Photo-graphies et un peu plus…

Le dos de la cuiller

Il est 17h, je suis sensée faire une sieste, mais je suis contre les siestes. Je n’ai bien sûr rien contre les siestes des autres, mais je suis contre le fait de faire moi-même des siestes, même si j’ai parfaitement conscience qu’elles pourraient me faire un grand bien dans un contexte de nuits de plus en plus courtes… Mais voilà, j’ai toujours assimilé la sieste à une pure perte de temps, ce qui est plutôt cohérent avec le fait d’estimer qu’il m’en manque toujours. Car le temps de cette hypothétique sieste est du temps pendant lequel je pourrais m’occuper, faire, fabriquer, créer… Bien sûr, c’est un calcul court-termiste puisque dormir nous permet de nous régénérer, de récupérer physiquement, psychologiquement et intellectuellement – bref, c’est plutôt utile (et même un enjeu de santé public pour les années à venir) -. Mais la raison ne l’emporte pas toujours…

Ceci dit, je reste ouverte aux nouvelles expériences susceptibles de me faire changer d’avis. Voilà donc qu’au coin d’une grande table en bois brut posée au coeur d’une maison chaleureuse, l’on me parle de la méthode de la petite cuiller, notamment utilisée par les pilotes. Intriguée, je questionne. La méthode de la petite cuiller se vit au premier degré et l’unique ustensile requis est donc… une petite cuiller. Nous verrons plus tard que nous pouvons élargir le champ sans perdre le fil. Le postulant à la micro-sieste place donc une petite cuiller entre son pouce et son index, et la laisse pendre dans le vide. C’est le moment de fermer les yeux et de s’autoriser à s’endormir.

Mécaniquement, au bout de quelque temps – je ne saurais vous dire exactement combien de minutes, mais cela n’altère pas la compréhension du phénomène -, notre cobaye entre dans un sommeil léger et ses muscles se relâchent. Suite à quoi, naturellement, la cuiller lui glisse des doigts, tombe dans un fracas métallique qui le réveille brutalement et signe le glas de sa sieste, certes courte mais réparatrice. CQFD. Je me permets simplement une petite suggestion qui paraîtra évidente à tous : pour limiter les risques de transformer cette sieste d’une dizaine de minutes en une nuit en avance, il est vivement conseillé de poser son coude sur une surface dure, du bois, du carrelage, du métal, du verre, et d’éviter tout lit, fauteuil, canapé qui amortiraient totalement le bruit de la chute de la cuiller. Bien évidemment, la méthode la cuiller fonctionne également avec un stylo, un livre, un portable, un verre, un pot de fleurs. Et j’oserais même dire, si vous n’avez rien de tout cela sous la main, avec la tête. Combien de fois, en effet, ultime trahison d’un terrible ennui ou d’une fatigue corsée, vous êtes-vous réveillé en sursaut suite à la chute inopinée de votre tête lourde et endormie ?

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Octobre 2016. Je déambule dans Tunis comme je le fais partout ailleurs. En absorbant tout ce qui s’y passe, à l’affût de l’inattendu, de l’incongru, du décalé mais avant tout, curieuse de la vie qui s’y déploie, simplement. En réalité, je déambule dans Tunis comme nulle part ailleurs. Car je suis une sang mêlée, car je n’y ai pas mis les pieds depuis 8 ans, car je questionne mon identité. Et que la révolution est passée par là. C’est évident, j’erre dans Tunis avec une attention décuplée, en quête de signes, d’apaisement voire de réconciliation. Vite, je suis captivée par ce tramway couleur d’espoir serpentant dans la ville dans un raffut métallique trahissant son grand âge. Une scène mouvante et classique offrant aux compositeurs d’images des cadres à la fois naturels et contraignants, derrière lesquels défilent des vies singulières et artificiellement rapprochées. Je l’entends arriver. Je m’approche des voies, cadre et déclenche. Il me regarde, comme absent ; elle m’observe, je veux le croire, avec douceur. Une rencontre furtive, impromptue et étrangement calme, qui me renvoie à mes propres interrogations. Comment ça va ? Labess, labess…

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L'ouverture de tropCela aurait pu être la balance des blancs – car c’est souvent elle qui génère mes ires photographiques matinales en donnant une teinte exagérément bleutée à mes premières images du jour après une sortie nocturne virant au jaune, compensé à base de degrés kelvin, et à l’issue de laquelle j’ai oublié de rétablir les réglages neutres de ma boite à images numériques -, mais, cette fois-ci, c’est bel et bien d’ouverture dont il s’agit !

Je viens tout juste de photographier le couloir assez sombre d’un restaurant abandonné s’avançant sur l’eau dans lequel erre un gardien du cru quand ces jeunes ont déboulé. J’ai filé, concentrée sur leurs dos destinés à intégrer ma série en cours à en oublier que j’avais ouvert mon diaphragme de plusieurs stops pour capter les plantes survivantes restées dans l’obscurité dudit couloir. Et a fortiori, que ces caractéristiques techniques n’avaient plus lieu d’être dans des conditions de lumière normales. Il m’est plusieurs fois arrivé d’aborder le sujet ambigu de la photo « ratée » dans ces pages. Ambigu car tout étant subjectif, le  « raté » en devient relatif lui aussi. Cette image-là est ratée dans le sens où cette surexposition absorbeuse de détails et d’informations n’était pas volontaire, mais le fruit d’une faute d’inattention, bref, de ma précipitation. Et pourtant, cette image ratée me plaît comme ça, partielle, incroyablement blanche comme la peinture des maisons alentour, comme cette page sur laquelle tout reste à écrire, comme cette jeunesse joyeuse qui a l’avenir devant elle, et avec lui, beaucoup de responsabilités…

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Rouler, traverser la campagne tunisienne en voiture, admirer le paysage fleuri, vert et printanier, se dire que ce pays est beau, et tout d’un coup, retomber sur ces deux yeux noirs encadrés de terre qui me regardent passer et se dire qu’ils l’ont déjà fait, dans le passé, 547 jours auparavant pour être précise. Je n’aurais jamais oublié ce regard. Exiger de s’arrêter pour en avoir le coeur net, s’extraire de la caisse métallique, faire 56 pas en arrière, 57 en fait, prendre une photo, recourir vers la voiture et se dire qu’on cherchera la première en arrivant… La retrouver. Louer sa mémoire. Automne Printemps. La vie défile…

547 jours

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Le week-end dernier, dans un moment d’égarement dominical pour être plus précise, bien décidée à donner un souffle nouveau à certaines habitudes de ma vie quotidienne, je me suis penchée avec tendresse vers ma CDthèque. Oui, ce meuble en bois que j’ai imaginé, dessiné, monté, peint, donc créé entièrement avec mes petites mains lorsque j’ai emménagé dans mon appartement afin d’accueillir mes compacts discs. A vrai dire, cela faisait des années que je ne m’étais pas assise devant pour en extraire un album et l’écouter. Comme beaucoup, en musique, je suis passée au tout immatériel. Et j’ai notamment transféré l’essentiel de ma musique sur mon ordinateur, rendant ces disques aux reflets arc-en-ciel totalement obsolètes mais pas suffisamment inutiles pour m’en débarrasser ou les recycler en épouvantail à accrocher à ma fenêtre. Ceci dit, à l’instar de tout ce que nous voyons tous les jours, ils sont progressivement devenus invisibles à mes yeux.

Je ne sais à quel alignement de planètes je dois ce retournement de situation, mais dimanche donc, j’ai eu envie de les exhumer de ces étagères où ils prenaient une poussière à laquelle je ne suis malheureusement pas allergique. Pour tout vous avouer, j’ai un peu eu le sentiment d’entrer dans un site archéologique tant cette technologie, pourtant récente à l’échelle des inventions, me paraissait déjà dépassée. Nous sommes en effet les premières générations d’êtres humains à voir disparaître des outils que nous avons créés – Minitel, K7, VHS, magnétoscope, disquette, walkman … – tant le rythme de leur remplacement par des objets plus performants, plus petits, plus pratiques, plus complets, plus design, plus chers s’est accéléré. C’est donc avec une certaine fierté, angoisse et fébrilité, un peu comme si un copiste venait de me déposer un incunable entre les mains, que j’ai sorti un premier CD pour le glisser dans la fente de mon terminal. Détection, chargement – ça tourne -, proposition de transfert   – non, merci ! -, lecture… Et là, j’ai eu l’impression d’être à bord d’un Pipistrel Panthera ayant une avarie moteur. Le bruit de la rotation du CD couvrait désormais les délicates notes composées par Eléni Karaïndrou pour Le regard d’Ulysse. J’ai résisté quelques secondes – j’étais là pour cela, pour prouver que ces galettes de plastique avaient encore la vie devant elles – avant de me rendre à l’évidence, d’enregistrer l’album directement sur ma machine et de remiser la boîte à sa place dans ma CDthèque…

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La déviation

Ce n’est qu’au bout de cinq jours qu’ils avaient tous eu le fin mot de l’histoire. La pagaille généralisée qui s’était propagée comme une épidémie fulgurante partout dans le monde ce jour-là, un jour qui ne dépassait pas plus qu’un autre, était encore très vive dans les esprits, tout comme la colère qui en avait découlé. Et surtout, personne n’avait réellement compris ce qui s’était passé. Enfin, si, tout le monde avait compris qu’il avait été mené en bateau, mais personne n’avait réussi à identifier l’origine de la panne qui avait indistinctement touché automobilistes et marcheurs…

Cela faisait ainsi des heures qu’ils tournaient en rond au volant de leur voiture de location. La nuit était tombée vite, et ce n’est pas la lueur de la pleine lune, estompée par la brume, qui allait pouvoir les sauver. Il n’y avait clairement rien autour, rien de plus que cette route récente fendant le néant, éclairée mètre après mètre par les phares mobiles, personne à qui demander son chemin, juste ce fichu GPS auquel il fallait faire confiance. L’hymne à la joie qui résonnait dans la cage métallique n’était pas à la hauteur de l’angoisse qui n’en finissait plus de monter. Comment étaient-ils arrivés là ? En commençant à ne se fier qu’à lui justement. En lui donnant les clés de la voiture pour ainsi dire. En se laissant guider. Porter. Nonchalamment. Et petit à petit diriger. A tel point que, alors qu’ils avaient enfin pris conscience du problème – la voix féminine sur laquelle était réglée l’assistant de navigation personnel donnait des ordres de plus en plus contradictoires auxquels ils n’avaient prêté attention qu’en réalisant être passés à trois reprises et à chaque fois par des chemins différents devant la même maison en ruine en bord de route -, ils n’étaient plus en mesure de reprendre la main sur la direction à suivre.

Au coeur de l’obscurité, incapables de savoir où ils étaient précisément – même une carte, alors, ne leur aurait servi à rien -, ils avaient décidé de se garer sur le côté et d’attendre le retour du jour. Heureusement, on pouvait encore compter sur lui et sur sa ponctualité, à quelques minutes près ceci dit. Au petit matin, un homme avait tapé à la fenêtre, les réveillant en sursaut d’une nuit hachée et glacée. Ils leur avaient dit s’être perdus, ce qui ne l’avait pas étonné : « Tout le monde s’est perdu » avait-il répondu, mystérieux. D’un simple mouvement de bras, il leur alors avait expliqué comment atteindre leur objectif. Ils étaient juste à côté… Après une poignée de minutes, ils poussaient la porte de la maison où ils comptaient se reposer quelques jours. Après deux poignées de minutes, ils absorbaient un café bouillant mais ça n’était pas grave. Après trois poignées de minutes, ils revitalisaient leurs portables, en sommeil depuis la veille, recevant d’un coup, des dizaines de notifications et de messages inquiets. Après quatre poignées de minutes, ils allumaient la radio. L’homme avait dit vrai : comme eux, des centaines de millions de personnes s’étaient perdues la veille, toutes usurpées par les machines auxquelles elles avaient confié leurs choix et dont les repères avaient été intentionnellement brouillé – c’est ce que l’on avait appris cinq jours plus tard donc – par un groupe de jeunes hacktivistes, voulant rappeler à chacun, à travers un exemple simple, qu’il était primordial de continuer à penser par soi-même pour être sûrs de savoir où on allait et comment on y allait…

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S'enluminer

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Le chemin du retour

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Ballotage marin

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