Photo-graphies et un peu plus…

La curiosité ? Celle qui pousse à laisser traîner ses yeux du côté des fenêtres de rez-de-chaussée ou des portes lorsqu’elles sont entre-ouvertes. On y découvre des bribes de vie. Des bouts d’existence dont on ne connaît ni l’avant ni l’après. Parfois, c’est simple : une télévision allumée sur un jeu de fortune, une personne hachant des carottes, une autre faisant un somme sur le canapé, des enfants en train de chahuter dans leur chambre.

Le spectacle est parfois plus énigmatique. Comme dans ce garage pris au détour d’une balade maltaise en fin de journée, fortement éclairé par une lumière hors champ… On cherche des indices qui pourraient nous aider à deviner ce qui s’y trame. Deux balais, une corde enroulée à terre, un cintre poussiéreux, des câbles électriques fixés au mur, un casque de protection auditive, un tablier plastifié pas trop sali, et juste à côté, une vieille photo en noir et blanc penchée et accrochée à l’un des tubes d’alimentation.

Après énumération, l’ensemble reste une énigme. Un garage ? Oui, mais pourquoi un tablier en plastique blanc, qui laisse supposer que ce qui est susceptible de se retrouver dessus peut s’effacer avec un peu d’eau. En fait, on dirait un tablier de boucher. Ce qu’il n’est pas. De la peinture ? Le port n’est pas loin. Mais il n’y a aucune tâche au sol, qu’il s’agisse d’huile ou de peinture. Ce qui attire le plus le regard a posteriori, c’est cette photo – absolument pas repérée dans le feu de l’action – sur laquelle on peut plus ou moins distinguer cinq personnes. Comme la trace d’un bonheur passé, d’un moment de gloire, d’une fine équipe précieusement conservée depuis et vers laquelle le propriétaire des lieux peut se tourner, au présent, comme pour mieux se souvenir.

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Notre mémoire est-elle faite d’images partielles comme celle-ci, de foules de souvenirs s’effaçant avec le temps et remplacés progressivement par du vide, par du blanc ? Et que reste-t-il, finalement, de ce blackout inéluctable mais salutaire ?

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Mais laquelle ? Celle scotchée à tout œil de touriste moderne qui se respecte (oui, oui, je ne suis pas très bien placée pour écrire cela…), ou celle qui siège au dessus de notre cou et nous fait réciter La cigale et la fourmi 40 ans après l’avoir apprise ? La première, caméra ou appareil photo, nous permet de capter et d’immortaliser tout ce que nous voyons, sans aucune sélection. On enregistre, on compile, on ne loupe rien, dans l’espoir de pouvoir « y retourner » plus tard, comme si on y était à nouveau. Mais, dans ces conditions, y est-on vraiment allé ? La machine – si noble soit-elle – se pose comme un filtre au champ réduit entre la vie et ce que l’on pourrait ressentir en se laissant traverser par les émotions, en la vivant vraiment. Pas de mémoire vive, mais une mémoire fictive. Virtuelle.

Les modes d’enregistrement, de captation, de recherche et de conservation des informations – images, sons, textes, numéros, adresses, moteurs de recherche… – ont tellement explosé que solliciter sa mémoire devient obsolète. A l’opposé, il y a ceux qui ne se fient qu’à leur deuxième boite. C’est le cas dans cette librairie malouine, une institution. De prime abord, un véritable capharnaüm : il y a à peine de quoi se faufiler entre les piles et étagères de livres… Un chaos total dans lequel on n’imagine rien retrouver sans au moins une lampe frontale, une bouteille d’oxygène et quelques heures de patience. Et pourtant, demandez un ouvrage quelconque, mais pas quelconque, et les maîtres des lieux vous l’apporteront après quelques secondes. Juste le temps nécessaire pour localiser le livre dans la topographie tentaculaire qu’ils ont bâtie au fil des années et qu’ils maîtrisent à la page près. Ce sens aigu de l’orientation mêlé à une mémoire visuelle exceptionnelle impressionne. Et méritait bien une photo, pour se souvenir qu’il est beau de se souvenir sans artifice…

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Une image vaguement approximative, nettement floue… C’est un peu ce à quoi ressemblent ces lointains souvenirs que l’on traque parfois, en réalisant qu’ils sont bien peu nombreux à avoir passé les années… Et que finalement, l’on ne se souvient pas de grand chose de cette enfance ou de telle autre période de notre existence passée. Sont-ils malgré tout enfouis quelque part, prêts à jaillir à la moindre madeleine ? Dans des cartons peut-être ? Ceux-là même qui ont été conservés, par bonté, dans un placard du fond, dans un grenier poussiéreux de la maison familiale, et qui couvent lettres, cahiers d’école, dessins, cartes postales, bracelet, tickets de cinéma, peluches, cours, entrées de musée, rêves…

Même si on finit par les oublier, on sait qu’ils sont là, quelque part, à portée de main. Plus que de simples papiers, de simples gadgets, c’est véritablement notre histoire qu’ils abritent. C’est rassurant de savoir qu’il existe un amoncellement de ces petites choses très matérielles qui nous permettent de reconstituer ce que nous avons été. Elles sont l’antisèche de notre mémoire faillible. Tout se complique quand ces cartons sont désignés persona non grata. Deux solutions : soit on les emporte avec soi, pour préserver ces tranches de vie encore quelques années ; soit on décide de s’en séparer, car, objectivement, on se dit que ces « objets » n’ont jamais servi depuis qu’ils ont été placardisés et qu’il n’y a donc aucune raison qu’ils soient plus utiles aujourd’hui. Le premier choix nécessite de trouver, concrètement, de la place ailleurs. Le second nécessite d’en trouver en nous, à moins de nous couper à jamais d’une partie de notre vie. Et c’est une étrange sensation de réaliser qu’alors, cette mémoire partielle voire partiale sera notre unique moyen de nous souvenir de tout ce que nous avons fait et été.

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« J’avoue j’en ai bavé pas vous mon amour, avant d’avoir eu vent de vous mon amour. Ne vous déplaise, en dansant la Javanaise, nous nous aimions, le temps d’une chanson »… ça vous dit forcément quelque chose… Et bien, c’est ce que chantait et grattait le jeune homme là, sur la photo, assis sur une pelouse normande baignée par le soleil du week-end. En boucle. Il y a deux jours donc. Et la chanson est toujours là, dans les couches supérieures de ma mémoire, venant, depuis, rompre de façon inopinée les instants de silence et de concentration comme si elle avait une vie à elle. J’ai de la chance : il y a pire que chantonner une mélodie de Gainsbourg… Car, en général, ce ne sont pas les chansons connues pour leurs grandes qualités musicales qui nous hantent, mais plutôt le tube lourd du moment, le jingle pub, la chanson pour enfant, qui nous font clamer, tout de go, un ridicule « voulez-vous coucher avec moi, hun hun ? » devant vos collègues ou amis ahuris, mais rapidement contaminés… C’est la partie la plus drôle de l’air entêtant, que l’on s’échange comme les miasmes en hiver…

Les anglophones parlent de « earworm », une sorte de ver sonore, ou de « musique obsédante » comme les qualifie Andréane McNally-Gagnon, doctorante au Brams (Laboratoire International de recherche sur le cerveau, la musique et le son) à Montréal… Elle a ainsi établi un classement des 25 musiques les plus obsédantes pour des francophones sur une liste de 100 chansons présentées. Aller y faire un tour est évidemment éminemment dangereux, mais à notre époque bercée par le principe de précaution, il faut savoir être courageux ! « J’avoue j’en ai bavé pas vous mon amour, avant d’avoir eu vent de vous mon amour. Ne vous déplaise, en dansant la Javanaise, nous nous aimions, le temps d’une chanson. » Et zut !

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Non pas à voyager dans le temps, mais à laver le temps… Quelle action de la machine à laver sur notre passé ? La chronologie des événements constituants notre vie est bouleversée. Programme long, linge sale : le passage du passé à la machine fait disparaître les mauvais souvenirs, ces tâches, parfois persistantes malgré les lavages de cerveau, incrustées dans notre parcours.

Le présent dans la machine à laver avance tambour battant ! On ne le voit pas filer, il rebondit partout, s’agite, balloté de gauche à droite par les événements. Vite, il est submergé. Programme express.

Pour le futur, le rythme change… Il faut y aller doucement, lentement mais sûrement comme on dit, il faut le ménager, le respecter, le préparer. C’est un peu la soie de la vie, que le temps tisse avec opiniâtreté. Un jeu d’endurance pour ne pas épuiser la matière trop rapidement. C’est sensible, le futur. Programme délicat, donc.

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Direction San Francisco, où, un peu comme à New York, chaque coin de rue, chaque relief, chaque pont semble nous rappeler quelque chose, tant ils ont été montrés dans les films et autres représentations artistiques… Ce sont évidemment de faux souvenirs, mais quand même, ils sont là… A San Francisco, il y a évidemment le Golden Gate Bridge, que l’on peut difficilement rater. Et puis, pour certains (dont moi), il y avait ce parc, un peu perché dans la ville, qui figurait dans le générique de la série « La fête à la maison », avec cette longue enfilade de maisons victoriennes de toutes les couleurs et son point de vue sur les collines et la mer… Bref, une image d’enfance qui donnait déjà envie d’y aller…

Concrètement, sur place, retrouver, dans un temps limité, un parc avec des maisons victoriennes dans une ville qui compte un certain nombre de parcs et de maisons victoriennes, est un peu une gageure. Sa position haute permet de faire un premier tri… Un parc, deux parcs, trois parcs passés. Et puis, Alamo Park se présente. Sur les plans,  sur les cartes postales, il est accompagné d’un petit dessin avec quelques maisons victoriennes… Serait-ce celui de mes souvenirs ? La hauteur, la vue sur la ville, la pelouse sont là… Et les maisons victoriennes aussi. Bien moins colorées que dans mon souvenir et surtout, beaucoup moins nombreuses ! Dans ce même souvenir, le parc en était entouré… Dans la réalité, elles ne sont que sept et sont préservées comme l’un des joyaux de la cité. Il a fallu de longues minutes pour être convaincue d’être au bon endroit puis, autant, pour remplacer le souvenir par l’image réelle.

Mais, nos souvenirs valent bien quelques détours par la réalité…

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