Photo-graphies et un peu plus…

L’obscurité n’est plus ce qu’elle était… Il y a quelques années, lorsque le noir se faisait dans une salle de cinéma – dite « salle obscure » -, de concert ou de spectacle, il n’y avait que le bloc parallélépipédique « Sortie de secours » pour lancer sa faible lumière, repérable de tous. Le monde a changé. Aujourd’hui, il y a les portables. Les téléphones d’abord, aux écrans à taille variable, rétro-éclairés dans des couleurs elles aussi variées. S’y ajoutent les livres numériques puis, depuis peu, les tablettes, aux formes plus généreuses et, a fortiori, un peu plus lumineuses. Quelques ordinateurs portables complètent ce tableau digital en perpétuelle évolution, tout en restant très minoritaires. Ainsi, quand le régisseur lumière appuie sur l’interrupteur, signifiant à l’assemblée que le spectacle-le film-le concert va débuter et, de façon délicate, qu’il est donc temps de s’asseoir et de se taire, telles des lucioles flottant dans l’air, toutes ces magnifiques petites machines continuent de briller. Soit parce que leurs propriétaires ont du mal à couper le cordon et attendent la dernière microseconde pour, non pas éteindre, mais mettre en veille leur opium binaire – sait-on jamais, il pourrait se passer quelque chose d’hyper important pendant les deux heures suivantes – ; soit parce que, à l’instar des Transformers, ils peuvent les utiliser pour photographier, enregistrer, filmer ce qui défile devant leurs yeux, ou plutôt, leurs écrans, ces nouvelles prothèses visuelles. Dans les deux cas, le charme est rompu même si ce parterre polychrome n’en est pas dénué…

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D’abord, enfoncer quelques portes ouvertes. Aujourd’hui, tout le monde a un, voire deux, portables. Même les plus vieux – les constructeurs ont adapté le matériel -, même les plus jeunes – ils sont insolemment doués de naissance avec les technologies. Aujourd’hui, nombreux sont ceux à être équipés de smartphones ou à avoir opté pour des forfaits leur permettant d’échanger de façon illimitée par écrit, qu’il s’agisse de SMS ou de mails, avec leurs interlocuteurs. Or, et l’homme est ainsi fait, l’absence de contraintes – un quota de textos par mois, par exemple, au-dessus duquel tout envoi supplémentaire devient payant – ne favorise pas l’efficacité, en l’occurrence ici, la concision. De telle sorte que la simple mise en place d’un rendez-vous peut donner lieu à une avalanche d’échanges dont les trois-quarts, au moins, sont inutiles… D’où un agacement certain si l’un des deux protagonistes en est encore à l’âge de pierre, c’est-à-dire, dispose d’une formule raisonnable, donc limitée voire bloquée, et fait son possible pour limiter les aller-retour. Voilà ce que cela peut donner :

– Personne à formule illimitée (PAFIL) : On se voit toujours aujourd’hui ?

Deux minutes plus tard.

– Personne à formule limitée (PAFLI) : Oui ! Je serai libre vers 17h30-18h. On peut se retrouver chez moi ou au Café des étoiles.

La PAFLI, même si elle se veut efficace, entend quand même donner le choix à son rendez-vous. Elle veille malgré tout à la formulation claire devant conduire à une réponse précise.

A peine deux secondes plus tard.

– PAFIL : ça me va !

Echec total : la PAFIL ne choisit rien. La PAFLI reprend la machine et tapote, en réfléchissant bien à ses mots à nouveau.

– PAFLI : Parfait ! A quelle heure et où ?

La PAFLI est confiante cette fois-ci.

Tremblement de la bête.

– PAFIL : Comme tu veux !

Damned, cette réplique, la PAFLI ne l’avait pas du tout anticipée. Elle renvoie à son premier message et à sa volonté de ne pas imposer son choix. La PAFLI aurait dû avoir moins de scrupules. Mais ce n’est pas aussi simple, car la PAFIL aurait alors pensé qu’elle n’avait pas le choix et aurait peut-être proposé autre chose, histoire de. Bref.

– OK. Donc, chez moi.

La PAFLI déroule l’adresse, le code, enfin, tout ce qu’il faut pour arriver chez elle. Elle pose la machine à relier les hommes sur la table basse et poursuit ce qu’elle faisait en se satisfaisant de n’avoir passé que 8 minutes sur cette histoire. Cinq minutes avant de partir, la PAFLI reçoit un nouveau texto. C’est la PAFIL.

– PAFIL : Je vais être en retard. Retrouvons-nous directement au café.

La PAFLI intègre l’information. Quelques minutes passent. Et son téléphone se remet à se trémousser. C’est la PAFIL.

– PAFIL : Dis, tu as bien reçu mon message où je te dis que je suis en retard ?

Petit rictus de la PAFLI qui se sent obligée de répondre.

– PAFLI : Oui, oui, pas de problème. On se retrouve là-bas dans 25 minutes du coup.

Répit de quelques minutes avant que le jingle d’arrivée de message se fasse à nouveau entendre, et détester par la même occasion. C’est la PAFIL.

– PAFIL : Tu peux me redonner l’adresse s’il te plaît ? Je l’ai effacée par erreur…

Zut, zut et rezut. La PAFLI maudit la PAFIL, rumine dans sa barbe tout en lui renvoyant l’adresse du café.

Elle se chausse, enfile son manteau et quitte son appartement, passablement énervée et bien décidée à ne plus envoyer de textos pour le reste de la journée. Au bout de quelques minutes de marche, elle arrive à bon port. Entre dans ce café qu’elle connaît bien, trouve une petite table près de la fenêtre pour que la PAFIL la repère plus facilement, puis patiente. Cinq minutes, puis 10, puis 20. Là, ce n’est plus drôle du tout. La PAFIL n’est toujours pas là. La PAFLI ne tient plus, malgré sa promesse, et se résout à envoyer un message qu’elle tente le plus neutre possible.

– PAFLI : Bah, t’es où bordel ? Je t’attends au café.

Là, quasiment du tac au tac. C’est la PAFIL.

– PAFIL : Impossible ! J’y suis et je ne te vois pas.

Le sang de la PAFLI ne fait qu’un tour. Car elle connaît la suite.

– PAFLI : Tu es bien au 23 rue des Alouettes ?

– PAFIL : Ah non, tu m’as écrit avenue. Ce n’est pas loin mais ce n’est pas pareil. C’est quoi alors, « rue » ou « avenue » ? En même temps, je trouvais étrange que tu me donnes rendez-vous dans ce bar pourri…

La PAFLI fulmine d’autant qu’elle est certaine d’avoir envoyé la bonne adresse. Elle ouvre son dossier de messages envoyés et recherche celui dans lequel elle l’a donnée. Et constate avec effroi qu’elle s’est effectivement trompée ! Exaspérée, elle compose un nouveau message :

– PAFLI : C’est rue. Désolée. Je t’attends.

La PAFLI pas fière est au fond du trou, mais est sûre de voir le bout du tunnel.

– PAFIL : Ok, j’arrive.

Dix minutes plus tard, un nouveau texto s’annonce. C’est la PAFIL.

– PAFIL : J’ai rencontré un pote sur le trajet et on a commencé à discuter… Tu nous retrouves ? Il est sympa, tu verras. On s’est posés à La Peine perdue.

– PAFIL : Hey, tu as eu mon message ? Tu arrives ?

– PAFIL : Bon, t’es où ?

– PAFIL : On se retrouve ou pas, alors ?

– PAFIL : Bon, on s’appelle hein ?

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On peut vivre avec son temps sans vraiment accepter tout ce qui l’accompagne ! Ainsi en est-il de cette dame noyée dans la masse des 5 milliards d’abonnés à un téléphone portable… Oui, oui, il n’y a pas d’erreur ni d’exagération dans ce nombre frais de juillet dernier, totalement vertigineux au regard du nombre de personnes (6,8 milliards) vivant sur cette planète à antennes ! Certes, ce chiffre ne doit pas faire croire que 3 personnes sur 4 possèdent un cellulaire ; ce n’est pas le cas. Ceci dit, ce dernier ne pourra qu’augmenter au fur et à mesure que les habitants de pays, comme la Chine ou l’Inde par exemple, s’équiperont. Deux millions de primo-accédants chaque jour, des fonctionnalités toujours plus diverses et étonnantes qui ne feront qu’imposer encore plus ces ondes électromagnétiques dans nos vies ! Et des questions en suspens comme celle, récurrente, de l’innocuité des ondes sur nos petits cerveaux. Avec la manne financière qu’une telle unanimité représente, difficile de penser que quelqu’un osera brandir un principe de précaution fort pour en interdire l’usage.

Mais je m’égare, comme souvent. La dame donc. Qui s’est réfugiée dans une cabine téléphonique d’où elle appelle avec son portable… L’image est amusante. Elle a fait la moitié du chemin vers la modernité : gagner en liberté grâce à ce parallélépipède bourré d’une électronique de pointe à rapprocher les êtres, la perdre aussitôt en choisissant de ne pas profiter de son aspect « mobilité », l’apport essentiel de ces dispositifs portatifs un brin envahissant. Car la modernité a aussi gonflé le flux automobile « Ah, tu es dans la rue ! », et de fait, le niveau sonore de la cité, faisant de ces cages de verre en voie de disparition des refuges d’un temps où l’on n’avait pas besoin de crier pour se faire entendre.

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… mais il ne s’agit ni de météo ni de madeleine ! Contrairement à ce que j’affirmais dans La fin du temps il y a quelques semaines, Montréal a bien ses gardiens du temps officieux. Les sauveurs des sans montre, des sans portable, des anti-temps en titane et consorts ! A savoir, l’ancêtre du cellulaire (il est décidément beaucoup question de filiation ces temps-ci…), la cabine téléphonique. Qui n’est pas nécessairement une cabine. Elargissons donc : le téléphone public. Qui peut être dans une cabine donc, accroché à un mur de station de métro ou sur une simple borne au milieu du trottoir. Si, à Paris, des escadrons sauvagement organisés viennent régulièrement les arracher de leur poste en pleine nuit, Montréal les conserve. Sûrement une question de temps… L’éradication est en effet intimement liée à l’explosion démographique des portables – la question, par endroits, étant plutôt : « où est mon portable pro ? » « non, ça c’est mon perso ! » – qui semble ne pas avoir encore eu lieu ici.

Ces parallélépipèdes rectangles métallisés assez basiques sont dotés d’un petit écran sur lequel défilent informations et consignes : « Veuillez décrochez. » Puis « Appels locaux 50 c / Local calls 50 c » (parce que tout est traduit dans les deux langues, sauf les films) puis le jour et enfin l’heure. Chic ! Le cycle prend 8 secondes environ. Ce qui n’est pas négligeable quand vous êtes bien lancé, et qui peut pousser un observateur discret à s’interroger sur votre santé mentale. Vous êtes un sans-temps – mais on s’entend, vous avez quand même besoin de connaître l’heure par moments -, vous avez trouvé un téléphone accessible (pas derrière une grille que vous ne vous aviserez pas de franchir au risque de voir débouler trois bulldogs anglais mais canadiens), vous vous arrêtez net comme si une mouche vous avait piqué, mais c’est le début du cycle. Vous voilà donc posté devant la machine, à la regarder de façon insistante sans même ciller les yeux, de peur de manquer la ligne attendue, sans bouger, sans saisir le combiné, c’est inutile, vous ne voulez appeler personne. Vous êtes là, donc à attendre que les 8 secondes passent. Comme si la machine s’était arrêtée. La vôtre. Comme si vous aviez buggé, en quelque sorte. Un statu quo temporaire mais tout à fait perceptible par une personne passant à vos côtés à cet instant et qui vous lancerait alors un regard interrogateur, voire inquiet. Vous aimeriez alors lui dire que tout va bien, que vous ne planez pas et que vous attendez juste que les 8 secondes passent pour savoir enfin quelle heure il est, mais cela impliquerait certainement de tourner la tête, mouvement qui vous ferait inévitablement repartir pour un nouveau cycle. Et pendant ce temps, le temps passe. Evidemment, vous pourriez aussi saisir cet échange furtif de regards pour lui demander directement l’heure, ça marche très bien aussi !

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