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Enfants, sans saisir le sous-texte politique afférant pour autant, il y avait ceux qui étaient plutôt Pif Gadget – mouvance communiste – et ceux qui lui préféraient Picsou Magazine – tendance américano-capitaliste. Dans le même esprit binaire, il y avait les pro-Asterix, les pro-Spirou, les pro-Tintin, les pro-Blake et Mortimer, les pro-Gaston Lagaffe ou encore les pro-Lucky Luke... On pouvait difficilement être tout cela à la fois tant les héros avaient des personnalités différentes et même opposées, même sans être conscient des messages cryptés – politiques à nouveau mais aussi sociétaux – véhiculés par ces bandes-dessinées qui ont peut-être, sans doute même, influencé les adultes que nous sommes devenus à force de les lire et de les relire.
Personnellement, rêvant déjà de grands espaces, de voyages, de mots et d’images, et encore imperméable à la portée colonialiste voire pire des bulles et planches d’aventures vécues par le légendaire reporter à la houppette, j’étais Tintin, sans hésitation. A plusieurs reprises, j’ai donc eu affaire à la fameuse Boucherie Sanzot, qu’une dame cherchait régulièrement à joindre par téléphone, en composant le 421 – notez au passage que les numéros ne comptaient que 3 chiffres à l’époque – qui était le numéro de Moulinsart et non pas celui de la Boucherie Sanzot, au 431. Pendant des années, à la lumière de ma lampe de chevet, j’ai lu Boucherie Sanzot en alignant simplement les syllabes, sans me poser la moindre question. Et puis, un jour, il y a peut-être une dizaine d’années, peut-être plus, peut-être moins, à la faveur de circonstances oubliées depuis, j’ai dit « Boucherie Sanzot » à voix haute. Et là, tout d’un coup, la formidable note d’humour m’a sauté aux yeux, ou plutôt aux oreilles. Evidemment ! 20 ans après avoir dévoré les différents albums, je comprenais enfin la subtilité de la Boucherie « Sans Os ». Une gageure pour un tel lieu assurément !
Je l’ai notée dans mon carnet tant cette phrase, lancée à voix haute par un patient patient dans une salle d’attente de cabinet médical – pas de psychiatrie je précise -, s’est révélée à la fois juste, simple, belle et totalement impromptue. J’ai un faible pour ces décalages du fond et de la forme… L’homme, à la retraite – oui, il est des gens qui se racontent facilement dès lors qu’ils ont un auditoire attentif bien que silencieux et planqué derrière un magazine vieux de 3 ans ou un smartphone au flux continu de nouvelles fraîches -, ajoute : « On n’y pense pas, mais c’est tellement important ». L’ancien graphiste a raison – oui, il a aussi précisé son métier -, les yeux, quand on y pense, c’est important.
J’y ai d’ailleurs pensé intensément en prenant cette photo, ou plutôt, en observant cette scène de la vie courante : des sièges dans un train en premier plan, des voyageurs attendant le leur sur un quai extérieur en arrière plan. Cette banalité apparente est un leurre. Tout du moins, pour la boîte à images. L’œil mécanique se heurte en effet au « trop » – trop sombre ou trop lumineux – et exige des compromis : privilégier la scène extérieure pour ensuite découvrir un intérieur fortement assombri, ou, faire la part belle à l’intérieur et ainsi voir les silhouettes du fond se désagréger dans un excès de lumière. Une limite technique qui, heureusement, se comble aisément en prenant et assemblant deux photographies (ce que j’ai fait ici). Deux images qui ne font que montrer ce que nos yeux, en toute modestie, nous offrent à voir en un seul regard sans nous demander de choisir entre les détails des banquettes ou ceux du quai, parce qu’ils sont capables de tous les discerner en une fois. Robert – non, il n’a pas livré son prénom, je l’ai juste baptisé pour l’occasion – avait raison : les yeux, c’est merveilleux…
Si je focalise toute mon attention sur mes deux amis à la lisière de ce wagon au fer piqué par les années regardant eux-mêmes intensément, fixement, pensifs et comme envoûtés, le futur s’approcher à grandes enjambées et le paysage défiler hors du cadre fermé de cette porte de train ouverte, verrai-je aussi ce qu’ils voient ? En somme, le regard est-il transitif ?
La vie du photographe est ponctuée de diverses questions existentielles, lesquelles sont essentiellement liées à la lumière. Rien d’étonnant à cela dans la mesure où photographier, c’est, littéralement, écrire avec la lumière. C’est donc en analysant cette lumière ambiante disponible – extérieure, intérieure – et en la corrélant à son intention, en somme à l’image qu’il a déjà mentalement créée, qu’il va ensuite définir précisément le temps pendant lequel il la laissera passer et dans quelles proportions, l’un et l’autre dépendant intimement d’un troisième facteur, la sensibilité. Terme polysémique qui s’adresse aussi bien à l’outil qu’à la personne le manipulant.
Mais la lumière, c’est aussi une couleur, et même une température de couleurs. Ne parle-t-on pas justement de couleurs chaudes ou froides ? Ces subtilités font émerger une nouvelle question existentielle un brin obscure dans l’esprit calculateur du faiseur d’images : quid de la balance des blancs, celle-là même qui doit rendre leur pureté à ses bouts d’image encrés de blanc, et que, justement, la couleur de la lumière – celle, orange d’un coucher de soleil par exemple – altère ? La question m’a longtemps parasitée là-haut. Par 69°39’30 » Nord. En plein hiver. Alors même que le soleil n’a jamais dépassé l’horizon, que la vie n’était partiellement éclairée que 2h par jour par un halo de lumière résiduelle avant de sombrer 22 heures durant dans l’obscurité et surtout que, pendant ce court laps de temps, maigre répit pour les animaux diurnes que nous sommes, le monde extérieur ne se dévoilait qu’à travers le prisme d’un délicat autant qu’inhabituel filtre bleu, comme si l’air lui-même, devenu matière, en était teinté… Voilà donc la question que je me posais sans répit et sans réponse : que faire quand le blanc n’existe plus ?
C’est l’histoire d’un interstice entre deux blocs de granite immuables et muets comme une tombe qui, après des années de bons et loyaux services à maintenir le vide et à respecter le silence entre ces deux-là, a subitement décidé de tirer un trait sur cette longue collaboration manifestement sans perspective pour assurer une mission bien plus valorisante à ses yeux : amener la lumière au cœur des ténèbres !
Encore gorgé du généreux soleil de la journée, il n’avait pas réussi à s’éteindre quand la nuit fut venue…
Je poursuis mon inventaire très personnel des néophotologismes avec cette splendide « balanciel », autrement dit, une balançoire ayant l’étrange particularité d’être accrochée au ciel. J’en conviens, si nous nous laissons aller à être un peu trop terre à terre en nous référant uniquement à nos connaissances actuelles sur le ciel, et en particulier, sur sa composition – une bonne dose de diazote, une quantité raisonnable de dioxygène, une pincée d’argon et un soupçon de dioxyde de carbone, en résumé, de l’air, donc, un gaz, donc une substance occupant tout l’espace disponible et surtout non préhensible, a fortiori auquel on peut difficilement accrocher quoi que ce soit -, l’existence de la balanciel est difficile à concevoir. D’où l’intérêt et la force de la preuve par l’image !
Quant à se hisser jusqu’à elle, deux solutions. La première, des plus logiques : le ciel déroule ses bras de corde jusqu’au sol et, comme avec la balançoire, qui se pratique également en journée, il vous suffit de vous poser sur la planche avant que le ciel ne vous remonte à sa hauteur, et convoque un léger zéphyr pour vous balancer sans que vous n’attrapiez froid ou ayez mal au coeur. Seconde option, bien plus amusante mais aussi relativement risquée : sauter sur un trampoline jusqu’à atteindre ladite planche déjà haut perchée, s’y harponner tant bien que mal, et, par chance, se la couler douce dans les airs…
… est entrée dans le cadre, et tout d’un coup, l’image a pris forme voire même un sens qui dépasse a priori allègrement ma pensée. Comme si l’homme, symbolisé ici par cette ombre travestie façon cubiste par les marches de l’escalier, était une menace pour l’enfant, avançant avec une insouciance certaine et légitime entre de hautes colonnes de pierre immaculée lui indiquant le chemin à suivre pour en sortir, ou peut-être même s’en sortir. Je ne le crois pas. Et pourtant, c’est bien moi qui me suis postée à côté de cette sculpture d’Adonis aux contours pourtant parfaits, et c’est également moi qui ai attendu une entrée fracassante dans le champ pour déclencher. En quelques minutes, séduite par le graphisme prometteur de la scène ainsi que la confrontation 2D/3D, j’en ai en effet oublié que l’ombre était, dans la culture occidentale, avant tout porteuse des angoisses humaines et reflet de l’inconnu. Mon inconscient aurait-il à nouveau pris possession de ma boîte à images ?
Les habitants de cet immeuble ont une drôle de vie : après avoir traversé son immense hall d’entrée aux murs recouverts de miroirs, ils sont invités à s’arrêter dans un petit sas vitré où ils se scindent littéralement en quatre. Comme des cellules dans une boîte de Pétri. Chaque quart, une entité à part entière, dont le corps est la copie conforme de celui qui est entré dans le sas, emprunte alors l’un des quatre ascenseurs du bâtiment, disposés face à face.
Si les tous premiers mois à ce régime sont logiquement difficiles et déboussolants, les locataires finissent pratiquement tous par s’y habituer et s’installent dans quatre appartements similaires mais pas identiques pour les 3 ans et 10 mois maximum autorisés. Les rares qui abandonnent le navire précocément sont remplacés quasi instantanément tant la liste des postulants est longue.
Avoir l’opportunité de vivre, même seulement quelques heures par jour, quatre facettes de notre personnalité sans que l’une paralyse ou phagocyte l’autre, est en effet plus qu’exceptionnel. Et c’est toujours avec une joie et une sérénité palpables qu’au moment de s’extraire de cet univers singulier, les quatre quarts d’une même personne se retrouvent, en choeur, dans le même sas vitré qu’en entrant pour refusionner et n’en laisser sortir qu’une, nourrie de ces expressions de vie et de soi complémentaires…
“Sur une branche, perchée avec…”, un rendez-vous quotidien avec un membre de l’échomunauté… Rencontre avec Jean-Yves Terrault. Quelle est la place de la photographie dans ta vie ? La photo est une forme d’expression pour moi, qui me permet d’arrondir mes fins de mois. Bien que toutes les photos que je fais n’atteigne pas cet […]
Share on FacebookOutre atlantique, ces fenêtres sont appelées des french windows. J’ai une fois trouvé un immeuble à Paris avec des fenêtres s’ouvrant vers l’extérieur, mais c’était le trésor du jour, de la semaine, du mois, de l’année. Outre atlantique, les pains perdus sont appelés des french toast. C’est déroutant la première fois, mais Lost breads ne […]
Share on FacebookJ’ai vu cette image avant de la faire. Non qu’elle ait déjà été prise par quelqu’un d’autre ou que je l’aie rêvée, je l’ai tout simplement visualisée avant qu’elle n’existe. Et ce, de façon aussi instantanée que très claire. J’ai vu les gouttes d’eau se transformer en filets blancs venant strier l’image sur toute sa longueur […]
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