Photo-graphies et un peu plus…

Voilà, vous l’avez trouvé ! L’endroit où vous allez vous poster pour savourer sereinement le coucher du soleil au sommet de ce lac unique lové dans un cratère. L’axe est parfait, il n’y a plus qu’à ouvrir les yeux pour assister à l’éclipse quotidienne de notre naine jaune (tout est relatif dans l’espace…). Un pur moment de communion avec les éléments qu’aucun son ne vient souiller. Enfin, si, juste un. Un bzzzzzzzzz que vous ne reconnaissez que trop bien malheureusement… Et pour cause, c’est le même qui vous a gâché votre nuit passée !

Petit retour en arrière… Vous venez juste d’éteindre la lumière après avoir lu trois fois la même phrase de votre livre et sentez vos muscles se relâcher totalement, un lâcher prise qui vous surprend toujours. Vos paupières sont lourdes, c’est pour bientôt, vous le savez, vous attendez, vous espérez. Là, plus qu’une ou deux secondes et c’est parti pour 7h32 de sommeil non stop. Mais alors même  que Morphée vous tend généreusement les bras, quelque chose d’inattendu arrive à votre conscience. Un bzzzzzzzzz plus ou moins fort, effet Doppler oblige, vous tourne méchamment autour, faisant un bruit de Boeing A380 lorsque celui qui l’émet fait du rase-motte au-dessus de vos oreilles. Ce son, vous ne le reconnaissez que trop bien, malheureusement. Et pour cause, c’est le même qui vous a gâché votre nuit passée !

Remontons donc un peu plus le temps et reprenons là où nous nous sommes arrêtés avec ce bzzzzzzzzz qui vous tourne autour. Un moustique, tout simplement. Qui a attendu que vous ayez éteint la lumière, fermé les yeux et cru que vous alliez enfin pouvoir vous endormir pour sortir, ni vu ni connu, de sa cachette et, armé de son radar infra-rouge, partir en repérage au-dessus de vous pour déterminer où il allait bien pouvoir atterrir cette fois-ci afin de vous ponctionner quelques globules ! Une attaque d’une grande lâcheté, douloureuse et vous laissant surtout avec de petites boursouflures rouges dispersées ça et là sur votre corps, absolument malvenues en cette période de l’année où vous avez troqué votre doudoune-pantalon contre un aérien ensemble short-débardeur. Mais n’allons pas trop vite en besogne : le bzzzzzzzzz résonne tout près de vous… Vous n’ouvrez même pas les yeux, vous agitez simplement un ou deux bras autour de vous pour éloigner le vampire, croyant naïvement que cela suffira à le décourager. Le silence se refait quelques secondes voire minutes, vous croyez avoir gagné quand vous entendez à nouveau ce bzzzzzzzzz que vous détestez. Il s’approche, il est là, cette fois-ci, vous en êtes sûr, vous allez l’avoir : vous avez ouvert les yeux (mais pas encore allumé la lumière) et vous claquez des mains là où vous pensez que la bête se trouve. Raté ! Le moustique esquive formidablement bien ! Le ventre vide, il est encore véloce ! Vous vous recouchez, remontant le drap au maximum pour ne laisser que votre visage à l’air libre alors qu’il fait une chaleur à crever, et croisez les doigts. Il va bien se lasser, hein… Mais non… Le moustique ne se lasse pas et revient à la charge. En furie, vous allumez la lumière et cherchez ce co?!x;rd avec vos yeux cracheurs de feu. Trop facile, il s’est juste mis là, sur le mur. Vous vous baissez pour récupérer votre tong, votre chaussure, que sais-je, un objet plat et vous approchez doucement du mur où il traîne toujours. Et paf, de toutes vos forces, vous frappez dans sa direction, persuadé qu’il n’aura pas survécu à un tel crochet du droit. Eh bien si ! Les sens en éveil, le moustique s’est envolé juste à temps. Mais vous êtes déjà dans un état second où la pitié glisse sur vous comme Brian Joubert sur la glace. Vous lâchez les tatanes et optez pour un combat à mains nues ! Des applaudissements résonnent soudainement dans la chambre. Pif paf dans ta face ! Et c’est l’hécatombe ! Vous l’avez eu ! Vous levez les bras au ciel, jouissez seul de votre victoire contre cet impitoyable adversaire et vous vous replongez dans le lit, le drap bien en bas des pieds… Non, mais ! C’est fou la colère dans laquelle des êtres si insignifiants peuvent nous mettre… D’autant qu’en vous réveillant le matin, vous réalisez que vous avez de nouvelles petites pastilles rouges sur les bras, jambes et même sur un lobe, histoire de bien montrer qui est le chef ici… 

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… « en utilisant ses jambes était efficace jusqu’à un certain point. Au-delà, curieusement, on stagnait. Et enfin, son intuition réclamait de lui qu’il ne bouge pas de là. Qu’il s’applique »*… en utilisant ses jambes était efficace jusqu’à un certain point. Au-delà, curieusement, on stagnait. Et enfin, son intuition réclamait de lui qu’il ne bouge pas de là. Qu’il s’applique uniquement à observer ce qui défi… en utilisant ses jambes était efficace efficace jusqu’à un certain point. Au-delà, curieusement, on stagnait. Et enfin, son intuition réclamait de lui qu’il ne bouge pas de là. de là. de là. Qu’il s’applique uniquement à observer ce qui défilait devant ses yeux… efficace jusqu’à un certain point. Au-delà, curieusement, on … Et enfin, son intuition réclamait … qu’il ne bouge pas … Qu’il s’applique uniquement à observer ce qui défilait devant ses yeux… ses yeux… ses yeux… ce qui défilait devant ses yeux, sans perdre son sang-froid, et qu’il ne laisse rien échapper. Sa vieille intui…

Voilà, vous avez sombré. Morphée a gagné. « Je vais lire quelques pages avant de m’endormir… » Vous vous le dites tous les soirs. Vous vous couchez, ouvrez votre livre à la page 273 alors même que vous luttez déjà contre la fermeture automatique des paupières. Cela va faire venir le sommeil. Vous vous le dites, même si, visiblement, un stimulant n’est pas nécessaire. Alors, vous commencez à lire. Une phrase, puis deux, et enfin trois… Au bout de la quatrième, vous réalisez que vous n’avez pas tout à fait compris ce que l’auteur voulait dire… La phrase est simple pourtant. Alors, vous relisez, une fois, deux fois… Les yeux se ferment. Puis s’ouvrent à nouveau. Comme un éclair. Vous la relisez une troisième fois mais vous n’y comprenez toujours rien. Là, vous vous ressaisissez, vous n’allez quand même pas abandonner si vite ! La lecture reprend, les pupilles dilatées, le cerveau en sourdine. La lumière pique, la fatigue persiste… Vous avez avancé de deux lignes depuis le début… Et encore, vous n’êtes toujours pas sûr d’avoir réellement saisi le propos. Enfin, les mots, vous les comprenez, mais leur enchaînement vous semble abscons. Tout devient légèrement flou, puis très flou, sombre… Vous basculez de l’autre côté… Vous êtes déjà au pays des songes, sur une plage où dansent des sylphides allongées… Vos muscles se détendent, ce que vous ne sentez pas jusqu’à ce que votre livre vous tombe brutalement sur le visage… Là, une petite voix vous susurre de rester sur la plage, tandis qu’une autre, bretonne sûrement, vous incite à persister, à maintenir les yeux ouverts, quitte à utiliser des forceps, et à lire, lire, lir… Au moins aller au bout de la page, là. Quand même, ce n’est pas bien compliqué. Il n’y a que six lignes. Six lignes… Vous les lisez pour vous donner bonne conscience et posez votre livre sur votre table de nuit. Extinction des feux. Le lendemain soir, comme après une bonne cuite imaginaire, vous ne vous souvenez plus de rien. Des bribes seulement, quelques mots par ci par là, pas de quoi en faire un roman… Alors vous reprenez la lecture, non pas là où vous vous étiez arrêté, car vous ne savez strictement pas où se trouve cet endroit, mais bien avant. Et sans vous en rendre réellement compte, voilà que vous absorbez pour la troisième fois consécutive les mêmes mots, les mêmes phrases, les mê… On est où ? Que se passe-t-il ? Je crois que je me suis assoupie !

* La première phrase de ce billet est extraite de 1Q84, Livre 3, de Haruki Murakami

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Voilà de quoi redonner un peu de couleurs à ce qui l’est déjà, coloré… Après avoir squattés quelques murs (et peut-être de nouveaux, bientôt), les 50 photo-graphismes de Viva Cités, exposés à Paris en 2009 et 2010, se mettent à la page. Une découverte pour certains, de quoi raviver de vieux souvenirs pour d’autres, mais un plaisir pour tous, j’espère.

Mode d’emploi éventuel : cliquez sur le livret et sésame s’ouvrira…

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Typiquement, une photo de route. Non, de train. Non, de route. Je ne sais plus. Je ne me souviens plus que de cette sensation éprouvée d’un équilibre naturel formé par ce trio : l’arbre, fragile mais résistant, sur la crête d’une colline désertée sauf par la broussaille ; un nuage tentaculaire et temporairement protecteur ; un astre solaire irradiant, à la fois menaçant et salutaire, autour duquel nous tournons en pensant que c’est lui qui tourne en rond… Le dialogue entre ces trois éléments me saute aux yeux. Comme une évidence.

Et c’est sur cette évidence que j’achève ce deuxième Tour du soleil en duos. Deux ans donc que je poste quotidiennement quelque chose. Ce qui commence à faire un paquet de choses. Et comme avec tout paquet de choses, deux options se présentent : soit on les oublie en les mettant dans un coin (et un coin virtuel ne prend pas beaucoup de place contrairement aux cartons), soit on essaye d’en faire quelque chose… La première est plus facile, mais invite à se poser une question : à quoi bon cette discipline quotidienne si ce n’est pour aboutir à « quelque chose » ? C’est une vraie question : ce que l’on fait doit-il avoir un but autre que celui de le faire, sur le moment, sans se projeter plus loin ? Par exemple, si je n’essayais pas de sélectionner quelques duos sur les 730 présents sur ce site et d’en faire un livre, par exemple, serait-ce ne pas aller au bout de la démarche initiée il y a deux ans ? Je ne sais pas. Mais j’ai envie d’essayer. J’entends souvent : « Qui ne tente rien n’a rien ! » ou « Tu (un « tu » général) n’as rien à perdre ». C’est totalement vrai, et pourtant, ça n’aide pas toujours.

Ce qui m’aide à rêver ? Le fait qu’il y ait vraisemblablement (c’est les stats qui le disent) une moyenne de 300-350 visites par jour sur ces pages, avec des pics rarement compréhensibles et des bas tout aussi obscurs… Cela a donc peut-être un sens de rêver et j’en profite pour vivement remercier cet auditoire en grande partie invisible. Alors, voilà, c’est décidé, je vais faire un tri. Et le tri prend du temps. Et ces duos prennent du temps. Et en même temps, je n’arrive pas à me résoudre à arrêter. Donc, je ne sais pas ce qui va se passer dans les prochains jours. Peut-être des photos et une légende bien sentie. Quelque chose de non systématique. J’ai plein de choses en rayon : un carnet de bord phototextuel réalisé sur un mois de préavis, une série de photos sur l’engagement social et politique des citoyens de Berkeley par l’intermédiaire de leurs fenêtres, des traversées continentales où tout finit par se mélanger… Ce sont rarement les projets qui manquent. Mais le temps. Or pour avoir du temps, il faut donc savoir s’arrêter, pour pouvoir le remplir avec autre chose. C’est très subtil le temps. Il faut sûrement une vie entière pour commencer à comprendre comment il fonctionne. Avant la fin, on ne fait que tâtonner, se laisser balloter… Et après, et bien, c’est trop tard !

En attendant, j’ai donc fait un double nœud. Mes chaussures sont bien attachées. Je peux avancer sereinement. Notamment vers un projet que je co-mène avec Kristophe Noël depuis novembre : Médyn. Le premier numéro de ce magazine de créations contemporaines devrait bientôt être diffusé sur la toile et trouver un écho écho sur ce site.

Bon allez, à demain ! Ou après-demain après tout !

PS : le premier Tour du soleil en duos est toujours visible ! Le deuxième arrive bientôt sous la même forme.

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La vie des bibliothèques nord-américaines est légèrement différente de celles que j’ai pu aborder en France. J’entends, les prestigieuses, les nationales, les grandes… Je dirais, moins solennelles. Ce qui n’implique pas que chacun n’y respecte pas le périmètre de son voisin. Ceci dit, les bibliothèques nord-américaines sont tellement grandes que le voisin, parfois, c’est un peu comme dans les prairies du Saskatchewan, il faut bien chercher pour les trouver. Un point commun malgré tout, ici comme là-bas et réciproquement, les bibliothèques regorgent de pages noircies. C’est leur raison d’être. Des romans, des revues, des guides, des thèses, des livres d’art, d’informatique, sur la faune, la flore, et même sur les bibliothèques elles-mêmes et l’écosystème qui s’y développe petit à petit comme la vie dans une boîte de Pétri (Julius de son prénom, mais rien à voir avec la chanteuse qui demande à Eve de se lever)…

Parmi ces livres, il y a une catégorie très particulière : celle des livres que l’on « doit avoir lu pour être un homme » sur cette planète où les terres cultivables s’amenuisent chaque jour. Vous savez, ces livres auxquels il est fait régulièrement référence comme s’il s’agissait d’un Martine et qui peuvent mettre mal à l’aise ceux qui ne les ont pas lus et se retrouvent piégés dans une conversation où leur seul espoir est de réussir à faire illusion. Bref, il y a quelques semaines, j’ai décidé que l’Ulysse de James Joyce faisait partie de cette liste d’incontournables, persuadée qu’après l’avoir ingurgité, je me sentirai mieux. Non, je n’ai pas lu Ulysse. La bête m’est arrivée par avion. Colis spécial. Je ne réalisais pas, je pense, l’ampleur de la tâche qui m’attendait en me lançant dans cette aventure livresque. Catégorie F16 chez Folio. Je suis sûre qu’ils l’ont créée exprès pour cette masse ! 1172 pages. Je vous épargne les couvertures. 5 cm d’épaisseur. 622 g (super pour faire quelques exercices musculaires à tout moment de la journée).

La première phrase ? « En majesté, dodu, Buck Mulligan émergea de l’escalier, porteur d’un bol de mousse à raser sur lequel un miroir et un rasoir reposaient en croix. » Prometteur. Et la dernière ? Non, je ne peux pas, elle fait 67 pages, si cette règle que l’on apprend en primaire selon laquelle une phrase commence par une majuscule et se termine par un point est toujours d’actualité. Je n’y suis pas. Loin de là. Car pendant plusieurs jours, cela a plutôt une longue odyssée pour ce livre, bringuebalé dans mon sac partout où j’allais. De temps en temps, je l’en sortais croyant être prête à lire cette première phrase, puis feignais d’avoir autre chose à faire de plus urgent. Et puis, un jour, je me suis lancée. J’ai ouvert et j’ai lu 39 pages d’un coup. Et puis, un autre jour, aujourd’hui en l’occurrence, je suis tombée sur un lien. Celui de la liste selon Esquire des 75 livres qu’un homme doit avoir lu. Chic. Alors, j’ai cliqué sur le lien, et j’ai passé en revue couvertures et titres. C’est en arrivant vers les 10 derniers que mon palpitant s’est mis à battre un peu plus vite et que j’ai eu un pressentiment : Ulysse n’allait pas avoir sa place dans ce best of… Et effectivement, point d’Ulysse à l’horizon. Bon, je fais quoi moi maintenant avec mon 3 en 1 ?

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L’autre jour, dans le métro, j’ai eu l’impression de reconnaître quelqu’un. Quand on prend tous les jours la même ligne, à peu près aux mêmes heures, il n’y a rien d’étonnant à cela. C’est même logique. Sauf que je ne prends pas le métro tous les jours et que j’ai croisé cette personne, j’en suis sûre maintenant, à des heures et sur des lignes différentes. Elle aurait donc pu passer totalement inaperçue, ce qui est le cas de la grande majorité des personnes à côté desquelles nous marchons dans notre vie. Mais, elle, on ne pouvait que la remarquer. A chaque fois, ce petit bout de femme d’une quarantaine d’années était assise dans un sas à 4 places et en occupait deux. Non qu’elle en imposait, mais parce qu’elle transportait toujours avec elle une pile de livres, une boîte de biscuits ou gâteaux et un thermos avec du thé. Je n’ai d’ailleurs jamais vu ses yeux, toujours rivés sur les lignes d’un livre. On l’entendait simplement rire parfois, on la voyait aussi se tamponner les yeux avec son mouchoir en tissu… Tout le monde respectait cela et personne ne lui a jamais demandé de débarrasser ses affaires. Bien évidemment, elle avait la présence d’esprit – même si cette attitude la faisait souvent passer pour une douce illuminée (il m’était déjà arrivé plusieurs fois d’en parler avec d’autres voyageurs et chacun y allait de son hypothèse) – de ne pas prendre le métro aux heures de pointe. Mais la raison du rituel continuait à m’échapper.

Aussi, après une bonne vingtaine de rencontres fortuites, je me suis décidée à lui poser la question. Pour comprendre. Je fais partie de ces personnes qui croient qu’il y a toujours des raisons aux choses, et qu’il existe peut-être même des raisons aux raisons…

– Excusez-moi ? (quelle étrange habitude que de s’excuser avant d’engager toute conversation avec un inconnu !)

Je suis obligée de répéter ma question deux fois en m’approchant à chaque fois un peu plus d’elle car elle est totalement absorbée par sa lecture et n’est sûrement que très rarement, si ce n’est jamais, importunée lors de ses voyages. Elle lève enfin les yeux, mais pas la tête, déjà prête à retourner dans son livre… Hum… « A la recherche du temps perdu » aujourd’hui. Rien que cela.

– Puis-je vous poser une question? je tente.

Sitôt, un léger sourire apparaît sur son visage. Elle prend machinalement un marque-page attendant son heure sur le siège à côté, le place à la page 232 du tome 2 en prenant soin de le faire légèrement dépasser pour retrouver rapidement sa page une fois l’intermède fini.

– Oui ! lâche-t-elle comme si elle s’apprêtait à faire un 100 mètres.

– Que faites-vous ? Je veux dire… Je bafouille. Tout d’un coup, le ridicule de la situation me saute aux yeux, mais il est déjà trop tard… Je reprends. Cela fait plusieurs fois que je vous vois dans le métro, à lire…

– Tout le monde lit dans le métro, m’interrompt-elle, sachant bien que cette réponse ne me satisferait pas.

– Certes. Mais, il y a lire et lire, lui dis-je en montrant son thermos, ses livres et ses gâteaux du regard.

– Il y a quelques années, j’ai choisi de travailler chez moi. Du jour au lendemain, je n’avais plus à prendre les transports ! Un vrai bonheur ! Sauf qu’au bout de quelques mois, j’ai réalisé que je n’avais pas ouvert un seul livre depuis ce changement et que ça me manquait… Parce que, comme beaucoup justement, je lisais essentiellement dans les transports ! Et j’adorais lire dans le métro. J’ai retourné le problème dans tous les sens et ai fini par me dire que la seule façon de reprendre la lecture était de prendre à nouveau les transports. Pas avec le but d’aller quelque part cette fois-ci, mais d’y faire quelque chose : lire. Je conçois que cela soit étrange, mais j’y ai trouvé mon équilibre. Je continue à travailler de chez moi, donc suis libre d’organiser mes journées comme je le souhaite. Alors, voilà, chaque jour, je me pose dans un wagon pour lire…

Je ne m’attendais pas à ce que l’explication, quelle qu’elle soit, sorte aussi facilement et aimablement. Je suis presque déçue.

– Et vous restez dans la même rame ?

– Oui, oui ! Les chauffeurs ont l’habitude de me voir maintenant et ils ne m’obligent plus à sortir au terminus. Les pauses sont parfois longues au garage d’ailleurs avant que le métro ne reparte dans l’autre direction… C’est assez étrange. Au bout de deux, trois allers-retours, je range mes affaires et je sors, rassasiée !

– Mais, pourquoi ne pas vous installer dans votre canapé, chez vous, ou dans un café ? C’est plus confortable que le métro !

– J’ai essayé. Il n’y a pas assez de bruit, ou alors, pas les bons, pas assez de mouvement. J’aime bien être ballotée. Cela rythme la lecture… Vous savez, quand on prend l’habitude de faire quelque chose dans un certain environnement, il devient très difficile de le faire ailleurs. Cela fait 4 ans que je fais cela et je n’ai jamais aussi bien et autant lu…

Sur ces derniers mots, elle m’a regardée avec le même sourire qu’au début de notre échange, clignant rapidement des yeux, puis a plongé sa main gauche dans un sachet marron opaque et en a sorti deux petites madeleines maison desquelles s’échappait une douce odeur de vanille.

– Vous en voulez une ?

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« J’ai les moyens de vous faire parler ! » lance sèchement une lumière vive à un annuaire téléphonique qui retient ses mots !

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Mais laquelle ? Celle scotchée à tout œil de touriste moderne qui se respecte (oui, oui, je ne suis pas très bien placée pour écrire cela…), ou celle qui siège au dessus de notre cou et nous fait réciter La cigale et la fourmi 40 ans après l’avoir apprise ? La première, caméra ou appareil photo, nous permet de capter et d’immortaliser tout ce que nous voyons, sans aucune sélection. On enregistre, on compile, on ne loupe rien, dans l’espoir de pouvoir « y retourner » plus tard, comme si on y était à nouveau. Mais, dans ces conditions, y est-on vraiment allé ? La machine – si noble soit-elle – se pose comme un filtre au champ réduit entre la vie et ce que l’on pourrait ressentir en se laissant traverser par les émotions, en la vivant vraiment. Pas de mémoire vive, mais une mémoire fictive. Virtuelle.

Les modes d’enregistrement, de captation, de recherche et de conservation des informations – images, sons, textes, numéros, adresses, moteurs de recherche… – ont tellement explosé que solliciter sa mémoire devient obsolète. A l’opposé, il y a ceux qui ne se fient qu’à leur deuxième boite. C’est le cas dans cette librairie malouine, une institution. De prime abord, un véritable capharnaüm : il y a à peine de quoi se faufiler entre les piles et étagères de livres… Un chaos total dans lequel on n’imagine rien retrouver sans au moins une lampe frontale, une bouteille d’oxygène et quelques heures de patience. Et pourtant, demandez un ouvrage quelconque, mais pas quelconque, et les maîtres des lieux vous l’apporteront après quelques secondes. Juste le temps nécessaire pour localiser le livre dans la topographie tentaculaire qu’ils ont bâtie au fil des années et qu’ils maîtrisent à la page près. Ce sens aigu de l’orientation mêlé à une mémoire visuelle exceptionnelle impressionne. Et méritait bien une photo, pour se souvenir qu’il est beau de se souvenir sans artifice…

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