Photo-graphies et un peu plus…

Je me souviens la première fois que j’ai écouté The Wall. Il y a quelques musiques, comme l’album de Pink Floyd, avec lesquelles la première rencontre a été si forte qu’elle reste vive dans mon esprit. Yann Tiersen et Le Phare par exemple. C’était en 1998. A Kerguelen. « Ecoute, tu vas aimer… » Je me suis assise sur le carrelage blanc cassé de la cuisine de la cantine de la base de Port-aux-Français, j’ai mis le casque sur mes oreilles, les bruits de casseroles, de couverts et de tambouille se sont éteints et la mélancolie de Yann Tiersen m’a enveloppée. Pendant des années. Aujourd’hui, quand le hasard me fait entendre Monochrome ou La Dispute, je sombre par 49°S 70°E.

Jusqu’à récemment, le 1er janvier exactement, quand j’écoutais The Wall, il y avait toujours un moment où je remontais encore plus dans le passé. Une colo à Anglet, à la fin des années 80 peut-être. On utilisait encore des walkman et des cassettes qui se rembobinaient en plusieurs minutes. C’était le temps où on avait le temps… Je me souviens d’un temps de vacance, de calme dans ma chambrée partagée. Elle était plus âgée que moi. Je me souviens d’un détail étrange aussi à son propos : en appuyant sur ses pouces avec ses index, elle réussissait presque à toucher ses poignets… Toujours est-il qu’elle m’avait prêté son walkman avec sa cassette de The Wall dedans. C’était un peu la grande qui initiait la petite à la vraie musique… Je l’ai interprété comme ça. A la première écoute, j’étais conquise, emballée, envoûtée même si je ne comprenais pas vraiment les paroles ni le sens de l’histoire dont je percevais malgré tout l’âme.

Et voilà que cette image un peu surannée est en passe d’être remplacée par une scène bien plus récente et toute aussi forte. Il est autour de 2h du matin, j’ai passé les 6 dernières heures à chasser des aurores et des étoiles au nord de Tromso, au cœur des fjords dans lesquels s’engouffre la mer de Norvège, je suis collée au fond d’une Volvo break, les joues rougies par un mélange de joie et de froid, conduite par George, le guide écossais que je n’aurais compris qu’un mot sur deux et encore, qui connaît parfaitement les pistes, se permettant de filer dessus à vive allure malgré la couche de neige et de glace qui la rehausse et la rend imprévisible… Les montagnes sublimement éclairées par la lune gibbeuse aux airs de soleil nocturne défilent de l’autre côté de la vitre tandis que la voiture est secouée par les spasmes enivrant de The Wall… Cela aurait pu être n’importe quoi ; George aurait pu être fan des Beattles ou des Rolling Stones. Non, pour le scottish, c’était Pink Floyd ! Is there anybody out there? Quand j’entends les premières notes, je pense que ce rock-là est ce qui pouvait résonner de mieux dans ces circonstances-là à cet instant-là. Les refrains s’enchaînent, on chante à tue tête, we don’t need no education, we don’t need no thought control, no dark sarcasm in the classroom… La neige autour, les montagnes dressées comme des murs infranchissables, le ciel pailleté, les routes sinueuses, la pêche miraculeuse (une poignée d’aurores pour des millions d’étoiles), la musique à fond, c’est bien du bonheur dont ce mélange avait le goût. Comment penser à autre chose désormais en appuyant sur Lecture ?

Share on Facebook

Share on Facebook

Il y a 20, 30 ou 40 ans, je ne sais plus trop bien, j’ai, pour la première fois, posé le pied dans une école. J’y ai appris beaucoup, notamment que ce que j’allais faire serait désormais jugé et évalué par des personnes qui en savaient plus que moi et que je devais respecter : mes institutrices/teurs et plus tard, mes professeures/rs (même si, à l’époque, un professeur, même femme, restait au masculin… la grammaire grand-mère). Tout cela se matérialisait par des notes, sur 10, sur 20, sur 50. Des chiffres. Plus le travail fourni était bon, c’est-à-dire en adéquation avec ce qu’en attendaient les sachants, plus la note était élevée, et plus grande était la satisfaction de l’apprenant et de ses parents (sans que je sois réellement certaine de l’ordre dans lequel les citer). Avec une bonne dose de bonnes notes, on avait même des bons points, des images, des tableaux de satisfaction voire d’honneur (la classe ultime !). C’était un peu la consécration, même si, au fond de nous, élèves, nous détestions ce système de notation, stressant, discriminant sur un seul critère (évidemment, j’en avais différemment conscience à 7 ans). Car dès le plus jeune âge, on nous apprenait que le monde était scindé en deux : les bons, avec les bonnes notes essentielles pour avoir une belle vie plus tard, faisant la fierté à la fois des parents (c’est mon enfant !) et des maîtres (c’est mon élève !), et les mauvais, avec les mauvaises notes donc, la risée de la classe parfois, le problème des parents (qu’est-ce qu’on va bien pouvoir en faire ?) et les oubliés des professeurs (je n’ai pas le temps de passer autant de temps avec toi). Autant dire que lorsque tout ce cirque, qui a fini par déteindre sur nous, s’est arrêté, des années plus tard donc, le soulagement était au rendez-vous. Enfin « libéré » des notes, des bulletins et autres appréciations parfois lapidaires…

Et bizarrement, le monde moderne a créé les réseaux sociaux, auxquels des centaines de millions de personnes dans le monde ont adhéré, adoptant, du même coup, son cortège de like, de pouces levés, de « + », de partage et autres, en somme, son propre système de notation, au véritable rôle masqué par une nomenclature amicale. Un système que nous avions pourtant réussi à quitter il y a quelques années. Car, soyons francs, plus de personnes plébiscitent un propos, une image, une vidéo, un statut, un lien, un contenu donc, quel qu’il soit, plus son émetteur est heureux. Un bonheur qui atteint son paroxysme quand la notification s’accompagne d’un commentaire personnel. Comme l’était l’enfant ramenant un 8/10 en mathématiques et son TB de son instit… Les animaux sociaux que nous sommes devenus aiment qu’on aime ce dont ils parlent. En cela, le réseau social m’apparaît comme un milieu régressif. Régression à laquelle je participe moi-même : sous chaque article de ce site, il y a un petit cœur et un « + » juste à côté, invitant les lecteurs ayant aimé ce qui précède à le faire savoir en cliquant dessus et donc, en faisant monter la « note » de l’article en question. Oui, oui, il sert à ça, ce cœur… Et je me surprends à claironner : « Mon mot du jour a 8 « + » ! ». Une vraie fierté, et sincère en plus ! Comme si la communauté virtuelle et partiellement anonyme m’avait accordé une bonne note. Comme à l’école. A ceci près que là où, plus jeunes, seuls nos enseignants, ceux qui savaient donc, étaient habilités à nous estimer, à nous juger, aujourd’hui, tout le monde, au sens propre, peut le faire. Et c’est même nous qui le leur demandons ! Voilà que nous avons érigé en norme ce que nous avons autrefois rejeté… Est-ce du sadomasochisme ou simplement notre nature ?

Share on Facebook

Petite, je n’arrivais pas à décider si je préférais être née à cette époque plutôt qu’à une autre, l’autre étant systématiquement située dans le futur. Un futur où, entre autres choses possibles, l’homme pourrait voyager dans l’espace comme il le fait aujourd’hui en train ou en avion. Ce qui nous projette dans un futur assez lointain, je le concède. Mais nous évoluons dans une mer d’hypothèses, donc laissons-nous porter ! Je rêvais donc de ce big-bang touristique, de découvertes de mondes appartenant à d’autres galaxies et d’autres civilisations – je ne crois pas à l’exception de la vie sur Terre qui me semble relever d’une mégalomanie collective : franchement, tout ça rien que pour nous ? – tout en réalisant qu’il était encore bien trop tôt pour que j’y accède. Je déportais alors mon espoir sur la cryogénisation, qui, si elle était « banalisée » à temps, me permettrait peut-être de faire ce saut dans le temps et d’être l’observatrice de ce que le monde serait devenu pendant ce long sommeil. Je me nourrissais de Barjavel, de L’homme qui valait 3 milliards et autres fantaisies spatio-temporelles et me persuadais que mon contemporain – moi, en somme – n’était qu’une étape dans l’Histoire de l’humanité. Déjà un fossile sur lequel les générations futures se pencheraient avec amusement et empathie, comme nous pouvons le faire avec les premiers homo sapiens sapiens

Plus tard, j’ai continué à m’intéresser à tout ce qui allait faire de nous des êtres différents – la génétique, la robotique, les neurosciences, les nanotechnologies – en m’interrogeant sur la façon dont ces évolutions, dont l’homme était lui-même à l’origine tout en les précipitant grâce à la technique, allaient impacter notre perception de ce que sont la nature, l’homme, l’humanité. J’estimais que c’était des questions ardues et passionnantes à la fois, auxquelles les faits apporteraient sûrement une consistance avant même que nous leur trouvions des réponses. Il en est ainsi de nos jours : les choses bougent bien plus rapidement que notre capacité à les analyser. Et il me semble que réfléchir à ces transformations qui s’apprêtent à démultiplier le visage de notre espèce comme jamais auparavant est un brin plus actuel et fondamental que ce qui secoue notre bonne société française ces derniers temps. A côté de ce qui point à l’horizon dans un avenir à portée de mains et des questions que cela va assurément soulever – un être génétiquement modifié et un homme « augmenté » sont-ils toujours des êtres humains ? ; y aura-t-il d’un côté les êtres « naturels » et les « artificiels », forcément supérieurs, avec toutes les discriminations que ces nouvelles différences  pourront faire émerger ? -, ce soulèvement autour de la légalisation de nouvelles formes de familles et le déchaînement qu’il déclenche sur ce qui est sensé être naturel ou pas, sur la mise en péril des fondements de notre société, m’apparaît comme un combat d’arrière garde, d’un autre temps, même si j’ai bien conscience qu’il s’agit du nôtre et qu’il faut se battre pour des évidences. Car cette question-là est hyper-facile ! Ceux qui s’époumonent aujourd’hui ont intérêt à garder un peu de leur souffle pour les mutations bien plus profondes que va connaître la société dans sa globalité dès les prochaines décades, car je doute qu’ils les acceptent facilement… Et je ne pense pas tout mélanger en mettant ces diverses considérations au même niveau. Dans les deux cas, il ne s’agit que d’une chose : d’évolution, et de l’ouverture, logique, du champ des possibles que cette dernière offre. Pourquoi cette évolution humaine, à laquelle nos instituteurs/trices nous sensibilisent dès le plus jeune âge en nous apprenant qu’elle est constitutive de la nature humaine, s’arrêterait-elle avec nous ? Encore un accès de mégalomanie ? Un manque de vision peut-être ? La Vie dépasse notre simple vie, avec tout ce que cela suppose quant à notre propre insignifiance.

Share on Facebook

J’adorerais, chaque matin, pouvoir attendre mon bus en me posant, comme ce monsieur en chemisette jaune, sous les branches sculpturales de cet arbre gigantesque qui continue à se déployer malgré les troncatures régulières que lui infligent les hommes qui sont pourtant arrivés après lui… Ceci dit, si je pouvais effectivement patienter sous cet arbre, je crois que je laisserais passer mon bus…

Share on Facebook

Un message circule ces dernières semaines sur le réseau social au milliard d’abonnés… Ceux qui y surfent – soit, une personne sur sept dans le monde – l’ont certainement vu, doutant peut-être même de son authenticité ; ceux qui n’y sont pas – que ce soit volontaire ou non – seront peut-être encore plus fiers de leur statut de non membre après avoir lu ce texte. Ce message, qui fleurit sur les murs des uns et des autres, mais plus souvent des détenteurs de Pages (entreprises, structures, associations, musées, artistes…) apprend à la communauté que Facebook a changé ses paramètres et que désormais, sauf à payer, seuls 10% des « amis » ou « fans » recevront systématiquement les informations qu’ils publient. Evidemment, il n’y a pas écrit « Payer » sous les posts mais « Promouvoir »… Subtile nuance… Pour l’heure, il existe encore une parade simple – et c’est elle que s’attachent à décrire les porte-voix publics pour retarder l’oubli – mais certainement décourageante quand on a 130 contacts, ce qui n’est ni plus ni moins que la moyenne par personne encartée. Cette parade consiste à aller sur la Page ou le mur de chacun et – je vous passe les détails techniques car j’en ai déjà perdu en route, des lecteurs – en faire un « Centre d’intérêt »… Ce qui laisse entendre que parfois, il n’y a aucun intérêt à être connecté à tel ou tel fil d’information que l’on a pourtant choisi, souvent dans un état de noble sobriété. Et je ne parle pas des séances de yoga de Gwendoline ! D’où une question : quel intérêt peut-il y avoir à suivre les actualités d’une entité dont on a que faire ? A priori, aucun. Donc, par définition, si on est « ami » ou « fan », c’est que l’on y trouve son compte. Et que l’on a donc envie de savoir ce qui se passe…

L’autre point qui m’interpelle est l’existence même de cet appel au secours. Car, si seulement 10% des contacts – comment sont-ils choisis ? – reçoivent les posts et que ce sont toujours les mêmes, cela ne règle pas le problème des 90% de personnes qui n’auront pas accès à cette information source. Celle-là même qui déclenchera, peut-être, l’acte de déclaration sous huissier de « centre d’intérêt ». Sauf si, comme dans un voyage dans le temps où interférer sur son passé alors que l’on vient du futur a forcément des conséquences sur celui que l’on sera dans le futur et donc a fortiori sur celui qui fait ce voyage dans le temps (désolée, je suis allée voir Looper il y a quelques jours et ça me travaille), la liste des 10% évolue au fur et à mesure que les fans s’affichent officiellement intéressés, de telle sorte qu’au bout d’un certain temps (au moins trois générations), 100% des contacts auront été informés et choisi leur camp ! Il y a quelque chose de profondément absurde dans cette nouvelle évolution, qui est en contradiction totale avec les objectifs originels de ce réseau qui affiche encore sur sa page d’accueil qu’il est « gratuit (et le sera toujours) »… Ce qui est vrai techniquement puisqu’il ne faut rien débourser pour s’inscrire. Mais une fois la porte poussée, d’autres règles s’appliquent. Bien moins philanthropiques. C’est un peu comme entrer dans une bibliothèque publique et réaliser que les étagères portent tous des livres aux feuilles vierges…

Quoi qu’il en soit, n’ayant pas encore 1 milliard de fans et n’étant donc pas en mesure d’abuser de ma position dominante, il n’y a aucune raison pour laquelle je vous priverais des 90% manquant de cette photographie…

Share on Facebook

Normalement, ce jour-là, c’est-à-dire, un 24 juillet dans l’hémisphère nord, au summum de l’été donc, au sommet de Crater Lake aussi même si ça n’est pas très haut, le sol n’aurait pas dû être partiellement recouvert de neige mais massivement habillé d’un gazon vert non tondu sur lequel les visiteurs du jour auraient pu courir, s’ébattre, pique-niquer, ramasser des pâquerettes, jouer au volley, au cricket ou faire la sieste… Normalement, cela aurait dû se passer ainsi. Clairement, en ce 24 juillet, la neige est un intrus. Ce que confirment les têtes incrédules sortant de leur voiture, accompagnées de leur corps ballant et engourdi par de longues heures de route, en arrivant au point culminant du parc, par ailleurs proche de son entrée. Voilà pourtant que deux familiales arrivent sur le petit parking, hors champ, et s’y garent, laissant s’échapper deux familles indiennes sur trois générations. Comme les autres, ils sont incrédules. Mais pour une raison totalement différente : c’est en effet la première fois qu’ils peuvent toucher de la neige, marcher dessus, l’entendre crisser sous leurs pas ou encore se jeter des boules de neige ! Alors que les autres – ceux que la neige n’émerveille plus – jettent leur dévolu sur le reposant reflet de la caldeira à la surface du lac, eux profitent, logiquement, de ce qu’ils n’auraient pas dû voir, normalement. Finalement, les retards de saison peuvent avoir du bon…

Share on Facebook

En général, on a plutôt tendance à dire que l’on ne voit pas le temps passer : « Comment, on est déjà vendredi ? », « Quoi, j’ai déjà 42 ans ? », « La dernière fois que je l’ai vu, il portait des couches culottes ! » En résumé : la vie passe vite, la vie file, la vie défile ! Ne dit-on pas d’ailleurs « revoir sa vie en accéléré » ? Mais pourquoi pas au ralenti finalement ?
Il est vrai que les circonstances dans lesquelles nous sommes amenés à employer cette expression stipulent, par nature, que nous n’avons potentiellement plus beaucoup de temps devant nous, et que cette fin toute proche déclenche cette urgence de tout – notre propre histoire – passer en revue avant le clap final. Ceci dit, une personne capable de témoigner qu’elle a vu sa vie défiler en accéléré n’a, par définition, pas vécu le clap final pour la simple et bonne raison qu’il a fallu qu’elle soit vivante pour nous en faire part. Je serais, par déduction, tentée de dire que l’on est en mesure de voir une action au ralenti quand elle ne nous semble pas fatale ou ne nous concerne pas directement, dans notre chair. Un verre qui tombe d’une table et dont on voit la chute seconde après seconde à tel point que l’instant se mue en éternité ; un accident de voiture à un carrefour que l’on visualise avant même qu’il ait lieu… Dans les deux cas, ces perceptions distordues du temps nous confrontent à notre incapacité à réagir. Le verre explosera bien en mille morceaux en entrant en contact avec le carrelage. L’accident aura bien lieu malgré nos pensées.
Voir la vie au ralenti n’est pas naturel, indépendamment de l’urgence dans laquelle nous vivons ou de l’ingestion éventuelle de substances illicites. Ce qui rend le fait de pouvoir l’expérimenter encore plus fascinant et hypnotisant, car cela nous arrache à notre propre temps. J’en ai fait l’expérience vendredi en me rendant au sous-sol du Laboratoire où est actuellement présenté Figure Studies de l’artiste américain David Michalek. J’arrive dans une salle sombre, vide, hormis les huit grands écrans aux murs. Dessus, devant un fond noir, des personnes, souvent nues, bougent. Un bien grand mot. En réalité, e-l-l-e-s b-o-u-g-e-n-t. Extrêmement lentement, à tel point que parfois, l’on peut croire qu’elles sont immobiles. L’artiste a utilisé une caméra filmant à 3 000 images/s pour enregistrer des actions de 5 secondes seulement. En repassant le film à vitesse normale (25 images/s), ces infimes 5 secondes se transforment en des séquences de 10 minutes où chaque tressaillement de muscle ou de gras est perceptible, amplifié et magnifié par la lenteur. Où la décomposition des mouvements composent une partition des corps inattendue. Aux côtés des athlètes au corps olympien, des danseurs à la maîtrise parfaite du geste, des messieurs et mesdames toutlemonde, toutesformes, toutescouleurs, toutesorigines… Il faut accepter de rester posté devant chaque écran l’un après l’autre pour se faire happer par cette infinie lenteur et pour en saisir la subtile beauté. C’est dans cette persévérance, fondamentalement opposée à nos rythmes de vie, que l’on peut se laisser surprendre tout d’un coup par un sentiment qui nous avait pourtant quitté : celui que le temps s’est arrêté, ou presque, et que dans ce non-acte, dans cette négation de la tyrannie de l’accélération qui gomme tous les détails, il nous permet justement de distinguer précisément tout ce que nous pouvons accomplir lorsqu’il passe. C’est en effet incroyable de voir tout ce qu’une personne – qui a certes répété sa « chorégraphie », qu’il s’agisse d’un saut, d’arroser des plantes, de danser, de simplement se retourner… – peut faire dans un laps de temps aussi court… 5 secondes, ce n’est rien. 1, 2, 3, 4, 5. 5 secondes, dans la vraie vie, on ne les prend même pas. Et pourtant, là, dans cette pièce isolée du monde extérieur, ces 5 secondes semblent déjà durer toute une vie… Surtout, courez-y !

Share on Facebook

Au même titre que la décrépitude architecturale a un effet revitalisant sur moi, allant jusqu’à me rendre presque euphorique, tomber, par hasard, sur une casse par 62°27′ Nord, autrement dit, proche du bout du bout du monde, m’a mise particulièrement en émoi. En revanche, ce n’était bien sûr pas par hasard que j’ai atteint ces latitudes polaires : j’étais en chasse… Il faut croire que je suis attirée par la déliquescence des choses, et en particulier, de ces lieux – maison, immeuble, train, voiture… – qui ont accueilli la vie pour un temps et qui l’ont vue se faufiler vers un ailleurs, plus clément ou pas. Même si j’ai bien conscience que ces autos, soumises à des températures extrêmes pendant leur période d’activité – températures qui ont probablement contribué à réduire leur espérance de vie – sont condamnées à rester là, à s’entasser les unes sur les autres, au fil des années, jusqu’à ce l’après-mort s’en suive – qui viendrait dépenser un copec pour les rapatrier vers la civilisation et au moins les démanteler ? – et que cette pollution métallique est un paradoxe dans un endroit où l’air est si pur, je ne peux m’empêcher de trouver ce paysage incroyablement beau et fascinant. Cela tient beaucoup à son immobilisme, à cet aspect figé qu’accentue la neige immaculée, mais aussi à la présence de spécimens ayant disparu de la circulation depuis plusieurs décades – ce qui corrobore l’hypothèse précédente -, à la précarité de l’équilibre de ces carcasses imposée unilatéralement par une main de fer géante férue de Puissance 4 dont les doigts puissants ont fait exploser les vitres ; et enfin à leur état, brisé, plié, déchiqueté, rouillé, stigmate d’un abandon total…

Share on Facebook

Tous les matins, à 9h42, assez tôt pour avoir la journée devant elle mais suffisamment tard pour éviter les bouchons matinaux, elle entre dans une des quatre grandes gares parisiennes et choisit une destination au hasard. Seule condition : qu’elle soit à 34 minutes maximum de la capitale. Ce qui offre un certain choix malgré tout. Au sud, au nord, à l’est, à l’ouest, aucune censure dans l’orientation. Dans le train, elle se met près d’une fenêtre et regarde défiler la ville… Dans ce périmètre, la nature n’est pas particulièrement reine… Arrivée à sa station du jour, elle balaye les environs et entre dans le troquet qui lui semble répondre le mieux à ce qu’elle cherche. Elle pousse la porte, répond au bonjour du serveur derrière son comptoir ou le devance dans la politesse, puis va s’installer au milieu de la salle. Commande un premier café crème, sort son sachet de fraises Tagada, puis son carnet et un stylo pour écrire. Écrire au cœur de la vie des autres qui se succèdent au fil de la journée, dans le bruit des tasses posées sur les tables après chaque lampée, des collégiens qui se retrouvent, des pieds de chaises raclant le carrelage, des bises qui claquent quand les gens se retrouvent, plats du jour récités comme la poésie culinaire, puis des couverts qui s’entrechoquent, du brouhaha qui monte progressivement midi approchant, des sonneries de téléphone portable suivies du remplaçant d’allo, des commandes scandées à la cuisine par les serveurs, de la machine à café qui crache sa caféine puis des gens qui commencent à partir, du calme qui revient, du silence qui cherche à se faire une place sans jamais y arriver véritablement… Il y a toujours une porte qui s’ouvre, une caisse qui se ferme, des « au revoir », « bon appétit ! » lancés à la volée, il y a toujours quelque chose. Cela ne s’arrête jamais. La vie d’un café fait penser à un électrocardiogramme sur lequel un médecin détecterait les symptômes d’une arythmie néanmoins régulière, avec une crise de tachycardie par là – à l’heure du déjeuner, épuisante, saoulante, lessivante -, et une de bradycardie par ci – juste après cette heure où on ne distingue plus les mots car tout se fond dans un magma verbal, porcelaine et métallique. Chaque jour, c’est le même scénario, où qu’elle aille. C’est ce rythme-là, cette chronicité qu’elle vient chercher, cette certitude que, même si les clients sont pour la plupart différents – chaque troquet a ses piliers -, rien ne viendra altérer cette succession d’actions, d’allers et venues, de bruits, d’échanges, et parfois, il est bien reposant de savoir exactement de quoi demain sera fait…

Share on Facebook