Photo-graphies et un peu plus…

Ce que j’aime, entre autres, dans la photographie, c’est sa manière de nous apporter un nouvel éclairage sur le monde réel, en nous offrant la possibilité de voir, a posteriori, ce qui nous a échappé au moment présent, et ce, quelle que soit la concentration dans laquelle on s’était plongé pour capturer cet instant. En somme, une variation sur le voyage dans le temps, différent de celui, plus classique, qui consiste à raviver les souvenirs en revoyant les images de scènes passées. Evidemment, en revoyant cette image, je me souviens de ce qui a précédé mon entrée dans cette cour de musée et ce qui a suivi ; je me souviens avoir été agréablement surprise de découvrir cette façade vitrée occupant tout un pan de la cour. Et je me souviens de mon intention à ce moment-là : jongler, à la faveur des reflets, avec les époques, les architectures, la réalité, l’illusion. J’étais tellement préoccupée par le reflet et le trio posé à droite que je n’ai absolument pas vu ce qui se tramait en bas. Et pourtant, c’est bien le sol de cette cour qui, après coup, a attisé ma curiosité. Et plus particulièrement, sa double couleur, avec cette démarcation centrale, tranchante, presque artificielle. Sur le moment, j’ai même cru avoir manipulé l’image sans m’en être rendu compte, et il m’a fallu lever les yeux au ciel – sur la photo – pour me convaincre que je n’y étais pour rien : les vitres étaient teintes différemment et le sol était bien tapissé de pavés de deux couleurs. Je ne l’avais pas vu alors même que j’avais vraisemblablement un pied sur chaque couleur… C’est étonnant à quel point le fait de se fixer un objectif précis peut nous couper de ce qui gravite autour…

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Je n’ai pas osé m’approcher du cartel, comme l’a fait ce trio intergénérationnel mère-fille-mèregrand, de peur de tomber des nues. Je suis donc restée à distance de ce carré creusé dans la surface et laissant apparaître celle, raturée, de bois brut, de la structure de cette institution new-yorkaise dédiée à l’art moderne. J’aurais eu peur de devoir lire, non pas que le tableau habituellement présent à cet endroit était prêté à un musée quelconque à l’autre bout du monde ou en cours de réparation suite à une trop grande preuve d’amour d’un visiteur, mais que l’absence d’œuvre d’art sur le mur d’un musée aussi prestigieux que le MoMa était elle-même une œuvre d’art… Le vide, un contre-pied au trop plein du monde moderne qui nous assaille de toutes parts. Non, cette fois-ci, j’ai jugé préférable, pour préserver mon amour de l’art, de rester dans l’ignorance.

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Et bien, ne faites pas cette tête ! Quoique, pendant 2 microsecondes, je me suis profondément interrogée sur le statut de ce vieux monsieur inanimé, ton sur ton, affalé dans un de ces fauteuils en cuir sombre qui parsèment les six étages du MoMa où défilent, dans un ballet incessant, touristes en quête des Demoiselles d’Avignon et locaux aspirant à un peu plus de retenue… Courte ou longue sieste ? Personne en panique autour de lui, il doit encore respirer. D’ailleurs, un livre, probablement trop lourd pour être porté à bout de bras, est posé sur ses genoux hiboux joujoux poux. Ceci dit, il y a pire que mourir sous le coup de la beauté d’une œuvre en compulsant un livre d’art !

Question de point de vue évidemment et d’interprétation, l’idéal étant quand même de finir le livre, de le refermer, et de se relever, même difficilement, pour s’extraire de cet antre où de vraies natures mortes sont placardées sur les murs blancs. Vous savez, les fruits directement sur la table ou savamment agencés dans des coupes, les lapins morts, les bouquets de fleurs colorées, les pichets de vin, parfois un crâne ou deux pour mieux justifier le style… Mais, lorsque l’on se penche sur le cartel pour découvrir l’auteur de la pièce en question, à côté du nom, ce n’est pas « nature morte » qui est inscrit mais « still-life ». Une traduction, pourtant tri-centenaire, qui transpire ce point de vue culturel sur le trépas et, qui, à la mort, mot tabou, trop sec, trop brutal, trop vrai outre atlantique, préfère l’espoir de la vie, encore là même si silencieuse, immobile… Comme ce vieux monsieur, là, avachi mais toujours en vie… Enfin, il faudrait peut-être aller vérifier quand même.

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Parfois, une même caractéristique peut être à la fois une qualité et un défaut, un même objet source de progrès ou de régression, une même personne générer de l’amour ou de la haine, sans que cela soit paradoxal ou incompatible. C’est alors notre humeur du moment qui nous pousse à voir soit son côté positif soit son côté négatif. Ainsi en est-il de la photo numérique. Certes, le fait de pouvoir faire des centaines voire des milliers de photos avant de remplir une carte mémoire, de pouvoir stocker toutes ces images sur un support virtuel, en somme, de pouvoir devenir un photographe compulsif et totalement irréfléchi pour pas cher peut, à moyen terme, soulever un certain nombre de problèmes – mais que faire de toutes ces images ?, est-ce que j’en imprime finalement ou pas ?, et si oui, lesquelles ?, et si non, mais à quoi cela sert-il alors ?, je n’ai plus de place sur mon ordinateur, je ne retrouve plus cette photo d’arc en ciel que je suis sûre d’avoir rangée là, à moins que ce ne soit là, quel fichier déjà ?

Ces mêmes raisons peuvent, au contraire, être source de liberté. Je n’aurai, par exemple, probablement jamais tenté de faire cette photo nettement hasardeuse avec un appareil photo argentique. Tout simplement car pour en avoir une qui satisfasse, il faut pouvoir en faire 20 sans craindre de percer son panier car les pellicules se font rares, que le développement a son prix, et que de toute manière, il n’y en aura aucune de bonne. Cette générosité du numérique désinhibe presque totalement. Et l’immédiateté qu’il offre – décriée un jour en ces pages, c’est certain : fais voir ! fais voir ! – n’est alors pas une marque d’impatience, mais une sorte de guide, d’aide en direct pour atteindre, par dichotomie, l’image imaginée. Comme si le numérique avait permis de déployer notre créativité… Cela, c’est évidemment très positif !

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Contrairement aux apparences, souvent trompeuses, ces images n’ont pas été volées au Musée des métiers d’antan, si jamais il existe, mais bien au présent. Pourtant, il y a à parier que rien n’a changé en ces lieux – en haut et en bas – depuis plusieurs décades. Comme si le temps s’y était posé. Du tableau accroché au mur faisant office de catalogue des coupes de cheveux officielles au vieux transistor posé sur l’étagère en coin, en passant par ces magnifiques fauteuils en fer forgé et cuir bombé et cette vieille photo du salon bien encadrée, tout respire le passé. Mais pas un passé poussiéreux, un passé heureux. Empli d’anecdotes d’un quartier autrefois ouvrier au nom tout droit sorti d’un livre d’anticipation, le Mile End. On imagine sans peine que, Tommy, celui qui taille aujourd’hui les barbes et coupe les cheveux, est l’apprenti qui, il y a 53 ans, mettait pour la première fois, les pieds dans ce Barber shop typique qui perdure en Amérique du Nord.

Signe distinctif ? Ce poteau strié aux bandes bleu-blanc-rouge qui tournoie, comme une illusion d’optique. La tradition remonterait au Moyen Age, à l’époque où la chirurgie, la coiffure, la dentisterie, c’était un peu du pareil au même… Il suffisait de savoir manier quelques objets tranchants ! Ainsi, en 1666 par exemple, lorsque vous poussiez la porte d’une de ces échoppes, le barbier chirurgien en chef pouvait vous faire une coupe bien proprette, vous raser de près, mais aussi vous faire une petite saignée et vous arracher cette dent de sagesse qui vous fait affreusement mal. Tout cela car la chirurgie a été condamnée par l’Eglise, à cause du sang répandu, et que les médecins, de mèche, ont, de fait, arrêté, de la pratiquer.

Comme souvent, les hypothèses se multiplient pour expliquer l’origine de certaines traditions. L’enseigne tricolore du barbier n’échappe pas à la règle : l’une de ces hypothèses stipule que les barbiers chirurgiens s’occupaient aussi de couper le cordon ombilical des nouveaux nés et que le poteau de barbier n’est autre que la représentation (très extrapolée) du cordon. Donc, rouge pour l’artère, bleue pour la veine et blanc pour la couleur du cordon, le tout inextricablement emmêlé… Une autre ? Le poteau bleu symboliserait le bâton à serrer par les visiteurs pour que leurs veines ressortent, le blanc, les bandages propres et le rouge, le sang évidemment. Quoiqu’il en soit, messieurs, aujourd’hui, vous pouvez aller chez Tommy sans crainte, la chirurgie a gagné ses lettres de noblesse – séparation  réussie de l’Eglise et de la science -, et les barbiers chirurgiens sont retournés à leurs premières amours : le poil !

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Le téléphone sonne. Il est à peine 12h01. Grandement l’heure d’aller se remplir la panse pour mieux penser. On se retrouve en bas ? Il est 14h33. Il est quelle heure déjà ? 14h33 ! Ah, zut, j’ai pas vu le temps passer, il faut aller se chercher un truc à manger ! Tu me prends un coca ? Il est 13h26. Aujourd’hui, je déjeune correctement. J’en ai marre de manger devant mon écran ! A table. T’as fait quoi ce week-end ? On est lundi. J’ai bossé sur le dossier machin chouette. Je suis allé marcher dans les bois. C’est vraiment bon ici, on devrait venir plus souvent. Ciné, expo, amis, comme d’habitude. Oh, pas grand chose. Tu me fais goûter ? Je me suis remis de la veille. Il a fait un sale temps. Lessive, ménage, rangement, les trucs du dimanche quoi. Je n’ai r-i-e-n fait et bon sang, ça fait du bien pour une fois. T’as vu le match ? Bon, pour la réunion de demain matin, t’as pu avancer ? On peut en parler maintenant si tu veux. Non, moi, je ne vais jamais au cinéma. Ah. Et ? Ni au musée. Mais tu ne pourrais pas parler de choses que l’on connaît ? Alors, ce match ? Au prix où ils sont payés, ils pourraient au moins taper dans la balle ! Même mon fils ferait mieux qu’eux ! Hum, hum… Bon, il faut qu’on  s’organise une réunion pour parler de la prochaine réunion. Tu cales ça ? Dis, t’as entendu ce qui s’est encore passé avec bidule truc ? Non, raconte ! Chut, elle arrive… Cela tombe quel jour le 1er mai cette année ? Un dimanche ? On se fait toujours avoir. T’as l’air étrange ces derniers jours… Quelque chose ne va pas ? Ah, ah, ah ! C’était drôle quand même… A certaines heures de la journée, la vraie solitude, même si elle peut sembler légèrement pathétique vu de l’extérieur, est, parfois, la meilleure des compagnes.

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Dans la file d’attente pour l’exposition photographique de Martin Parr, la tentation était trop grande. Le regardeur regardant le regardeur regardant et les regardés regardant le regardeur… La galerie commence dès les jardins, rendant l’attente moins longue (et distrayante donc) tout en ayant un effet aimant sur les promeneurs du dimanche passant par là.

Aimant mais un peu trompeur aussi. Ce qu’il y avait à l’intérieur n’ayant « rien » à voir avec ce qui brillait à l’extérieur… C’est d’ailleurs une (récente ?) petite manie d’exposant de faire du teasing avec ce qui est susceptible d’attirer le quidam au tiroir caisse. Passé ce cap, la moitié du chemin est déjà franchie.  Dernier exemple en date : l’exposition sur la peinture italienne au Musée des Beaux Arts de Caen avec, en premier sur l’affiche, le nom, rassembleur, de Botticelli. En fait, de Botticelli, il n’y avait qu’un seul et unique tableau, et encore, pas des plus représentatifs de son portfolio… Alors, art-naque ou pas ?

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… les musées sont pris d’assaut. Inutile de raser les murs dans l’espoir d’être maigrement protégé par les balcons et autres avancées, inutile d’essayer de passer entre les gouttes en marchant sous les arbres car il pleut aussi sous ces derniers. A l’accueil où tout était calme depuis quelques heures, tout d’un coup, c’est l’affluence. Gérer les entrées, les parapluies mouillés. Rapidement, l’esseulé est dépassé. A l’intérieur, les peintures sont sèches mais l’humidité ambiante augmente du fait de la présence des visiteurs dégoulinant. Les capteurs s’affolent. Mais pas uniquement à cause de la moiteur… A cause des enfants aussi !

Imaginez un peu… Vous êtes tranquillement en train d’admirer les détails d’une estampe de Félix Buhot (qui, en écho avec la situation présente, représente d’ailleurs la ville par temps de pluie) quand votre attention est soudainement interrompue par une succession de petits cris stridents. Une souris peut-être ? C’est tout comme ! Une petite fille allongée sur les dalles de carrelage au beau milieu de la pièce et en train de faire l’étoile. C’est très joli. Son père, un peu gêné, vient la relever rapidement et lui expliquer que l’on ne peut pas faire ça ici etc. Elle restera debout pour la suite de la visite, en courant… Trois options pour les parents : lui faire un sermon toutes les cinq minutes ou faire comme si ça n’était pas leur fille. Ce qui peut marcher ! Il y a aussi, essayer de l’intéresser à ce qui se trame sur ces feuilles de dessin. Ce qui les amène à rester plus de temps que de raison devant une estampe de Berthe Morisot représentant une petite fille, sage comme une image…

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