Photo-graphies et un peu plus…

Il y a quelques semaines, la Mission Cinéma de la Ville de Paris était toute fière d’annoncer que le nombre de tournages dans la ville lumière avait encore augmenté en 2011. Avec 940 tournages, soit 3 707 jours cumulés, il a même cru de 40% en 6 ans ! Il y a quelques années, six peut-être, Woody Allen, adorateur manifeste et autoproclamé de New York mais aussi de Paris, avait décidé, à regrets, de se tourner vers d’autres pays européens où les taxes étaient moins élevées. La donne a donc vraisemblablement changé, ce qui l’a conduit à revenir en terrain connu pour son cru 2011, Minuit à Paris, entièrement filmé dans la capitale, ce qui n’est pas le cas de tous les films s’y déroulant.

Parmi les derniers films « parisiens », Sherlock Holmes 2 Jeu d’ombres où l’on peut découvrir une Avenue de l’Opéra telle nous – vivants du 21e siècle – ne l’avons jamais connue. Ou encore, Hugo Cabret, le dernier opus de Martin Scorcese, légère étrangeté dans sa sombre filmographie. Lui aussi nous montre un Paris, romantique mais plus charbonneux, où nous n’avons aucun repère. Ou presque. Dans les deux cas, Paris est plus reconstruite, numériquement évidemment, que réellement dévoilée. Or, toute reconstruction s’accompagne inévitablement d’approximations urbanistiques, de raccourcis, volontaires ou pas. Lorsque, dans la fable de Scorcese, Hugo admire la Tour Eiffel depuis le sommet d’une gare qui ressemble à s’y méprendre à celle du Nord, celle-ci paraît à deux pas. Mais Paris est si petite pour un Américain… Cela ne froisse probablement personne, surtout pas ceux qui ne connaissent pas la ville ou qui ont trop abusé de Las Vegas qui arbore son mini-Paris paré de ses incontournables collés les uns aux autres justement. D’autant que cette fameuse gare parisienne, où se déroule une grande partie du film, a en fait été bâtie à l’échelle 1 dans des studios londoniens, Scorcese n’ayant pas eu l’autorisation de tourner à la Gare du Nord, pour une action qui se passait, dans l’histoire, la vraie, celle de Méliès, à la Gare Montparnasse, aujourd’hui méconnaissable… Logique !

A leur façon, les réalisateurs, pour des raisons techniques et souvent budgétaires, contribuent donc à créer une autre cité dans l’imaginaire collectif. Certes, moins que ceux qui placent leur action dans le Los Angeles ou New York d’aujourd’hui par exemple, et qui tournent, en grande partie, à Vancouver ou Toronto, les antichambres d’Hollywood. Deux villes plus des images de studios se mêlent de façon inextricable pour n’en former qu’une seule, irréelle mais cinématographiquement viable. Une ville du 7e art qui ne se visite pas « en vrai », ou alors, qui sème son explorateur, une illusion de plus…

Rien de nouveau sous le soleil : pour la première scène si saisissante de Shining, celle où l’on voit Jack Torrance dans sa petite voiture jaune serpenter les étroites routes de montag(n)e, sur la terrible Symphonie fantastique de Berlioz, et découvrir, au détour d’un sommet, l’hôtel Overlook où il va passer l’hiver, Stanley Kubrick joue avec les lieux et nos émotions. Les images liminaires de montagne ont été tournées au Glacier National Park, dans le Montana, alors que l’hôtel où arrive le personnage de Jack Nicholson se situe sur le Mont Hood, près de Portland, à des centaines de kilomètres de là. Enfin, il n’y a que la façade du Timberline Lodge qui a été utilisée. L’intérieur, copie quasi conforme d’un hôtel du Yosemite, a été reconstruit dans des studios à Londres, ainsi que le labyrinthe où se perd Torrance, posé « en face » de l’hôtel dans le film. Savante supercherie totalement transparente à l’écran et qui éclate au grand jour lorsque l’on s’aventure soi-même sur ces routes de montagne, que l’on réalise qu’elles n’ont rien à voir avec ce qui nous a été montré, qu’il n’y a pas de sommet d’où l’on puisse observer l’hôtel en plongée et que la vue sur le lodge, qui ne fait plus du tout peur, est désormais gâchée par un massif bâtiment en béton… L’ensemble a beau avoir été totalement modelé, il n’en demeure pas moins quelque chose de réel : les gérants du lodge ont en effet demandé à ce que le numéro de la dramatique chambre 217, qui y existe, soit changé en 237, qui n’y existe pas, de peur de ne plus jamais réussir à la louer…

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C’est le nom de l’agence de voyage temporel qui a le vent en poupe en ce moment. Peut-être parce que, contrairement à d’autres, plus anciennes et plus généralistes, celle-ci a osé la spécialisation et choisi un créneau bien particulier : les années 20. Avec le recul, les voyagistes du temps, tout aussi touchés par les modes que leurs homologues seulement géographiques (sans que cela ne soit péjoratif), ont remarqué qu’il y avait toujours beaucoup de postulants pour cette décade de l’entre-deux guerre. Le music hall, les belles tractions, les débuts de la haute couture, le charleston, les arts déco, les cheveux courts à la garçonne, la prohibition, les chapeaux cloche et autres borsalinos à la Eliot Ness, tout cela est effectivement très cinégénique… C’est d’ailleurs sur les films que ces clients du futur, mais du passé, s’appuient pour déterminer leur époque de destination. « Des films d’époque », comme on dit.

Ainsi en est-il de cette photo de tournage de l’un des films de démonstration mis à la disposition des clients à l’agence. Je m’en souviens comme si c’était hier, puisque c’est moi qui l’ai prise. La nuit venait à peine de tomber et j’entrais tout juste dans le Vieux Montréal, où les premiers gratte-ciels du Canada ont été érigés et où l’architecture néo-classique à l’anglo-saxonne domine avec fierté. Les ampoules des réverbères n’étaient pas encore allumées. C’est une heure un peu étrange, où il fait encore un peu jour mais plus vraiment, mais pas encore nuit non plus. Photographiquement parlant, une heure sans relief dont on attend la fin avec impatience. Bref. Place des Armes, des ventouses. Et qui dit ventouse, dit parfois tournage. C’était effectivement le cas. Il y a quelque chose de magique à tomber, par hasard, sur un tournage, a fortiori, lorsque c’est un « film d’époque ». Le voyeur qui est en nous nourrit toujours le secret espoir de voir « quelqu’un de connu », une star quoi !, ce qui, en réalité, est extrêmement rare. Il attend, il attend, et réalise finalement, qu’un tournage, c’est long. Ceux-là se passent souvent dans des petites rues, dans de vieux quartiers, à l’abri des regards indiscrets. Pour les pavés, les vieilles bâtisses… Un film d’époque tourné à Dubaï serait pour le moins déroutant en effet… Et d’ailleurs, s’il n’y avait pas eu cette succession immanquable de tractions lustrées comme un camion tout neuf – une petite trentaine au moins -, j’aurais sans doute poursuivi mon chemin, la pellicule étant vraisemblablement rangée pour la journée, la ruelle étant enveloppée d’un calme post-combat. Débarquer dans ces espaces-temps filmiques, comme dans toute reconstitution historique sérieuse, nous extrait instantanément de notre présent et nous propulse dans un temps que nous n’avons, souvent, pas connu. Un voyage dans le temps, en quelque sorte… Sans attendre qu’il n’existe réellement.

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