs pour le voyageur du 21e siècle… Non seulement il peut se déplacer sur la planète avec plus de facilité qu’à n’importe quelle autre époque grâce à l’envol de l’aviation civile, au déploiement des réseaux routiers et ferrés, mais en plus, s’il ne peut ou veut changer son corps d’environnement, il lui suffit d’appuyer sur un bouton ou de tapoter quelques lettres sur son clavier pour voir le monde s’afficher sur son écran et s’évader virtuellement. Cette omniprésence de l’ailleurs dans nos imaginaires, qu’il soit vécu ou pas, fait que, lorsque l’on y accède réellement, la surprise, ou plutôt la découverte, peut être relative. Et même si vivre est bien différent de voir, le voyageur gâté se laisse parfois aller à un blasé « ça ressemble à… ».
L’allusion n’est ni méchante ni forcément fausse, et elle n’enlève rien à la beauté intrinsèque du lieu en question, elle en relativise simplement la portée. En des lieux inconnus, nous avons en effet parfois tendance à vouloir nous raccrocher à ce que nous connaissons déjà ou croyons connaître. Ce qui semble finalement assez logique, l’inconnu faisant toujours un peu peur. Encore que la peur susceptible de générer un paysage n’a certainement rien à voir avec celle, par exemple, qui nous prendrait d’assaut avant un baptême de parachutisme, là, les jambes dans le vide, l’air frais bloquant la respiration et l’instructeur derrière lâchant, hyper enthousiaste : « Allez, on se jette ! » alors même que nous nous demandons ce que nous faisons là et s’il est possible que le parachute ne s’ouvre pas ou se détache, que sais-je, je n’ai jamais essayé, mais j’imagine… Non, un paysage ne va pas jusque là. A priori. Evidemment, se trouver au bord d’un gouffre peut impressionner les personnes sujettes au vertige mais aussi celles qui ne pensaient pas l’être… Une forêt humide au sol tapissé d’arbres chus et déracinés peut angoisser au crépuscule… Un désert désert sous 50°C peut aussi provoquer quelques sueurs froides… Bon, très bien, un paysage peut être effrayant.
Toujours est-il que cette manie que nous pouvons avoir de comparer ce que nous sommes en train de vivre avec ce que nous avons déjà vécu a cela d’ennuyeux qu’elle gâche un peu le plaisir que nous avons à découvrir un lieu dont nous n’avons jamais foulé le sol. Il faudrait pouvoir effacer tous nos souvenirs, réels ou implantés, avant de partir en voyage pour arriver vierges sur le territoire visité et ainsi pouvoir voir une plage à marée basse comme si c’était la première fois. Car rien, a priori, ne ressemble plus à une plage à marée basse qu’une autre plage à marée basse. Il y a toujours du sable, beaucoup de sable, du ciel, un grand ciel, des gens qui se baladent à l’horizon, un peu d’eau, lointaine… Et pourtant, cette plage à marée basse est unique et ne ressemble à nulle autre que j’aurais pu voir auparavant… A contrario, il arrive que parfois, mais c’est comme les neiges du Kilimandjaro, cela tend à disparaître pour les raisons sus-citées, ce même voyageur n’ait aucun repère et se sente réellement en une place inédite. Il ne peut alors s’empêcher de lâcher « ça ne ressemble à rien de ce que je connais ! »… Ce qui est sûrement le plus beau compliment que l’on puisse faire à un paysage…
Vancouver me fait parfois penser à un enfant ou un animal (de compagnie) – non, je ne mets pas les deux au même niveau – qui ferait une bêtise digne de mériter une sévère punition, qui en serait conscient et qui, suffisamment intelligent, saurait aussi, d’une élégante pirouette – une moue adorable, une parole incongrue, un câlin irrésistible – renvoyer toute tentative d’autorité du dit adulte ou maître aux oubliettes.
Mais quelle bêtise a bien pu faire Vancouver ? La ville a volé la pluie des autres, convoqué un gigantesque pow-wow de nuages de tous horizons au dessus de sa tête, et leur a intimé l’ordre de se presser un peu. Alors que certains paradent sous 30°C depuis des mois pour le meilleur (le plein de vitamine D pour des années) et pour le pire (la sécheresse fatale aux agriculteurs) invoquant les faiseurs de pluie les plus reconnus, projetant d’utiliser quelques pétards pour donner une telle frousse aux cumulonimbus qu’ils en fassent pluie-pluie, nous devons supporter les abus de pouvoir de cette ville.
Elle sait que quiconque en foule le sol en tombe littéralement amoureux, que la pluie – un peu trop récurrente – fait douter ses habitants quant à leur capacité à la supporter à long terme, alors, quand, elle nous sert un crachin dès le petit déjeuner ou, des trombes d’eau au dessert agrémenté d’une sauce de grêle pendant deux bonnes heures, elle sait qu’il suffit de quelques rayons de soleil bien sentis pour réconcilier tout le monde et provoquer une amnésie générale.
Evidemment, le tort, en ces circonstances chaleureuses, serait de croire que la chose est acquise. Que c’en est fini de la pluie pour la journée. Et c’est d’ailleurs sur l’un de ces troncs bancs disséminés régulièrement sur les plages que j’ai écrit les mots qui précèdent. Et pourtant, après deux heures de répit, des gros nuages gris sont venus assombrir le ciel, et le doute s’est à nouveau emparé des esprits. Cela a commencé gentiment par de grosses gouttes de pluie entre lesquelles il était possible de passer, et puis, petit à petit, le rythme s’est accéléré, la taille des gouttes s’est réduite et la pluie a mouillé tous ceux qui étaient sortis pour profiter du soleil. Et à nouveau, Vancouver s’en sort à merveille : le spectacle de ces gouttes jouant au tam tam sur la surface de l’eau, de la montagne disparaissant dans le grain, de ces rayons de soleil réussissant à percer et de ces amateurs de paddle surpris par l’assaut aqueux est magnifique… Et la ville, en pleine forme, pousse même le vice jusqu’à tenter quelques notes d’humour : sur le chemin du séchoir, alors que je dégouline de partout, je tombe nez à nez sur une affiche de concert : des places à vendre pour Supertramp !! Et, pour parfaire le tableau, je n’ai plus de batterie et ne peux donc capturer ce qui aurait pu être l’image de fin. Et hop, une « petite » PPF… Allez, Vancouver est vraiment une ville très très agréable à vivre !
… madame fait les ongles de pieds de monsieur sur la plage, publique, comme elle s’y attèle probablement chez eux, dans leur salon, leur chambre, leur salle de bains, que sais-je ?, en tout cas, dans une pièce fermée, avec des murs, hauts, éventuellement des fenêtres, mais à l’abri des regards extérieurs, sauf s’ils sont indiscrets. C’est le son si caractéristique du coupe-ongles à l’ouvrage qui attire notre attention. Un bref claquement métallique réussissant à se détacher de tous ceux qui parcourent habituellement une plage, les rires aigus des enfants surexcités, les impacts secs de balle sur les raquettes de jokari, les cris superposés des mouettes volant derrière les chalutiers de retour au porc, euh, port, avec leur moisson de poissons du jour, les claques répétées des vagues sur le sable mouillé, le vent régulier dans les parasols colorés, les froissements impatients des paquets de gâteaux au chocolat, le message laconique des secouristes perchés espérant que les parents du petit Ryan viendront le chercher, bientôt…
Tout cela à la fois. Le coupe-ongle coupe littéralement le son ! Rires à peine contenus de l’assemblée témoin. Vous savez, ce rire qui s’échappe de nous lorsque l’on se retrouve face à une situation incongrue, déplacée, grotesque. Sans ciller, madame continue à couper. Elle ne voit pas que tout le monde s’est figé comme si un flashmob géant d’une partie d’1, 2, 3 Soleil était lancée ; elle ne voit pas que tout le monde la regarde, toute affairée qu’elle est à faire un sort au gros orteil pas commode ! Elle n’entend donc pas non plus que ce monde s’est tu et que le seul son que l’on entende à des kilomètres est celui de son coupe-ongle…
Sourire volontairement à un(e) inconnu(e) arrive parfois, en dehors de tout contexte de séduction. Je précise « volontairement » car parfois, perdus dans nos pensées, nous nous mettons à sourire sans nous en rendre compte, ce qui peut être source de malentendu pour toute personne croisée à ce moment précis. Cette dernière peut en effet prendre la marque de sympathie pour elle, et, selon son humeur, y répondre de la même manière en pensant – « ils sont sympas dans cette ville ! » – ou l’ignorer en se disant – « mais pourquoi est-ce qu’il me sourit ? c’est à moi qu’il sourit ? j’ai un bout de salade coincé entre les dents ? ». Dans ce cas, il s’agit d’un sourire involontaire dont le porteur est bien incapable de mesurer les conséquences.
Revenons au sourire volontaire que l’on peut interpréter comme un témoignage de soudaine et éphémère complicité. Les circonstances dans lesquels il peut survenir sont très particulières. Par exemple, lorsque deux personnes, chacune de leur côté, viennent d’assister à un spectacle naturel à couper le souffle – au hasard, un intense arc-en-ciel sur une ville éclairée par la lumière dorée rasante d’un soleil faisant sa révérence, le tout sur un fond d’atmosphère électrique, alors que, de l’autre côté, un grain saisit l’horizon lumineux -, et que, une fois le rideau baissé, repues de bonheur et de satisfaction, elles reprennent leur route, redescendant progressivement sur Terre, et se croisent. A cet instant précis, les yeux encore pétillants et le cœur tambourinant, elles sont incapables de ne pas s’échanger d’abord un regard, puis un sourire. Ce sourire béat de celui qui a conscience de sa chance et qui murmure : « C’était magique, n’est-ce-pas ? » « Oui ! » répond l’autre dans sa tête comme si l’une pouvait entendre… Comme le miel sur les doigts, ce sourire reste accroché au visage pendant plusieurs minutes encore, alors que vous êtes déjà loin de la scène. Et c’est alors que vous remarquez qu’une personne arrivant en face de vous, vous regarde étrangement. En fait, elle vous sourit… Mais pourquoi donc ?
8 Share on Facebook
Share on FacebookEn ville, concentrée sur les immeubles, les maisons, les bâtiments, je suis régulièrement confrontée à un problème photostentiel : les voitures ! Celles qui roulent, créant un premier plan disgracieux ; celles qui sont garées, tronquant l’appréciation des rez-de-chaussée voire premiers étages ! Dans les deux cas, cette présence métallique fait naître une question récurrente […]
Share on FacebookEt tout d’un coup, en un claquement de fusibles inattendu mais pas inhabituel, il a fait nuit noire dans cette ville où je n’avais absolument aucun repère. Et tout d’un coup, les phares mouvants des taxis, voitures et autres deux roues ont fait l’affaire, éclairant partiellement et par intermittence les trottoirs où piétiner, les bords de […]
Share on Facebook