Il y a quelques mois, je ne me serais pas autorisée à mettre cette photo en ligne. Cette remarque est totalement indépendante du fait qu’il y a quelques mois, cette image n’existait pas. En tout cas, les éléments qui la composent. Je précise ma pensée : ces éléments existaient bel et bien, mais en dehors de mon champ de vision. De fait, ils n’existaient pas encore pour moi. Je ne me serais pas autorisée à mettre cette photo en ligne car elle est retouchée. Si, si… Je n’ai malheureusement pas été la témoin privilégiée d’une invasion de lampes échappées d’un vaisseau mère arrimé à une tour en perte de contrôle, invasion à laquelle je ne sais donc pas comment elle m’aurait affectée, et avant cela, comment je l’aurais vécue. Ce n’est pourtant pas la première image que je fais passer par les lames avisées du cloneur-sécateur… Toutefois, je me suis toujours dit que, sur ces pages, ne devraient être présentées que des images « réelles », à défaut, parfois, d’être réalistes. Pas de trucage, pas de manipulation, rien. Une photo, un point c’est tout. Il est des règles que l’on se donne comme ça, un peu à la va-vite, en début de mission, et que l’on finit par traîner comme des boulets au bout de quelques mois… Cela s’appelle tout simplement de l’autocensure. Et l’autocensure, dans quel que domaine que ce soit, est une vraie plaie. Ce qui, en soi, est paradoxal puisque cette plaie-là obstrue tout, une vraie paroi rocheuse qui viendrait s’écraser sur une route étroite, sinueuse et ascendante de montagne. Heureusement, il y a l’escalade.
D’un côté du monde à son autre versant, la jeunesse refuse que l’on lui dicte sa conduite. Elle défie les mêmes lois de l’apesanteur et, inlassablement, ses propres limites. Comme un rite de passage. Même scène, diurne cette fois-ci, que sur la digue malouine, même saut de l’ange, même public médusé, les adultes, stoppés dans leur élan baladeur et dodelinant de la tête à la vision de cet être perché, les camarades, prêts à lui tendre une serviette quand il remontera frigorifié.
Mais l’incroyable se produit. Après avoir bien balayé du regard l’assemblée des témoins, vérifié que les appareils sont armés et pensé mille fois qu’il s’apprête à remporter ce fichu pari qu’a osé lui lancer son binôme en cinématique (super, un pack de bières !), le garçon s’élance. Trois pas à peine. Pas la place de faire plus. Sauf qu’il s’arrête en plein vol. Indépendamment de sa volonté bien sûr ! La tête pas encore retournée, les genoux à peine recourbés, le corps prêt à se mettre en boule, les bras en chemin pour l’y aider. Autant dire, une position peu confortable à tenir. Il ne touche pas l’eau. Je reste là 18 minutes au bas mot, à attendre que quelque chose se passe, qu’il tombe enfin et éclabousse tout le monde au contact de cette surface tentante, il est vrai. Mais rien. Il reste figé. A 2 mètres de hauteur. Seules ses lèvres bougent et crient à l’aide.
Ses camarades, dont la première réaction est d’éclater de rire, réalisent ensuite la singularité de la situation dans laquelle se trouve leur ami. Ils sont surtout bien incapables de le récupérer puisque, mine de rien, avec son élan de trois pas, il a réussi à s’envoler assez loin. C’est alors que les pêcheurs chinois en bout de quai, dérangés dans leur paisible activité par le tintamarre juvénile, s’approchent. On les entend chuchoter quelques secondes, puis ils retournent tous à leur poste pour en revenir rapidement avec leur canne à pêche et leur filet… La suite se devine aisément : ils ouvrent les paris et, tour à tour, lancent leur canne vers le petit, qui, si j’ai bien compris, commence à avoir des fourmis dans les jambes, enfin, façon de parler… Le fait qu’il ne fasse pas face aux pêcheurs est une difficulté supplémentaire pour eux. D’habitude, c’est le poisson qui vient à eux, à l’appât. Là, c’est à eux d’aller au poisson ! L’appât ? Un de ces petits biscuits secs avec des pensées profondes recroquevillées à l’intérieur que l’on nous sert parfois avec l’addition dans les restaurants asiatiques. Après une douzaine de tentatives, l’un d’eux réussit à envoyer le « biscuit de fortune » directement dans la bouche du garçon et à le hisser sur le quai. Il lui faut plusieurs minutes avant de pouvoir bouger et se détendre. Et quand, enfin, il recouvre toute sa souplesse, il croque dans le petit biscuit et découvre le mot que lui adresse le destin : « Petit scarabée, il t’arrive parfois d’être un véritable crétin ! ».
L’arrivée d’un appareil photo numérique entre mes mains, et d’une manière générale, entre les mains de quiconque, a changé un certain nombre de choses fondamentales. Notamment, la façon de faire des photographies. Je n’évoquerai pas ici la séparation physique de l’appareil liée à la visualisation par écran : on ne fait désormais plus corps avec lui, et cela, c’est une révolution. A mon sens. Mais c’est un sujet en soi.
Non, ce qui a surtout changé, c’est le nombre de photos que l’on s’autorise à faire sous prétexte qu’il n’y a plus de pellicules à acheter. Et donc, que, d’une certaine manière, prendre une photo devient gratuit. Prendre mille photos ne coûte d’ailleurs pas plus cher, dès lors que l’on les conserve au chaud dans son ordinateur bien sûr. Là où la pellicule, payante, incitait à un minimum de retenue, et donc, de réflexion avant déclenchement, la carte mémoire l’efface. Quelle importance, en effet, de prendre dix fois à peu près la même vue pour augmenter ses chances d’en avoir une « bonne », quand il suffit d’effacer les neuf moins bonnes au moment de la sélection ?
Mais, c’est justement à ce moment précis que cela se complique. Car, à y regarder de plus près, sur chacune de ces dix vues, il y a toujours un petit quelque chose que l’on aime vraiment, que l’on ne retrouve pas sur les autres images, argument que l’on se sert à soi même pour ne pas supprimer les neuf images de trop. Car, il ne faut pas fantasmer, sur ces dix images, il y en a toujours neuf qui sont inutiles. Voire dix. Ce non choix est, petit à petit, responsable de l’inflation incontrôlée de notre photothèque. Pour avoir la conscience tranquille face à ces outsiders conservés tout en sachant qu’ils ne seront pas utilisés dans leur entièreté, j’ai trouvé une parade : assembler ces petits bouts si particuliers, et ainsi, recomposer une image, irréelle, significative. Evidemment, aller au bout de la démarche impliquerait de supprimer les parties non exploitées des photos utilisées pour le montage. Ce serait trop simple. D’autres parties de ces images pourraient en effet s’avérer intéressantes ultérieurement. Et voilà comment, malgré ma bonne volonté, ma base photo augmente au lieu de décroître…
N’est-ce pas légèrement perturbant, voire même déroutant ? On ne sait trop où regarder, dans quel sens se projeter, on se contorsionne, on se retourne, on plisse les yeux pour tenter de voir plus loin que le bout de la rue et y trouver quelques pistes attractives pour la suite de la promenade. « On » ? C’est ce petit personnage imaginaire au milieu de l’arène, à la croisée des chemins… Dans le blanc là. Il y est arrivé presque par hasard. En vérité, en suivant une pénétrante et envoûtante odeur de churros… Il s’est arrêté exactement au milieu, comme s’il avait un compas dans l’œil, ses sens olfactifs subitement désorientés par la sensation désagréable qu’il a éprouvée d’être au cœur d’une toile d’araignée urbaine. Les mains postés sur les hanches, à faire des tours sur lui-même, jusqu’à en avoir le tournis. Cinq voies ouvertes, qui, de son point de vue, ont toutes l’air similaires, même si elles filent bel et bien dans des directions totalement différentes. Comment choisir ? C’est un peu la roulette russe, l’issue dramatique en moins. Et, dans de telles circonstances, c’est souvent un détail qui l’emporte. D’ailleurs, l’odeur de beignet sucré est revenue. Là, en haut à gauche. Mais, le plus étonnant est que ce personnage n’aime pas les churros.
Cela m’aura pris un peu de temps pour choisir 50 photos parmi les 1 300 publiées sur ce site à proposer à la vente, mais voilà, c’est fait ! Ce qui me permet d’inaugurer, enfin, la boutique de ce site ! Merci à celles et ceux qui m’ont aidée dans ce choix cornélien, qui a […]
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