Photo-graphies et un peu plus…

Qui eût cru qu’un cerveau en deux dimensions allaient devenir le terrain de jeu d’une horde de skaters tous coiffés d’un bonnet ou d’une casquette ? Flashback. Prenez un pot de peinture noire et un autre, orange. Dessinez quelques circonvolutions symétriques au sol selon une route faussement labyrinthique. Puis éloignez-vous. C’est tout. Pas de panneau, pas d’affiche, pas de règles. Rien. Après quelques minutes – ces nouvelles peintures sèchent vraiment très vite -, une personne s’arrête, balayant intensément du regard la zone bigarrée. Se gratte la tête – preuve qu’elle réfléchit – avant de lancer un regard désespéré à un congénère arrivant dans sa direction. Intrigué, l’autre marque le pas à son tour. Tous les deux, côte à côte, scrutent et se grattent la tignasse… pour en conclure que « l’art aujourd’hui, c’est à rien y comprendre », voire « c’est n’importe quoi ! » ou pire « à quoi ça sert ? ».

C’est alors que des jumeaux arrivent dans leur champ visuel accompagnés de leur grand-père et se placent au bord du précipice orange. Sans concertation télépathique, chacun pose alors les pieds dans la masse et se met à courir en suivant les courbes définies par l’artiste en veillant scrupuleusement à ne pas dépasser les limites, comme s’ils faisaient du coloriage. Leur ascendant, appelé sur la table d’opération, leur emboite rapidement, mais un peu maladroitement, le pas, à cause de cette fichue hanche qui lui joue des tours au crépuscule de sa vie… Les voilà tous les trois à faire des allers-retours sur une simple surface peinturlurée prenant autant de plaisir que s’ils faisaient des montagnes russes (une alternative pour les personnes sujettes au vertige peut-être ?). L’artiste a créé un mystère, les enfants lui ont donné un sens…

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D’un côté du monde à son autre versant, la jeunesse refuse que l’on lui dicte sa conduite. Elle défie les mêmes lois de l’apesanteur et, inlassablement, ses propres limites. Comme un rite de passage. Même scène, diurne cette fois-ci, que sur la digue malouine, même saut de l’ange, même public médusé, les adultes, stoppés dans leur élan baladeur et dodelinant de la tête à la vision de cet être perché, les camarades, prêts à lui tendre une serviette quand il remontera frigorifié.

Mais l’incroyable se produit. Après avoir bien balayé du regard l’assemblée des témoins, vérifié que les appareils sont armés et pensé mille fois qu’il s’apprête à remporter ce fichu pari qu’a osé lui lancer son binôme en cinématique (super, un pack de bières !), le garçon s’élance. Trois pas à peine. Pas la place de faire plus. Sauf qu’il s’arrête en plein vol. Indépendamment de sa volonté bien sûr ! La tête pas encore retournée, les genoux à peine recourbés, le corps prêt à se mettre en boule, les bras en chemin pour l’y aider. Autant dire, une position peu confortable à tenir. Il ne touche pas l’eau. Je reste là 18 minutes au bas mot, à attendre que quelque chose se passe, qu’il tombe enfin et éclabousse tout le monde au contact de cette surface tentante, il est vrai. Mais rien. Il reste figé. A 2 mètres de hauteur. Seules ses lèvres bougent et crient à l’aide.

Ses camarades, dont la première réaction est d’éclater de rire, réalisent ensuite la singularité de la situation dans laquelle se trouve leur ami. Ils sont surtout bien incapables de le récupérer puisque, mine de rien, avec son élan de trois pas, il a réussi à s’envoler assez loin. C’est alors que les pêcheurs chinois en bout de quai, dérangés dans leur paisible activité par le tintamarre juvénile, s’approchent. On les entend chuchoter quelques secondes, puis ils retournent tous à leur poste pour en revenir rapidement avec leur canne à pêche et leur filet… La suite se devine aisément : ils ouvrent les paris et, tour à tour, lancent leur canne vers le petit, qui, si j’ai bien compris, commence à avoir des fourmis dans les jambes, enfin, façon de parler… Le fait qu’il ne fasse pas face aux pêcheurs est une difficulté supplémentaire pour eux. D’habitude, c’est le poisson qui vient à eux, à l’appât. Là, c’est à eux d’aller au poisson ! L’appât ? Un de ces petits biscuits secs avec des pensées profondes recroquevillées à l’intérieur que l’on nous sert parfois avec l’addition dans les restaurants asiatiques. Après une douzaine de tentatives, l’un d’eux réussit à envoyer le « biscuit de fortune » directement dans la bouche du garçon et à le hisser sur le quai. Il lui faut plusieurs minutes avant de pouvoir bouger et se détendre. Et quand, enfin, il recouvre toute sa souplesse, il croque dans le petit biscuit et découvre le mot que lui adresse le destin : « Petit scarabée, il t’arrive parfois d’être un véritable crétin ! ».

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Comme ça, sans prévenir, au 21e siècle, des jeunes n’ayant pas connu la guerre se retrouvent, tel un jeu, chaque dimanche, sur la clairière bercée par le soleil tombant, pour se livrer des batailles d’une autre époque.

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