Photo-graphies et un peu plus…

Surface plane, à peine brisée par le vent d’ouest. Personne n’a encore osé mettre le pied dans l’eau. Et pour cause : il fait froid ! Très froid même. Il n’y a qu’à regarder comment sont vêtus les spectateurs à gauche du plongeoir pour s’en persuader. Ceux qui observent la scène hors champ, légèrement incrédules, présentent les mêmes caractéristiques vestimentaires. Blouson, gants, bonnet. De fait, je, tous, nous n’avons qu’une pensée : ces deux-là sont fous ou alors se sont lancés un défi du genre on va jusqu’à la bouée ou encore, veulent se faire porter pâle lundi ! A cet instant – photographique, car depuis, de l’eau est passée sous les ponts -, le voltigeur, même s’il ne se fait pas d’illusion quant à la température du liquide dans lequel il se jette, ne peut en effet anticiper l’ampleur du choc thermique qui va l’envahir lorsque son corps va se retrouver entièrement cerné par cette eau glaciale de piscine se remplissant au gré des marées et n’étant réchauffée que par un soleil manifestement absent ce jour-là… Pourtant, je, tous, nous, saisis par l’effroi, sommes parcourus de frissons simplement à le regarder faire !

Share on Facebook

category: Actus
tags: , , , , , , ,

Share on Facebook

Et voilà, elle fait marche arrière… A dire vrai, c’est la suite logique des onze bonnes minutes qui viennent de s’écouler. Certainement, plusieurs éternités pour la demoiselle perchée au sommet de cette « petite » falaise amorçant sa remontée en des terres plus fermes. Il y a onze minutes, c’est à cinq qu’ils ont débarqué au même endroit pour narguer les eaux chaudes mais mouvementées du Pacifique. A coup sûr, le défi du coin : se jeter à l’eau du haut de cette paroi rocheuse d’une huitaine de mètres !

On imagine bien les tractations préliminaires du groupe de copains de vacances : « Allez, chiche, on va tous sauter de la falaise ! » A ce moment-là, le club des cinq y croit, chacun se croit capable de sauter dans le vide et veut faire croire aux autres qu’il peut braver sa peur, peur qu’il se garde d’ailleurs bien de montrer. Alors, ça flambe au sommet, ça gesticule, ça s’approche du bord. Nerveux. Un coup d’œil aux compères et plouf, à l’eau ! Les quatre autres se précipitent pour vérifier que le téméraire est bien remonté à la surface. La demoiselle y croit, elle veut passer en deuxième, s’avance, hésite puis laisse sa place. Derrière, on ne se fait pas prier et on s’envole, pour vite rejoindre le premier. Ils sont maintenant deux à regarder en l’air. Et d’autres personnes commencent à arriver pour le grand sacrifice. La demoiselle y croit toujours, elle veut passer en troisième, s’avance, hésite puis laisse sa place. Derrière, le quatrième larron tente de la rassurer, lui montre les deux survivants à l’eau, qui eux-mêmes lui font de grands signes sensés lui prouver qu’il n’y a aucun danger… Mais bon, quand on a peur, on a peur… Alors, il saute. Reste quelques secondes sous l’eau puis va retrouver les deux autres, pour leur cours de sur-place scrutateur. La demoiselle y croit vraiment, elle veut passer en quatrième, s’avance, s’avance, encore un peu, un peu plus bas, pour gagner quelques centimètres… Elle voit la tête de ses amis hors de l’eau, elle voit l’eau frapper la falaise et se retirer dans des creux dont elle ne maîtrise pas la hauteur…

Mais elle s’imagine surtout plein de choses horribles : qu’elle ne va pas réussir à dépasser le bout de rocher en contrebas et s’écraser dessus, qu’elle va toucher le fond de l’eau et se briser les deux jambes, qu’elle va se faire emporter par une vague et projeter contre la roche… Elle lutte contre ces films qu’elle se fait en se disant que les autres s’en sont très bien sortis. Elle se retourne, découvre que la liste des postulants au saut de l’ange s’allonge. Sent monter la pression et doute encore plus. C’est alors que le cinquième du groupe, ayant épuisé tous ses arguments, prend son élan pour fendre l’air et, une demie-seconde plus tard, la surface de l’eau.

Elle est désormais seule sur le rocher, seule avec ce défi stupide qui fait vaciller ses jambes, tambouriner son cœur et tourner sa tête. Ceux qui attendaient à trois mètres s’approchent d’elle. Ils ont aussi un défi en cours et voir quelqu’un hésiter n’est jamais bon pour l’inconscience. Et sur la plage, nous sommes plusieurs à avoir stoppé notre promenade au ras de l’eau pour l’encourager intérieurement. Mais les onze minutes sont passées. Peut-être moins en fait. Et la demoiselle a enfin pris sa décision, finalement assez courageuse : celle de rebrousser chemin et d’accepter de courir le risque d’être la cible des moqueries de ses quatre camarades pendant un certain temps…

Share on Facebook

J’aime cette photo et en même temps, une partie de moi regrette de l’avoir prise. En la regardant, je revois la grappe de touristes que nous étions, débarquant dans ce village Masaï, la tête pleine (pour ma part) des histoires de Karen Blixen, pour admirer les hommes danser et sauter – très haut, sur eux-mêmes, comme s’ils avaient des ressorts à la place des jambes, ce qui est très impressionnant -, les femmes créer et vendre des bijoux avec de petites perles multicolores, et les enfants jouer, naturellement, imperméables à tout ce cirque. Evidemment, l’argent qu’ils gagnent en se produisant ainsi et en nous laissant déambuler dans leur monde comme dans un musée (pour ne pas écrire zoo), en nous permettant de les voir vivre tout simplement leur est utile voire nécessaire, mais la situation n’en demeure pas moins gênante. Comme une violation de territoire, consentie par défaut. Cela viendrait-il à l’idée d’un tour operator africain de proposer des visites de villages reculés de France pour y observer les petits vieux attendre la fin de la journée sur des bancs, à l’instar du retournement que Jean Rouch a proposé avec son film Petit à Petit ? Reste que lorsque nous voyageons, il est parfois difficile de faire le tri entre ce que nous désirons ardemment découvrir d’un pays et de ses habitants, et ce que nous accepterions en temps « normal »…

Share on Facebook

D’un côté du monde à son autre versant, la jeunesse refuse que l’on lui dicte sa conduite. Elle défie les mêmes lois de l’apesanteur et, inlassablement, ses propres limites. Comme un rite de passage. Même scène, diurne cette fois-ci, que sur la digue malouine, même saut de l’ange, même public médusé, les adultes, stoppés dans leur élan baladeur et dodelinant de la tête à la vision de cet être perché, les camarades, prêts à lui tendre une serviette quand il remontera frigorifié.

Mais l’incroyable se produit. Après avoir bien balayé du regard l’assemblée des témoins, vérifié que les appareils sont armés et pensé mille fois qu’il s’apprête à remporter ce fichu pari qu’a osé lui lancer son binôme en cinématique (super, un pack de bières !), le garçon s’élance. Trois pas à peine. Pas la place de faire plus. Sauf qu’il s’arrête en plein vol. Indépendamment de sa volonté bien sûr ! La tête pas encore retournée, les genoux à peine recourbés, le corps prêt à se mettre en boule, les bras en chemin pour l’y aider. Autant dire, une position peu confortable à tenir. Il ne touche pas l’eau. Je reste là 18 minutes au bas mot, à attendre que quelque chose se passe, qu’il tombe enfin et éclabousse tout le monde au contact de cette surface tentante, il est vrai. Mais rien. Il reste figé. A 2 mètres de hauteur. Seules ses lèvres bougent et crient à l’aide.

Ses camarades, dont la première réaction est d’éclater de rire, réalisent ensuite la singularité de la situation dans laquelle se trouve leur ami. Ils sont surtout bien incapables de le récupérer puisque, mine de rien, avec son élan de trois pas, il a réussi à s’envoler assez loin. C’est alors que les pêcheurs chinois en bout de quai, dérangés dans leur paisible activité par le tintamarre juvénile, s’approchent. On les entend chuchoter quelques secondes, puis ils retournent tous à leur poste pour en revenir rapidement avec leur canne à pêche et leur filet… La suite se devine aisément : ils ouvrent les paris et, tour à tour, lancent leur canne vers le petit, qui, si j’ai bien compris, commence à avoir des fourmis dans les jambes, enfin, façon de parler… Le fait qu’il ne fasse pas face aux pêcheurs est une difficulté supplémentaire pour eux. D’habitude, c’est le poisson qui vient à eux, à l’appât. Là, c’est à eux d’aller au poisson ! L’appât ? Un de ces petits biscuits secs avec des pensées profondes recroquevillées à l’intérieur que l’on nous sert parfois avec l’addition dans les restaurants asiatiques. Après une douzaine de tentatives, l’un d’eux réussit à envoyer le « biscuit de fortune » directement dans la bouche du garçon et à le hisser sur le quai. Il lui faut plusieurs minutes avant de pouvoir bouger et se détendre. Et quand, enfin, il recouvre toute sa souplesse, il croque dans le petit biscuit et découvre le mot que lui adresse le destin : « Petit scarabée, il t’arrive parfois d’être un véritable crétin ! ».

Share on Facebook

A peine perceptible, dans cet entre-deux où les couleurs ont disparu, le spectre d’une jeunesse inconsciente, mais courageuse, se jetant dans le vide juste avant que la vague ne vienne se casser dans un fracas assourdissant sur la digue abrupte et menaçante. Et ainsi être certaine, à peu de choses près, d’avoir un minimum de fond sous les pieds lorsque ceux-ci, puis tout ce qui suit, viendront heurter l’eau. Le cœur tambourinant, silencieuse par la peur qui, malgré tout, est là, elle mesure à peine le risque qu’elle court en courant de la sorte… Derrière, dans l’ombre, hors champ, la jeunesse accompagnatrice vocifère, encourage, crie à la poule mouillée, quand, tétanisés, ceux qui l’ont déjà quittée depuis quelques années se demandent ce qui peut bien lui passer par la tête, tout en étant bien incapable de ne pas la regarder faire ces sauts de lange…

Share on Facebook