Photo-graphies et un peu plus…

Au même titre que le locking ou le popping sont des sous-divisions du hip-hop, la photocarphie est, vous vous en doutez, une sous-division de la photographie. Qui, comme son nom le laisse entendre, consiste à prendre des photographies depuis l’intérieur de sa voiture. Toutefois, deux autres conditions sont absolument à réunir pour pouvoir devenir un photocarphe : la voiture doit rouler et la photo doit être prise par le conducteur. Vous en conviendrez, l’exercice n’est pas facile, il peut même être dangereux. N’est donc pas photocarphe qui veut ! Je suis une photocarphe. Prudente. J’évite la photocarphie sur les autoroutes, mais peux m’y adonner dans les tunnels.

Un peu d’histoire… La photocarphie naît assez naturellement à la fin des années 50 aux Etats-Unis : les autoroutes inter-états font leur apparition et Kodak lance son film Kodacolor… Les jeunes Américains peuvent enfin découvrir leur pays en parcourant des milliers de kilomètres de routes fraichement goudronnées et aussi conserver une trace papier de leurs traversées grâce au film sus-cité facilitant les tirages. Totalement abasourdis par la beauté de certains panoramas sans être pour autant décidés à s’arrêter à chaque It’s insane, certains commencent alors à poser leur appareil photo sur leurs cuisses. Et, alors qu’ils conduisent, à prendre quelques photos d’une main en tenant le volant de l’autre. Les premiers essais, comme tous les premiers essais, sont désastreux. Mal cadrées, floues, déclenchées trop tard, les photos sont tout simplement ratées. Quand il n’y a pas d’accident… Mais, avec le temps et les kilomètres, le photocarphe – que l’on n’appelle pas encore ainsi – apprend à anticiper. C’est-à-dire à préparer son appareil – mise au point à l’infini, vitesse rapide… – mais aussi à se projeter un peu plus loin sur la route pour repérer les points de vue intéressants. Les prises de vue s’améliorent, le mouvement prend de l’ampleur et le mot de photocarphe fait son apparition. On en trouve une première mention dans une revue de photographie américaine, Eye Land, en juillet 1958. La revue a périclité mais le nom est resté. Bien entendu, comme tout art, la photocarphie a évolué au cours de ces décennies. Sur le plan technique d’une part, du fait de la mutation des appareils photos, de plus en plus flexibles, petits, légers, malléables et donc manipulables à une main. Et sur le plan de la méthode d’autre part avec l’apparition de courants parallèles de photocarphie, dont je fais partie : la photocarphie externe à copilote impliqué. Autrement dit, déléguer la tenue du volant – et donc, la direction – au copilote de mèche, pour pouvoir se déporter un peu et prendre sa photo en passant l’appareil photo hors de la voiture, histoire d’éviter les pare-brises et leurs mouches écrasées, les reflets et autres tracasseries parfois charmantes. Cela nécessite une confiance sans faille en son copilote, une capacité à maintenir le pied sur l’accélérateur avec la même pression pendant un certain temps (pas d’accélération réflexe ni de trop grand ralentissement au moment de prendre la photo par exemple), et enfin, une impassibilité à toute épreuve lorsque, d’aventure, une voiture arrive en face et son conducteur réalise, avec effroi, que, non seulement, vous êtes partiellement à l’extérieur, mais qu’en plus, vous ne tenez pas votre volant !

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Des tunnels, nous en avons tous traversés, même s’il n’est pas question ici de tunnels au sens où nous l’entendons classiquement, à savoir, ces constructions architecturales relativement complexes permettant de passer de l’autre côté d’un obstacle – une mer, une montagne, une zone habitée… – non pas en le contournant mais en allant droit devant. Dans tous les cas, le dispositif est identique : une bouche dans laquelle on s’engouffre sans avoir la capacité de voir ce qu’il y a à côté, au-dessus, autour avant de s’en extraire. Ce tunnel-là nous fait passer d’un point A à un point B de façon assez pratique puisque, allant au plus court, il fait gagner du temps.

Le tunnel auquel je fais écho joue aussi avec le temps, mais de façon plus radicale, voire plus perverse. Vous savez, c’est celui qui peut vous faire lâcher : « Depuis que je suis rentré(e) de vacances, je n’ai pas vu le temps passer, je n’ai rien pu faire d’autre que gérer le quotidien. Je sors à peine du tunnel ! » Autrement dit, vous êtes passé d’un temps A à un temps B sans avoir pleinement conscience du délai qui s’est écoulé entre ces deux dates, ni la main sur ce que vous avez fait. Et pour cause : pendant cet intervalle, vous avez foncé tête baissée, enchaînant, l’une après l’autre, les tâches qui vous incombaient. Le hic avec le tunnel, c’est que vous ne connaissez que trop rarement sa longueur, même si, parfois, il vous arrive d’apercevoir la lumière vous attendant patiemment au bout. Mais le tunnel est malin, car à géométrie variable. Parfois, alors même que vous abordez la dernière ligne droite, que la lumière se fait de plus en plus vive et l’air plus frais, la paroi s’ouvre, vous entraînant immanquablement dans un nouveau tunnel, dont, malheureusement, vous ne voyez pas la fin. Vous n’avez même pas eu l’occasion de relever la tête que c’est reparti pour un tour ! Pas facile de vivre dans un tunnel. C’est étroit, souvent sombre, sans réelle perspective ni choix. On y respire mal, on s’y abîme les yeux, on s’y fatigue, on s’y perd, et enfin, on s’y sent seul, piégé. Et lorsque, enfin, vous réussissez à vous en extraire – non sans mal, vous l’avez compris -, que vous reprenez quelques couleurs et renouez le contact avec ceux que vous avez laissés de côté la durée de votre traversée du tunnel, on vous répond : « Désolé, je suis en plein tunnel ! » C’est le problème, les sorties des tunnels ne sont pas toujours coordonnées…

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Sournoise, la lumière, tapie dans l’ombre et affamée, les grignotait tous, les uns après les autres, en de parfaites bouchées rondes, sans qu’ils ne s’en rendent vraiment compte et ne s’en effraient…

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