Photo-graphies et un peu plus…

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Je suis sûre que cela vous est déjà arrivé à maintes reprises… Vous venez de passer une super soirée chez des amis, au théâtre, dans un parc, au ciné, sur la plage, au concert, autour d’un feu… Bref, hors de chez vous. Ceci dit, ce qui suit fonctionne aussi si ladite soirée s’est révélée désagréable, mais je préfère l’hypothèse optimiste. Poursuivons donc. Il fait nuit, il fait froid, vous êtes fatigué, vous n’avez pas vraiment envie de vous frotter aux transports en commun à cette heure tardive, vous lâchez à voix haute : « Si la téléportation existait, je me jetterais directement dans mon lit ». Fantasme auquel a minima une personne répond toujours : « Moi aussi ! ». Comme si, ce saut de puce, c’était la panacée. Personnellement, je me dois de vous dire que si la téléportation existait, même au faîte de ma fatigue post-bonne soirée, ce n’est pas dans mon lit que j’irais mais bien plus loin… Par exemple, là, sur les bords du Salar de Uyuni, en Bolivie, à l’aube, à admirer le lever de rideau bleu du jour naissant se reflétant dans l’eau du lac et, aux antipodes, l’arrivée solennelle de notre soleil éclairant de ses rais quelques monticules de sel aux allures d’iceberg… Je ne serais assurément pas reposée mais ce serait bien plus beau !

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Un peu plus de trois ans après l’avoir acquise, Benoît avait remarqué que les bords de sa photo s’étaient un peu éclaircis. Cette photographie, c’était un vestige d’une époque révolue, la pêche à la baleine dans les eaux froides de l’océan indien au début du siècle dernier destinée à produire l’huile qui allait servir à éclairer les intérieurs de lointaines maisons, une chaussure restée là, à l’autre bout du monde, pendant des décennies, qui avait vieilli avec le temps, dans cette base de Port-Jeanne-d’Arc, au creux de la passe de Buenos Aires sur l’île de Kerguelen. Cette photographie, il avait fallu aller la chercher. Benoît ne se lassait jamais de la regarder. Lui qui avait grandi dans les livres, elle lui parlait d’aventures…

Dès lors, chaque jour passant, une quantité infinitésimale de l’image disparaissait. C’était si discret et subtil que Benoît avait mis plusieurs mois encore à s’en persuader. Car il l’aimait, aussi, cette image dans laquelle il plongeait son regard plusieurs fois par jour. Mais indubitablement, elle avait changé. En retrouvant une photo d’une fête qu’il avait organisée chez lui il y a quelques années, il avait littéralement redécouvert son oeuvre : bien plus contrastée, et surtout, entière, « complète », sans toutes ces zones blanches qui la rendaient fantomatique aujourd’hui et incroyablement mystérieuse… Benoît avait fini par contacter l’auteur, s’étonnant d’abord calmement de la disparition progressive de son oeuvre. L’obsolescence programmée, il connaissait, mais pas pour les oeuvres d’art… Il avait commencé à hausser le ton quand l’artiste lui avait dit que le seul moyen de préserver sa photographie était d’arrêter de la regarder. « C’est ridicule, pourquoi devrais-je faire cela ? Je ne l’ai pas achetée pour l’oublier ! » lui avait-il lancé. « Achetez-en une autre alors ! » lui avait répondu le photographe amusé. « Il en est hors de question ! Je garde ma photo ! » « Alors, mettez un voile noir devant et ne la regardez plus. Vous verrez. » Benoît ne savait plus s’il était triste ou en colère….

En rentrant chez lui, il avait continué à regarder sa photo, ne pouvant se faire à l’idée qu’elle allait continuer à s’effacer. Mais il avait dû se rendre à l’évidence : elle disparaissait. Et bientôt, il n’en resterait plus rien. La mort dans l’âme, il avait fait comme le photographe lui avait dit, il avait mis un voile devant et ne la regardait plus. Fort heureusement, il l’avait tellement observée qu’il en connaissait les moindres détails, jusqu’au nombre de clous sur les semelles. Il lui suffisait de fermer les yeux pour la revoir, comme au premier jour. Des années après, sentant son heure venir, Benoît s’était installé dans le fauteuil qu’il avait laissé devant la photo quand bien même il ne pouvait plus l’admirer. Il n’avait plus rien à perdre… Il avait alors demandé à ses proches d’aller vers le tableau et, à son signal, de soulever le voile – bien entendu, ils connaissaient l’histoire mais ils n’avaient jamais eu le droit d’aller plus loin, choix qu’ils avaient toujours respecté ; c’était donc un moment extraordinaire pour eux même s’ils savaient aussi qu’il allait bientôt être assombri par le départ de Benoît. Le voile était maintenant levé. Tout le monde s’était alors retourné vers Benoît. Lové dans son fauteuil, il arborait un sourire béat mais avait aussi les yeux fermés… Elle était revenue lui dire au-revoir.

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Certains voyages vous dépaysent complètement parce que tout ce que vous y découvrez, de la nature à la culture, de l’histoire aux légendes, de la musique à la langue, de la cuisine aux coutumes, est absolument nouveau, inédit pour vous et conforme à cette altérité que vous imaginiez a priori et que vous espériez rencontrer. Parfois aussi, certains voyages vous dépaysent complètement parce que tout ce que vous y découvrez est justement aux antipodes de ce que vous pré-voyiez, tout en étant finalement assez proche de ce que vous connaissez déjà sans que cela ne soit une déception pour autant.

Extérieur – Terrasse – Crépuscule – Après un court entracte, le quatuor s’apprête à reprendre son programme mêlant jazz et classique devant les mélomanes du soir. Il n’y a plus de chaises libres quand vous arrivez, un peu en retard, aussi vous posez-vous sur un muret surplombant la scène improvisée, gagnant au passage une vue panoramique sur ce beau village aux maisons de granite accroché à la montagne. Portée par les notes remodelées de « Dream a little dream of me », votre âme s’égare. Vous vous imaginez maintenant être une de ces personnes en contrebas, sur le bord de la route longeant cette courte plage… Oui, exactement, là où il y a ce petit attroupement. Vous portez alors votre regard vers cet horizon, hors champ. La journée s’achève, il va bientôt faire nuit, il y a une légère brume mais vous réussissez malgré tout à discerner un relief montagneux au loin, quelques lumières – une ville sûrement – et même des éoliennes ! Et là, vous réalisez que cette vie qui se déroule à 15 km de là, c’est la Chine. La Chine continentale. C’est même la première fois que vous la voyez d’aussi près. Alors, vous vous retournez, repensez à cette musique que vous venez d’entendre, rejetez un oeil à ce village terriblement méditerranéen et vous vous souvenez alors que vous êtes à Qinbi, sur l’île de Beigan, dans l’archipel de Matsu, à 250 km au nord-ouest de Taiwan… A mille lieues d’où vous pensiez être un instant.

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Not that cool

Cela partait pourtant d’une bonne et généreuse intention, cette balançoire accrochée solidement à ce A géant… sauf qu’à chacun de ses passages, la jeune fille manquait de s’embrocher aux fers de lance du portail métallique. Un jour, lasse de ces dangereux allers-retours qui l’obligeaient à se contenir, elle s’est puissamment élancée pour se jeter dans le vide et passer au-dessus de la piquante haie verte. En atterrissant sur le trottoir de l’autre côté de la grille, elle n’était déjà plus cette figure en deux dimensions jusqu’à présent condamnée à vivre à la surface de ce mur-prison, derrière les barreaux. Au contact de l’air, la jeune fille avait instantanément pris du relief et avait déjà disparu en se fondant rapidement dans la foule, comme n’importe qui. Sur le mur de briques, la balançoire, abandonnée, était désormais vide… Pas pour très longtemps. Dès le lendemain, un peintre viendrait écourter ce moment de solitude en dessinant un petit garçon. Le 7e depuis le début de l’année…

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Le péricamérascope

Vous aurez peut-être un peu de mal à me croire mais figurez-vous que cet homme là, caché derrière des blocs de pierre en quasi tenue de camouflage si ce n’était ce T-Shirt rouge, est le premier, au monde, à utiliser un péricamérascope. Cet appareil ultra-moderne et relativement discret permet de prendre une photographie, à distance, sans être vu et surtout – et c’est là que réside la grande nouveauté par rapport au banal zoom – à un angle de vue compris entre 45° et 90° (le tout se règle avec une petite molette à côté du déclencheur). Ainsi, tel que vous le voyez cadrer, il est en réalité en train de prendre une photographie des quatre-cinq personnes en bord de mer (en effet, il y a une légère incertitude sur le nombre, l’une d’entre elles étant dans le parfait prolongement de l’autre). D’ailleurs, le petit gars en vert a l’air de se douter de quelque chose, ce qui pourrait laisser entendre qu’il y a encore quelques améliorations à apporter à cette belle innovation…

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Danger substanciel

Un nouveau venu du côté des néophotologismes… Comme son nom l’indique, le danger substanciel est un danger venu du ciel – par avion par exemple – sous forme d’une substance – ici, un spray d’ADN – qui menace substantiellement notre intégrité d’être humain et qu’il faut donc fuir en courant avant qu’il ne nous atteigne et ne nous change à jamais. Evidemment, cela suscite un certain nombre d’interrogations à la fois scientifique, technique, philosophique, physiologique, biologique, génétique et tous les autres mots en -ique…

Tout d’abord, comment a-t-on réussi à transformer l’ADN en un liquide pulvérisable ? Quelle couleur ou quelle odeur a un spray d’ADN ou en tout cas, comment le repérer quand on se promène nonchalamment, l’air de rien ? Et à qui cet ADN appartient-il exactement ? Personnellement, si on me pulvérise de l’ADN de génie, genre Einstein par exemple, si tant est que l’on puisse corréler personnalité et ADN, je ne bouge absolument pas : j’absorbe, j’encaisse, je m’offre entièrement à lui ! Le fait que l’on nous exhorte à fuir n’est de fait pas très bon signe… et invite à se poser une autre question : qui envoie cet ADN là ? A quelles fins ? Et qui nous prévient du danger ?

Enfin, une fois touché par cet ADN alien, que devient-on ? Un mutant ? Comment réussit-il à s’intégrer à notre propre génome ? Ce dernier est-il en mesure de résister ? Au bout de combien de temps des modifications apparaissent-elles ? Sont-elles uniquement comportementales ? Ou peuvent-elles être physiques ? Et, surtout, sont-elles irréversibles ? Redevenons-nous nous-même après avoir essuyé les assauts abêtissants d’un spray d’ADN ? Etre ou ne plus être soi-même, telle est la question !

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L'hallucination

Quelque chose d’étrange se produit lorsque je regarde cette photographie pendant plus de 7 secondes. Des formes apparaissent. Humaines. Elles sont trois exactement. L’une d’elles se trouve sur le premier pont, à l’extrême droite, entre le premier poteau chapeauté de blanc et le bord du cadre. C’est un homme, en pardessus sombre. Il est de dos, massif, les mains dans ses poches, profondes, il est statique, impassible, comme s’il attendait que quelque chose se produise. Peut-être de voir si les deux personnes, de simples silhouettes à cette distance même si l’on distingue clairement une femme et un homme, arrivés en courant sur le second ponton, en arrière plan, alors même, se dit-il, que les planches doivent être humides et glissantes, vont vraiment jusqu’à ce petit bateau à moteur amarré au bout du quai. Et si oui, se demande-t-il encore, combien de temps leur faudra-t-il pour se faire absorber par cette brume épaisse et compacte accrochée à la surface de la rivière depuis les premières heures du jour et dans laquelle ils s’enfonceront sans crainte. 7 secondes à peine probablement. Suffisamment de temps pour s’effacer lui aussi.

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Le rêve postmonitoire

Oui, je sais, généralement, nous faisons plutôt des rêves prémonitoires : un phénomène toutefois très inhabituel, souvent dérangeant pour ceux qui les font car rarement positif, encore difficilement compréhensible scientifiquement et suggérant presque que le voyage dans le temps existe… Mais il ne s’agit pas de cela. Aujourd’hui, j’ai bien fait un rêve postmonitoire. Qui plus est, en plein jour. Là, je marchais tranquillement en pleine campagne quand, tout d’un coup, flash ! Je vous vois cogiter…

Si un rêve prémonitoire consiste à rêver de quelque chose qui va réellement se produire dans le futur sans que cela puisse être le fruit d’une quelconque anticipation, un rêve postmonitoire porte, en toute logique, sur un événement du passé – comme la grande majorité des rêves me lancerez-vous, et à raison – dont nous n’avions, jusqu’à lors, absolument aucune connaissance.

Bref, j’ai donc rêvé que la femme avait déjà posé le pied sur Mars il y a 39 ans, seulement une poignée d’années après les premiers pas de l’homme sur la Lune (petits joueurs…), et que cela ne s’était jamais ébruité pour plusieurs raisons, dont la concomitance semble tout bonnement invraisemblable : compte tenu du coût de l’opération et des énormes risques encourus – que d’aucuns auraient jugé inutiles -, tout avait été organisé dans le plus grand secret ; l’entièreté de l’équipe impliquée avait ensuite été victime d’un étrange virus, un microbe de charbon probablement, avant même de pouvoir annoncer au monde, forcément entier, l’exploit intragalactique fraîchement accompli ; enfin, un incendie – combustion spontanée manifestement – avait mystérieusement ravagé leurs locaux ne laissant aucune trace de cette aventure, assurément la plus extraordinaire de l’humanité depuis la nuit des temps ! Il ne me reste plus qu’à le prouver maintenant !

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Erreur de débutant

Lorsque, à l’issue de ma 7e demande, faisant elle-même suite à 3 années pleines de cours d’histoire, de géographie et de langues anciennes, j’ai enfin eu droit à ma première formation pratique au voyage dans le temps, il y a bien longtemps maintenant, nos mentors – choisis sur des critères très stricts : ils avaient notamment tous réussi à voyager jusqu’au XXIIIe millénaire avant notre ère ; ce n’est certes pas le début de la civilisation humaine, mais tout de même, l’atteindre requiert une maîtrise des aléas spatio-temporels plus qu’exceptionnelle – nous répétaient au moins une fois par heure que le plus important, quand nous nous trouvions dans un siècle qui n’était celui de notre naissance, était de réussir à nous fondre dans la masse. A ne pas nous faire remarquer, à devenir invisible aux yeux des autres en quelque sorte, ce qui permettait d’éviter le pire qu’ont malheureusement connu de nombreux voyageurs étourdis à savoir, se faire enfermer, voire éliminer selon les lieux et les temps, pour folie avérée, et donc rater l’unique voyage retour vers le présent.

C’est en partie pour cette raison qu’avant tout déplacement, tout ce que nous emportions avec nous – essentiellement une tenue conforme à celle de l’époque où nous nous rendions et quelques deniers – était doublement vérifié par des experts en littérature et d’autres en histoire du vêtement. Au-delà des fautes de goût contre lesquelles les examinateurs ne pouvaient rien, l’anachronisme était l’erreur qu’il fallait absolument bannir. Car elle trahissait immédiatement celle ou celui qui la véhiculait… Autant dire qu’avec son téléphone portable exhibé en pleine rue, ce touriste du dimanche s’apprêtait à vivre des moments difficiles…

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Les jeux sont ouverts !

Il y a au moins un avantage à poser le pied, idéalement les deux, dans un pays dont on ne maîtrise absolument pas la langue et dont l’écriture ne porte elle-même aucun indice susceptible d’en faciliter la compréhension : tout devient possible. C’est-à-dire que l’on peut choisir d’arpenter ses villes, ses rues, ses commerces, ses collines, ses plages en donnant une signification totalement imaginaire aux messages affichés, quitte à se tromper, mais volontairement, ou à manquer des informations importantes. Voilà donc qu’en plein cœur de cette forêt silencieuse et désertée bordant la paisible ville de Kyoto, est signalée aux randonneurs la présence, 14 arbres plus haut à gauche, d’un distributeur d’Awawawawa Pucho Ball alimenté en permanence par le très riche humus local et géré d’une main de fer par un couple de chouettes de Tengmalm… N’est-ce pas extraordinaire ?

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