Photo-graphies et un peu plus…

Chaque matin, je passe devant l’enfilade d’agences immobilières de la rue voisine quasiment accolées les unes aux autres, à croire que tout le quartier est à vendre. Je jette un regard discret aux annonces en les lisant partiellement – mon œil est plus attiré par les photos et les prix indécents qu’ils affichent que par les descriptifs des biens présentés – et poursuit mon chemin en m’insurgeant contre la surenchère de la pierre parisienne. Ce matin était différent des autres. Dans mon balayage systématique, je tombe sur mon appartement : « grand 3 pièces en duplex au dernier étage, très lumineux, séjour cathédrale, chambre sur cour, cuisine ouverte, dans immeuble très calme. Ascenseur. Prévoir rafraîchissement. » Les photographies choisies pour illustrer le petit texte viennent prouver ce qu’il prétend. Le tout est idéalement mis en valeur dans la vitrine et se détache assez rapidement des autres annonces du moment. Une position qui me satisfait entièrement – j’ai finalement compris que pour se faire remarquer, il fallait se démarquer – et m’incite à croire que les visites seront nombreuses. Un raisonnement sans faille jusqu’à ce que je réalise avec effroi son inanité : je n’ai pas mis mon appartement en vente…

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Un bocal – sans poisson rouge – débordant de boutons – multicolores donc rouges par moments, la lumière n’ayant pas encore eu raison de leur teinte -, comme ça, pressé contre la vitrine d’une retoucheuse du 4e arrondissement, l’air de rien, ultimes souvenirs de jupes à carreaux, vestes à rayures, robes à pois, pantalons zébrés, chemises à fleurs savamment démantibulés et transformés en chiffons après une bataille sans merci avec des mains sachant pourtant être délicates… Imaginez un peu les histoires qu’ils se racontent ainsi les uns contre les autres dans une promiscuité qui devrait aider les utilisateurs de la ligne 13 à relativiser quelque peu leur condition quotidienne (parisian joke, pardon !).

Ce qui ne transparaît pas ici est la guerre intestine qui se joue entre les boutons au sein même du bocal. Chaque matin, depuis 16 ans, un enfant de l’école voisine est invité par madame la retoucheuse à plonger sa main dans la masse constamment alimentée afin de la retourner et de faire bouger les lignes de front. Tous font ce geste à la fois avec délectation et sérieux comme si c’était le plus important de leur courte journée. Au même moment, une grappe de camarades se bouscule de l’autre côté de la vitre pour assister au spectacle sans cesse renouvelé de la rotation des boutons, comme celle des manchots sur la banquise en hiver. Il faut les voir se pousser les uns les autres, les boutons, les petits, les grands, les en plastique, les en tissu, tout ça, pour accéder à ce quart d’heure de célébrité promis à tous, même aux boutons, par Andy Warhol, et pouvoir se retrouver ainsi, le temps d’une journée, sous le feu des projecteurs ! On tient le fil ! Coupez !

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category: Actus
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« Le temps passe trop vite », « les journées sont trop courtes », « comment ? j’ai déjà 42 ans ! »… De courtes phrases qui sonnent comme l’écho au fond du Fish River Canyon namibien (c’est le 2e plus profond au monde ; simplement pour préciser qu’il y a encore de la marge). J’en connais des gens qui accepteraient de manifester contre ce temps qui file, brandissant des pancartes appelant à la grève pour une durée indéterminée tant que celui-ci n’aurait pas ralenti son rythme ! D’autres vendraient même leur âme à l’horloge parlante pour quelques heures de plus par jour…

Une petite heure, comme ça, ce ne serait pas une grande révolution pour le gouvernetemps, inflexible depuis des millénaires malgré les remaniements ministellaires. Pourtant, génération après génération, jamais il n’a plié. Car le temps… Ah, ah… Bref. Enfin, c’est ce que je croyais jusqu’à ce que je ne tombe œil à objectif sur cette vitrine. Il semblerait qu’il y ait des privilégiés à certains endroits de la planète et qu’ils ne soient pas pressés de le faire savoir ! Fermeture de la boutique à 25h le vendredi et le samedi ! Oui, oui, vous avez bien lu. J’hésite à divulguer où se trouve ce paradis de l’insatisfait chronique de peur de voir, moi-même, débarquer une faune que la ville n’est pas encore prête à accueillir. Encore trois journées classiques à attendre avant de vivre cette 25e heure. J’ai hâte ! J’espère que ça va passer vite ! Mais que vais-je bien pouvoir en faire, de cette heure supplémentaire ? Et surtout, à quel moment de la journée est-elle ajoutée, cette heure ?

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Avoir, ou pas, l’esprit mal tourné. Telle est la question. Shakespeare aurait-il pu dire ça au lieu de son « naître ou ne pas naître, vous connaissez la suite ? » Force est de constater que certaines vitrines – ici, parisiennes – sont pensées pour tout sauf laisser le voyeur de marbre. Direction le très-bien-comme-il-faut Marché aux fleurs de l’île de la Cité, cerné par l’Hôtel Dieu, la Préfecture de police de Paris, le Palais de Justice et en arrière-plan, le saint des saints, la Cathédrale Notre-Dame… Pour une belle orchidée, des inséparables ou un nain de jardin, c’est le lieu idéal. Pour des plantes grasses et des blagues potaches aussi visiblement. Ainsi, tout fier, ce cactus en érection, plein d’épines. Et je n’ai pas l’esprit mal tourné. Quasi seul en vitrine. Pour être sûr que l’on ne le loupe pas. Ainsi fallut-il que l’exhibitionnisme floral naquit. Doit-on saisir ce bras armé comme une forme de protestation publique, peu subtile mais radicale, des divers ordres régnant sur ce caillou posté sur la Seine ? Soit, plus vulgairement, « Je vous e….e t..s. ». Bah non, je ne vais pas l’écrire. Car, qui pourrait vouloir acheter un tel cactus ?

Située à une verge de là (c’est aussi une unité de longueur… anglaise), une boulangerie très très gay devant laquelle on fait souvent la queue. La viennoise au chocolat n’aura jamais été aussi virile ! Passée la surprise – quelques secondes quand même : ce n’est pas tous les jours que l’on se retrouve nez à nez avec de telles gourmandises -, les yeux se tournent vers les promeneurs. Qui s’arrêtent dès lors qu’ils voient les plateaux lustrés en vitrine. Regards rieurs. La banane aux lèvres… « Ooh, quand même ! T’as vu ? » Puis ils filent, comme s’ils étaient tombés sur une projection publique d’un film cochon sans assumer leur curiosité… Douce provocation aux antipodes de l’agressivité inquiétante de son ilienne de voisine. Toutefois, côté boutique, si les petits pains font encore sourire, ils ne se retrouvent pas dans les mains pour autant. Pause, deux secondes. Essayez de vous visualiser en train de croquer dedans ! Alors ? Par quel bout avez-vous commencé ?

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