Photo-graphies et un peu plus…

Avez-vous déjà fait l’expérience d’écouter du brouhaha ? Il est vrai, que d’une manière générale, le brouhaha, on ne fait que l’entendre. On ne peut d’ailleurs faire que ça… Sans gêne, il s’incruste au restaurant, dans les salles de spectacle, les stades, les manifestations, les classes, les cours de récréation. Une sorte de rumeur à laquelle chacun participe inexorablement par le seul fait d’ouvrir la bouche et d’émettre un son.  Ce qu’il y a de fascinant lorsque l’on écoute le brouhaha – et donc, que l’on se plonge soi-même dans un silence d’or -, c’est que, comme dans un épais brouillard, les phrases, les mots, les syllabes, les lettres perdent totalement leur identité, leur relief. Et dans la foulée, leur sens. Tout se fond en un magma indistinct de sons et de bruits, constituant, bizarrement, une ambiance sonore uniforme. Seul un éclat de rire, un tintement de couverts sur une assiette, deux verres qui s’entrechoquent, un larsen viennent rompre la monotonie bruyante de cette espèce de langage que personne ne serait en mesure de parler seul, bien que le maîtrisant parfaitement en groupe. Car, dans cette langue légèrement surréaliste, chaque phrase est le fruit de mots prononcés par plusieurs personnes et n’a de sens pour aucun d’entre eux.

Mais est-ce vraiment le plus étonnant ? Que vous soyez à Paris, à New York ou à Rome, cette langue semble résonner de la même manière. Quelle que soit la langue parlée, le brouhaha la dépouille de ses intonations, ses accents, sa musique qui en font son unicité. Quelles que soient les différences, celles-ci sont gommées par la superposition. Superposition, c’est ce mot qui m’est venu à l’esprit lorsque je me suis demandé comment transposer cette expérience sonore en photographie. Superposition d’images donc, n’ayant rien à voir les unes avec les autres, comme les conversations télescopées de différentes tables, donnant un ensemble indéterminé, indéfini, incohérent, improbable, irréel dont on peut, malgré tout, reconnaître certains éléments, des taureaux, des lumières, des arbres, des parasols, des lettres, du ciel, de la terre. Et si l’on continuait à multiplier les couches sur cette esquisse, si l’on réitérait l’expérience avec une autre série d’images, le résultat serait probablement tout aussi universel qu’avec les sons. Ces parties encore discernées s’effaceraient pour se transformer, petit à petit, en des traits puis, des points. Et, alors que les sons continueraient à s’imposer, oppressants, l’image, elle, décomposée, disparaîtrait.

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Tout commence par une histoire de cinéma. Ou plutôt de voix de cinéma. Ou plutôt de doublage de voix de cinéma. En somme de langues. Si l’image est essentielle dans tout film, le son l’est tout autant. Je ne parle ni de technique ni de musique, primordiales, mais du verbe, des mots, des dialogues, de la sonorité de la langue… Avoir l’opportunité d’aborder un film dans sa langue d’origine, quelle qu’elle soit, est en effet un luxe qu’offrent nombre de salles parisiennes, que l’on finit par trouver normal, et donc oublier. On s’engouffre avec satisfaction dans une salle où le japonais, le hongrois ou le suédois résonnent en se disant que cela fait partie du voyage, et qu’ainsi, l’intégrité du film est respectée. Parfois, et s’en rendre compte est très étrange, alors que l’on ne comprend pas un traître mot de la langue employée, on se prend à occulter les sous-titres et à se concentrer sur les paroles échangées, comme si, par enchantement, on maîtrisait le japonais, le hongrois ou le suédois… Quelques scènes suffisent en général à nous faire réaliser que ce n’est pas le cas. On se jette alors à nouveau sur les sous-titres, en se demandant parallèlement ce qui a pu nous faire croire un instant que c’était superflu.

Ce qui me rappelle l’histoire extraordinaire de cette jeune Croate qui s’est réveillée de 20h de coma en parlant parfaitement l’allemand, une langue qu’elle commençait tout juste à apprendre, et non plus sa langue maternelle (qu’elle comprenait malgré tout). Une énigme scientifique pour l’heure irrésolue, même si elle renvoie vraisemblablement aux formidables capacités d’enregistrement et d’apprentissage non-conscient de notre cerveau. Mais pas de miracle dans la salle obscure, la lecture des sous-titres demeure inévitable pour la bonne compréhension de certains films !

Et, à mes yeux, c’est donc une chance que d’avoir à faire cet effort, parfois partiel lorsque la langue nous est familière. Un effort que nous épargnent malheureusement les salles montréalaises. Sur les 17 existantes (ce qui est peu au regard de la superficie de la ville), programmant à 95% des films anglophones ou francophones, seule une propose systématiquement la version originale sous-titrée. Les autres diffusent les versions doublées. Une torture en soi à laquelle s’ajoute parfois des aberrations comme une absence de sous-titres là où cela serait véritablement utile. Dernier exemple en date avec Enjeux, traduction de Fair Game, le dernier film de Doug Liman. Quelques scènes non anodines se « déroulent » en Irak. Langue parlée : l’arabe. On s’attend à avoir la traduction des échanges d’une manière ou d’une autre. Rien. La caméra retraverse l’Atlantique en basculant au français comme si de rien était. Comme si les mots n’avaient pas d’importance. Je le perçois comme un manque de respect du spectateur. Enfin, le film s’achève de façon documentaire, avec le témoignage de la vraie Valerie Plame, en anglais. Non sous-titré évidemment. Car, étrangement, dans cette ville où les anglophones ne représentent que 12% de la population, où les 4 millions d’habitants ne sont pas bilingues, où tout est disponible en français et en anglais, la crainte d’un phagocytage linguistique fomenté par les proches Américains semble prise très au sérieux. Ainsi, pour le cinéma, l’entente cordiale est-elle consommée : français ou anglais, il faut choisir son camp !

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Cette nuit-là, il avait neigé. Cela arrive, en hiver. Même à Saint-Malo. Rarement, mais parfois quand même. Une fois dehors, une seule question se pose : la neige est-elle toujours posée sur le sable ? Cristaux d’eau contre cristaux de silice. Blanc contre ocre, sur fond bleu. J’anticipe une jolie rencontre visuelle. En fait, bien plus que cela. La neige a fondu au soleil, matinal. Mais, encore bas, il n’a pas réussi à venir à bout de celle qui s’est nichée dans l’ombre des hautes bâtisses du Sillon. Entre et sur les brises-lames de la cité corsaire, les vrais, les vieux, faits de chêne noueux. Ceux-là même qui tendent à disparaître aujourd’hui. L’image est étonnante. La neige, on la visualise plus facilement au sommet des montagnes. Quelques pieds plus bas, c’est autre chose. Une véritable expérience sensorielle… On ferme les yeux. Les vagues de la mer viennent claquer doucement sur la plage, les mouettes crient juste au dessus, et sous les pas, crisse la neige. Un trio de sonorités qui n’ont, a priori, que peu de chance de se rencontrer naturellement. Et pourtant…

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