Voilà que le soleil, totalement ébloui lui aussi par ce lieu enchanteur vers lequel mes pas et mes mots ont déjà convergé plusieurs fois (De l’air, Temps de pause au moins) déclare sa flamme à cette étendue d’eau sur laquelle se reflètent les arbres dépossédés de leurs feuilles par l’hiver. Comme un amoureux transi, il a gravé un cœur brillant à sa surface, encore toute tremblotante d’émotions…
Une fois par an, l’espace d’une froide mais sèche nuit d’hiver dont la date précise n’est divulguée qu’au tout dernier moment, la lumineuse et luxueuse Place de la Concorde se transforme en un champ de course pour le moins original… Des dizaines de chevaux de lumière font, sans jockey, le tour de ce nœud parisien stratégique, à mi-chemin entre l’Arc de Triomphe (qui a aussi son Prix), la Tour Eiffel, le Louvre et bien d’autres encore. Totalement fasciné et saisi par la beauté de cette chevauchée fantastique, l’arbitre de ligne en oublie généralement son rôle d’arbitre, n’étant plus capable que d’agiter son bras de lumière pour donner encore un coup de fouet à ces chevaux filant déjà à toute vapeur !
Qu’ont en commun nos pharmacies, nos mairies, nos stations de métro, nos parcmètres et parfois nos églises ? Ils donnent l’heure. De telle sorte que le badaud citadin sans montre ni portable (qui la donne aussi, l’heure) peut savoir, assez régulièrement, à quel moment précis de la journée il est passé devant la pharmacie de la rue Hermel, la mairie du 9ème, puis la station Cadet et le parcmètre du 26 rue de Paradis. Des balises salutaires sur un parcours non chronométré mais pas totalement libéré du temps malgré tout. Ainsi, presque innocemment, inconsciemment, chaque coin de rue nous rappelle-t-il l’heure qu’il est. Cette omniprésence temporelle est-elle le reflet de la manière dont le temps – ou plutôt sa gestion – envahit notre vie dans une ville comme Paris ?
Revenons un peu en arrière, car je sens qu’il y a eu un blocage dès la deuxième ligne : « un badaud citadin sans montre ni portable ». Un « ça n’existe pas, ça n’existe pas » desnosien arrive à mon oreille droite. Eh. Pourquoi pas ? Il suffit d’oublier sa montre et d’avoir la batterie de son portable déchargée ! Il suffit de vouloir vivre en dehors de toute contrainte horaire, et plus globalement, en dehors du temps. Un défi de taille pour les petits hommes que nous sommes et qui passons une bonne partie de notre temps à courir après le temps qui passe ; qui, dès le réveil, savons qu’à la fin de la journée, quelle que soit l’énergie déployée pendant ce laps de temps, quels que soient le sérieux et la bonne foi avec laquelle nous avons établi nos plannings, nous serons en retard. Dans ce contexte, nous avons plutôt tendance à regarder 50 fois notre montre ou l’horloge de notre ordinateur qu’à les snober. Combien de temps passons-nous chaque jour à vérifier l’heure qu’il est ? Et finalement, combien en perdons-nous à nous demander à quel point nous sommes en retard ? Beaucoup trop. D’ailleurs, il est temps de passer à la suite.
Qui est que les vacances sont un des rares moments où nous nous autorisons à vivre sans cette oppression du temps. Enfin, pour certains. Nous vivons alors comme ce citadin imaginaire. Sans montre, sans portable. Sans temps. Dans l’attente. Du jour qui passe. Et, en quelques jours à peine, nous nous retrouvons alors à suivre le rythme du jour et de la nuit, nous levant avec le soleil, nous couchant avec lui. Naturellement. Sans en ressentir une quelconque fatigue alors que nous sommes bien incapables d’avoir ce tempo en « temps normal », tempo que nous jetons d’ailleurs aux oubliettes, légèrement nostalgiques, dès lors que le temps des cerises a sonné. Pourtant, cette course contre le temps ne semble pas être une fatalité. Si l’on se base sur l’hypothèse de fin de premier paragraphe – présence du temps dans la ville comme reflet de notre relation avec lui – comment interpréter l’absence d’horloge publique officieuse à Montréal ? Les seules qui traînent sont au point mort, couvertes de poussière ou rouillée par la pluie… Montre en berne, portable en sommeil, je me transforme en ce citadin imaginaire s’étonnant de l’absence de repère temporel dans une cité aussi grande et vivante, mais espérant faire durer le plus longtemps possible ce luxe de vivre un peu hors du temps.
Avoir, ou pas, l’esprit mal tourné. Telle est la question. Shakespeare aurait-il pu dire ça au lieu de son « naître ou ne pas naître, vous connaissez la suite ? » Force est de constater que certaines vitrines – ici, parisiennes – sont pensées pour tout sauf laisser le voyeur de marbre. Direction le très-bien-comme-il-faut Marché aux fleurs de l’île de la Cité, cerné par l’Hôtel Dieu, la Préfecture de police de Paris, le Palais de Justice et en arrière-plan, le saint des saints, la Cathédrale Notre-Dame… Pour une belle orchidée, des inséparables ou un nain de jardin, c’est le lieu idéal. Pour des plantes grasses et des blagues potaches aussi visiblement. Ainsi, tout fier, ce cactus en érection, plein d’épines. Et je n’ai pas l’esprit mal tourné. Quasi seul en vitrine. Pour être sûr que l’on ne le loupe pas. Ainsi fallut-il que l’exhibitionnisme floral naquit. Doit-on saisir ce bras armé comme une forme de protestation publique, peu subtile mais radicale, des divers ordres régnant sur ce caillou posté sur la Seine ? Soit, plus vulgairement, « Je vous e….e t..s. ». Bah non, je ne vais pas l’écrire. Car, qui pourrait vouloir acheter un tel cactus ?
Située à une verge de là (c’est aussi une unité de longueur… anglaise), une boulangerie très très gay devant laquelle on fait souvent la queue. La viennoise au chocolat n’aura jamais été aussi virile ! Passée la surprise – quelques secondes quand même : ce n’est pas tous les jours que l’on se retrouve nez à nez avec de telles gourmandises -, les yeux se tournent vers les promeneurs. Qui s’arrêtent dès lors qu’ils voient les plateaux lustrés en vitrine. Regards rieurs. La banane aux lèvres… « Ooh, quand même ! T’as vu ? » Puis ils filent, comme s’ils étaient tombés sur une projection publique d’un film cochon sans assumer leur curiosité… Douce provocation aux antipodes de l’agressivité inquiétante de son ilienne de voisine. Toutefois, côté boutique, si les petits pains font encore sourire, ils ne se retrouvent pas dans les mains pour autant. Pause, deux secondes. Essayez de vous visualiser en train de croquer dedans ! Alors ? Par quel bout avez-vous commencé ?
Fin de manifestation à Lyon dans une rue adjacente à celle empruntée par le cortège. Les fumigènes flottent encore dans l’air remonté et chargé d’électrons libres. Tranquillement, ceux qui s’en sont échappés, ou qui n’y ont pas participé, rentrent chez eux avec la sensation du devoir accompli. Profitant, pour certains, de ce désert urbain pour s’offrir une petite virée sur la rue même. Pacifiquement. Impression de fin de quelque chose. Pour ne pas dire du monde. Qui serait un peu trop fort. Une image d’une actualité brûlante, pourrait-on dire.
En fait, une légende. Dans un sens comme dans l’autre. Une photo certes prise à Lyon. Mais dans un contexte totalement différent de celui exposé ci-dessus. Un incendie important dans un proche bâtiment. Quartier bloqué par sécurité par les soldats du feu à son chevet. La fumée au fond ? Celle émanant des flammes dévastatrices. Une photo sans histoire peut en avoir mille selon qui la regarde, le moment où elle est partagée, la disposition dans laquelle se trouvent ses observateurs, mais aussi sa légende, très facilement manipulatrice pour qui ne dispose d’aucun moyen de vérification. D’ailleurs, cette photo a été prise à Paris, un matin brumeux, avant que la ville ne se réveille vraiment et que les rues ne s’emplissent de boites métalliques hurlantes et de promeneurs égarés…
Ou truisme. Mais, pour un échafaudage, lapalissade s’imposait ! Voici un exemple particulièrement jubilatoire de message public saugrenu. C’est évidemment la seconde partie de l’interdiction qui doit attirer l’attention. « Accès interdit à l’échafaudage, sauf au personnel de montage. » L’existence d’une exception a toujours une raison. Pour celle-ci, on est donc en droit de supposer que le dit personnel de montage a, un jour, refusé de travailler car l’accès à l’échafaudage était interdit. A l’époque, le message se limitait à sa première partie. La Direction de l’entreprise, ne voulant pas en rajouter une couche (ah, ah), a aussitôt contacté son service de communication pour qu’ils dépêchent illico presto un graphiste. Quelques secondes lui ont suffi à ajouter ces quelques mots auxquels personne n’avait pensé auparavant : « sauf au personnel de montage ». C’est comme si, dans une boulangerie, était affiché : « interdiction d’utiliser le four, sauf par le boulanger ». En quelques heures, de nouvelles bâches étaient imprimées puis livrées sur le chantier où les mots sont pris au pied de la lettre. Sitôt hissées, tout le monde a alors repris le travail, soulagé de ne pas braver une interdiction…
C’est en regardant un film d’Amos Gitaï – Devarim – que pour la première fois, le photographe m’est apparu comme une sorte de prédateur, de tireur d’élite. Mon souvenir : un personnage, reclus volontairement chez lui pour cause de bile noire persistante, se met à la fenêtre avec son appareil équipé d’un long zoom et vise, les passants, la vie, dans la rue. L’analogie est flagrante. Le photographe, l’œil rivé derrière son viseur et légèrement en retrait pour ne pas être remarqué, balaye une zone, cherche une proie idéale ; une fois repérée, il la suit du regard, l’observe pour pouvoir anticiper ses mouvements ; une fois prêt, il arme son appareil, prend une bonne respiration et déclenche, parfois en rafale pour être sûr de ne pas manquer sa cible. Tacatacatactac… C’en est presque effrayant. Cette pensée m’est revenue comme un flash en voyant ces deux-là à l’affût…
Vision totalement surréaliste pour la parisienne que je suis ! Des étals entiers de citrouilles de tailles variables – les plus grosses font 100 kilos ! -, aux couleurs multiples – orange, jaune, blanche, grise – ; de cucurbitacées en tous genres – potiron, courge musquée, courge patidou, courge galeuse d’Eysine, allongées, biscornues, boutonneuses… Les Montréalais ne sont pas tant amateur de soupe à la citrouille que ça ! Non, d’autant que toutes ne sont pas comestibles ! En revanche, ce qu’ils prennent très au sérieux, et particulièrement les enfants pour qui c’est LA fête de l’année devant Noël, c’est Halloween !
Dans un mois, lanceront les plus avertis. Certes. Mais le 31 octobre, c’est déjà demain. Donc, les citrouilles commencent à envahir la ville en des lieux stratégiques comme les marchés ; les premières décorations sont accrochées dans les rues, comme ce sera bientôt le cas pour celles de Noël à Paris ; les boutiques de costumes ont lancé leurs promos sur les derniers modèles de squelette phosphorescent ; les places dans les soirées déguisées les plus farfelues se réservent dès aujourd’hui ; les sacs de bonbons acidulés en forme d’araignées, de fantômes et de sorcières se remplissent en prévision du « Trick or treat » à venir…
La tradition a atteint les côtes françaises il y a quelques années (grâce, notamment, au téléphone orange Olaween d’Orange il semblerait (gros, gros esprit créatif sur le nom…). Fin octobre, toute la ville se transformait en orange et noir. Même débauche dans les vitrines. Même frénésie dans les cours d’école. Même folie dans les partys. Mais, la supercherie commerciale ayant retiré son masque – nouvel exemple de la globaméricanisation des cultures -, elle est tombée en désuétude aussi vite qu’elle avait été propulsée au 3e rang des fêtes commerciales à succès dans l’hexagone. Autre raison moins connue, le 31 octobre est la veille du 1er novembre. Toussaint, puis Fête des morts. Une juxtaposition jugée peu heureuse pour certains esprits pieux. Que ces considérations semblent lointaines de ce côté de l’atlantique. Rendez-vous donc dans quelques semaines pour la suite de l’événement !
Je suis passée sous cet immeuble parisien sans prétention des jours, des mois, des années avant de le photographier enfin. Cette avancée pointue sur le trottoir, légèrement agressive, me fascine. L’idée de vivre dans le vide, d’une certaine manière, tout autant. Même si tout est relatif. Comme à mon habitude, le cadrage me prend un certain temps. Ce qui m’a valu quelques ratés mémorables… Cette fois-ci, aucun problème de ce genre. En revanche, une fois la photo faite et déjà sur mon chemin, une petite phrase arrive lentement mais sûrement à mes oreilles. Très courte.
« T’es moche ! »
Cela vient de l’ombre de l’immeuble, d’une petite fenêtre ouverte que je distingue à peine dans les bas étages. Des jeunes. Qui se marrent de leur coup. Je poursuis ma route, pas vexée pour un sou, et vingt mètres plus loin, une réplique me vient (c’est donc que ça me tracasse quand même un petit peu) : « Tu ne dois pas être très beau toi non plus si tu as besoin de te cacher pour me parler ! » Mais pourquoi n’est-ce pas arrivé deux minutes plus tôt ? Parfois, les phrases que l’on voudrait être capables d’émettre à l’instant t, pour une raison ou pour une autre, face à une personne aimée, méprisée, fraîchement rencontrée…, arrivent avec un métro de retard. Donc, trop tard…
Ces phrases que l’on finit par se répéter à l’envi une fois qu’on les a trouvées – elles commencent toutes par : « j’aurais dû dire » – deviennent totalement obsolètes, inutiles dès lors que le moment est passé. On ne le sait que trop bien, ce qui ne nous empêche pas d’imaginer la suite de chaque scène manquée, avec des changements primordiaux dans le script… Coupez ! On la refait ! Mais non, ça ne marche pas comme ça, dans la vraie vie… Cela s’apprend, la répartie ?
A bien y réfléchir et malgré toutes les images de la notre chère planète bleue que j’ai pu voir, j’ai un sérieux doute sur le fait que la Terre soit ronde. Pour cette courte démonstration scientifique, nous avons besoin de plusieurs ustensiles. D’abord une mappemonde. Modèle suffisamment ancien pour être sans relief mais assez récent pour s’éclairer malgré tout. La lampe de notre enfance qui, en plus de nous rassurer la nuit venue, nous faisait réviser nos cours de géographie. Hop, ni vu ni connu. Ensuite, quelques immeubles, maisons, arbres, éventuellement personnes…
Des miniatures car il va falloir les fixer sur la mappemonde. Donc, un tube de colle. Pas forte sinon, l’acte sera irrévocable et entraînera une chaîne d’événements dont il est, à l’heure actuelle, impossible de prédire l’issue. La première étant que la Terre ne pourra plus tourner, les immeubles bloquant la rotation au niveau du support raccrochant la Terre à la terre ferme. Et si la Terre venait à s’arrêter de tourner, comme chacun sait, elle tomberait dans le vide. Autant l’éviter, l’homme ne sachant pas exactement de quoi le vide est fait. Bref, l’idée est de coller quelques immeubles, disons, à Paris. Et d’en coller quelques autres aux antipodes, à Brisbane par exemple. Là, normalement, cela doit sauter aux yeux. Comment nous faire croire en effet que la Terre peut à la fois être ronde et permettre à tout le monde de vivre à l’endroit ? Quelque chose m’échappe…
Maintenant, deuxième expérience : on enlève le globe de son support. On recolle ce qui a été décollé et on met l’hémisphère sud au nord. Entre parenthèse, c’est cette image que nous aurions de notre planète si la Nasa ou le Cnes, pour ne citer qu’eux, étaient sud-africains, vietnamiens ou argentins… Bref, on se rend tout aussi vite compte que la notion de sens est totalement insensée dans ces circonstances. Car, où que nous soyons dans le monde, c’est vers le cœur de notre planète que convergent nos pieds…
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Un tour du Soleil en duos : 6e année en cours
Pour (re)découvrir en un clin d’œil et sur une seule page les micro-histoires photographiques publiées en ces lieux virtuels :
- entre le 22/02/2010 et le 22/02/2011, voici Un tour du Soleil en duos…
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