Photo-graphies et un peu plus…

Il semblerait que regarder chez « les gens » soit une spécificité française. Je précise : ce n’est pas regarder les gens, et donc faire preuve de voyeurisme, qui importe mais plutôt voir comment ils ont décoré leur bien ! Avec goût ou pas. Tout cela étant bien évidemment très subjectif ! Cette curiosité vis-à-vis de l’aménagement intérieur serait donc culturelle. Et une activité exclusivement nocturne, les habitations devant être rétro-éclairées pour être visitables, comme dans La métamorphose, la mienne, loin d’être kafkaïenne.

Ceci dit, cette manie ne s’applique pas uniquement aux antres des particuliers, mais à toute fenêtre donnant sur un monde nouveau et se donnant à voir. Ainsi en est-il de cette fenêtre de bureau moderne au faux plafond banal blanc tacheté de gris, aux néons aveuglants et grésillants et où l’on imagine sans peine des dizaines de personnes retranchées derrière des petites cases-bureaux ne se distinguant que par le numéro qui est plaqué dessus. Face à cet a priori négatif, voir ces ballons de baudruche colorés accrochés à la vitre grâce à du bolduc et à la porte d’une armoire métallique,  preuve d’une fête passée voire en cours, donne instantanément une note d’humanité au lieu. On entend alors les éclats de rire, les chœurs de « Joyeux Anniversaire », la musique d’ambiance mise par l’un des membres de l’équipe sur son PC en fête, les échanges de potins sur le gars du 6e qui s’est enfermé avec… Bref… Tout d’un coup, en un clin d’œil, tout cela prend vie… Et on se dit que cette manie, d’où qu’elle vienne, n’est pas forcément un défaut !

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Faut-il avoir peur du futur ? Mes élucubrations quantiques étant toujours dans les couches supérieures de ma mémoire, j’aurais tendance à répondre « non ». Imaginez, même si je m’apprête à caricaturer, un temps où, lorsque nous nous rendrons dans une agence de voyages (si, si, elles existeront toujours) pour réserver notre prochaine évasion réelle (une tradition qui perdurera encore longtemps même si les voyages mentaux auront pris le relais), on nous demandera bien sûr la destination, mais aussi l’époque… 5467 ? 1736 ? ou peut-être -12 583 ? Paradoxe, penseront les plus avertis, les retours dans le passé ne pouvant être antérieurs à la date de création de la machine à remonter le temps (sinon, nous aurions déjà croisé des voyageurs du futur…) ! Bref, se projeter dans cet univers-là, de science-fiction disons-le, a quelque chose d’excitant et de stimulant intellectuellement. Peut-être parce que nous ne le vivrons pas. Qu’il est virtuel.

Faut-il avoir peur du présent alors ? Le verdict n’est pas aussi direct à l’heure où l’homme découvre les affres de la virtualité (l’autre, celle des échanges d’informations de toute nature), s’engouffre dans ses abysses les yeux fermés, au risque d’y perdre un peu de sa consistance. Et ce n’est, évidemment, qu’un début. En restant du côté du divertissement, l’an passé, plus de 10 millions de personnes ont été fascinées par les avatars tridimensionnels de James Cameron, nous donnant, par la même occasion, un aperçu de ce que sera notre prochain environnement visuel (et publicitaire certainement, encore que Steven Spielberg l’avait déjà fait entrevoir avec son Minority Report visionnaire, lui-même adapté de nouvelles de Philipp K. Dick publiées en 1956) : des images devant  littéralement se jeter dans nos bras pour se faire remarquer et exister à nos yeux ! Poursuivons l’effacement… Dans la foulée du succès planétaire de ces grands hommes bleus (par opposition aux petits hommes verts, malgré la portée écologique du film), sur une île aux côtes déchiquetées, dans une ville mêlant tradition et modernité, au cœur d’une salle de fans illuminés, un nouveau pas était franchi : tout d’un coup, l’écran devenait obsolète.

Hatsune Miku, 16 ans, 1m58, 42 kilos, tempo de 70 à 150, tessiture entre A3 et E5, déhanchement cadencé, longs cheveux bleus, gestuelle étudiée, look de manga, flotte quelques centimètres au dessus de la scène et chante des mots repris en chœur par son public. Pas d’illusion d’optique, car « c’est juste un hologramme » pourraient lâcher des fans d’un autre âge. Son nom signifie « premier son du futur » ; sa voix a été développée, sans fausse note, par Yamaha ; son image – calibrée, il va sans dire – par Crypton Future Media, émanation de la fameuse planète. Une sorte de synthespian nouvelle génération. Elaborée pour être l’objet marketing parfait, irrésistible. C’est effrayant de se savoir à ce point manipulable. De voir cet engouement tout ce qu’il y a de plus réel pour un phénomène (de foire ?) totalement virtuel, si ce n’est les musiciens, les seuls à transpirer sur scène. La machine est si bien huilée (et pervertie) que les fans se font paroliers (faisant notamment répéter à la star qu’elle les aime !, comme quoi, on n’est jamais aussi bien servi que par soi-même) et vont ensuite payer pour acheter un album ou voir un concert dont, ils sont, d’une certaine manière contributeur… Si du virtuel peut émaner des sentiments et émotions réels, n’est-ce pas une négation de l’humain, de l’homme que de s’amouracher d’une entité dont le cœur ne peut s’arrêter puisqu’il n’existe pas ? Est-il là le futur de l’humanité, esseulé dans un coin, derrière une vitre teintée, en haut d’une forteresse de métal, prêt à être englouti par la lumière blanche ? Tel un bon vieux souvenir.

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Je sais, on ne joue pas avec la nourriture. Et pourtant, il suffit parfois d’une tête de fruits comme celle-ci pour qu’une assiette de prime abord repoussée soit vidée avec joyeuseté… « Allez, on mange quoi maintenant, l’œil ou le nez ? » « La bouche ! », en chœur ! Bref. Ainsi, le « repas gastronomique français » a-t-il été inscrit au patrimoine immatériel de l’humanité. Mon ignorance et moi-même ne connaissions pas l’existence de cette notion de « patrimoine immatériel », par opposition au patrimoine matériel donc. Sa valorisation et sa sauvegarde sont le fruit d’une convention signée il y a 7 ans par plus d’une centaine de pays. Cette initiative, qui a sa liste d’urgences, doit permettre de « mettre en valeur quelque chose en situation de fragilité extrême » face à la mondialisation et à la circulation de l’information notamment. Des traditions, des arts du spectacle, des pratiques sociales comme le chant croate Ojkanje, la technique des cloisons étanches des jonques japonaises, les tours humaines espagnoles ou encore l’art traditionnel du tissage du tapis azerbaïdjanais, sans oublier la moxibustion de la médecine traditionnelle chinoise. Et donc, depuis peu, le repas gastronomique français. Une première pour une gastronomie ! Mais, est-ce vraiment une bonne nouvelle dans la mesure où cela signifie que ce fameux repas gastronomique français, « pratique sociale coutumière destinée à célébrer les moments les plus importants de la vie des individus et des groupes » et poussant « à l’amitié entre les peuples », est en voie de disparition ? Potentiellement phagocyté par cette mondialisation gloutonne qui impose ses goûts, ses couleurs, ses odeurs et ses sons.

Transition, servie sur un plateau, avec une autre information culino-conservato-sensorielle de premier ordre, qui, reliée à cette distinction humanitaire, pourrait faire l’effet de l’explosion de petites gousses de mandarine fraîches sur nos papilles sensibles. Il semblerait – mais est-ce vraiment étonnant ? – que le fond sonore ait une influence sur la perception des aliments que nous sommes en train d’ingérer. En particulier, les sons puissants « rendraient » plus doux voire fades des plats épicés, tandis que le silence, ou du moins, les sons agréables (ce qui est totalement subjectif), intensifieraient le croquant des ingrédients et mettraient en exergue les saveurs sucrées et salées.

D’ici quelques années, lorsque ces conclusions auront été validées et approfondies, quand nous – ou plutôt nos enfants, au sens large, pour lesquels ce patrimoine a été créé, oui, vous savez, ces jeunes « qui ne prennent pas le temps d’apprendre », trop occupés qu’ils sont à flâner sur des supports immatériels – nous rendrons au (super)marché, nous pourrons scanner notre caddie et une voix de synthèse nous indiquera la BOR (pour Bande originale de repas) idéale en fonction des ingrédients présentés et du style d’ambiance que nous voudrons insuffler à notre repas (que nos invités partent vite ou qu’ils se sentent chez eux). Nous n’aurons plus qu’à la confirmer à la caisse, en payant le reste. Elle sera alors immédiatement transférée sur la boîte de dépôt public de notre ordinateur personnel auquel le magasin aura accès grâce à la puce de pandore intégrée à notre poignet droit à la naissance. Pour un peu que nous prévoyions de la cuisine française et que nous invitions nos amis toutes origines confondues, nous aurons ainsi la garantie d’un dîner réellement parfait !

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Près d’un échangeur d’autoroute chargée, près d’une voie ferrée sans doute désaffectée, près d’une zone industrielle désertée, près de pylônes tagués, sur un espace abandonné depuis si longtemps que l’herbe a poussé entre les fractures du bitume, rappelant à chaque brin que, malgré les apparences, la vie poursuit son chemin, une preuve d’humanité. De présence. Et surtout de créativité. Un banal caddie transformé en un confortable fauteuil design et pensé avec goût. Coussins bien fixés aux froides tiges de métal en guise d’accoudoir, utilisation ingénieuse de la partie métallique découpée à l’avant pour faire le dossier, dos incliné et rembourré pour optimiser la position assise, petite case derrière pour déposer d’éventuels livres ou revues, association harmonieuse de couleurs… Ensemble tourné vers la route, où défilent, en contrebas et en hauteur, les vivants dans leurs cages métalliques. Mais de là, on ne voit rien. On ne peut qu’entendre les pétarades des moteurs.

S’il n’était abandonné là par son créateur, possiblement un sans-abri, ce fauteuil pourrait être l’œuvre phare présentée par une galerie avant-gardiste ultra-tendance. Tout le monde s’affairerait autour et l’interpréterait comme une critique acérée de la société de consommation, sur laquelle on s’assoit ! Mais bien, hein ! Parfois, il suffit de peu pour voir les choses sous un angle totalement différent. D’ailleurs, pour moi, ce fauteuil posé là, au milieu d’un monde qui s’effrite tout en résistant, cette image, c’est l’attente.

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Ocean Beach, San Francisco. Venant du cœur de la ville par Fulton Street, c’est déjà le bout du monde. La route se termine et de l’autre côté, on se retrouve seul face à l’infini de l’océan. Une langue de sable interminable désertée en semaine, probablement bondée le week-end, fait la transition. Ocean Beach… Avant même d’y poser le pied, je suis renvoyée vers la fiction. Un film. Dark City. Et cette plage dont tout le monde est capable de dire où elle se trouve, mais qu’il est impossible d’atteindre – le train ne s’arrêtant pas à la station. Un mirage, résidu de la mémoire de l’humanité en cours de manipulation. Shell Beach. C’est son nom. Ocean Beach a cet air de Shell Beach quand on sort du bus 38. A la différence près qu’on y arrive…

Et finalement, une fois les pieds bien ancrés dans les grains de silice, l’illusion s’efface, aussitôt remplacée par une autre impression à la vue de ce couple contemplatif. Celle d’être au Japon. Voyage tout aussi fictionnel que le premier, qui l’était par nature, puisque pays demeurant pour l’heure inconnu. Cela ne tient pas à grand chose. L’origine hypothétique du duo et puis, surtout, l’ombrelle. Cette ombrelle me rappelle quelque chose. Je creuse. En direct. Une image me revient. Une vieille femme, japonaise, s’accrochant à son parapluie, que la force du vent et de la pluie a pourtant retourné. C’est une affiche de film. J’en ai conservé une reproduction pendant des années, fascinée par ce face à face entre l’homme (la femme en l’occurrence) et la nature… Rhapsodie en août d’Akira Kurosawa. Même pas vu. C’est bien cette image que réveille la vision de cette ombrelle, même si les conditions climatiques sont ici plus clémentes. Et finalement, après Dark City, la fiction aura conditionné ma découverte du lieu du début à la fin… Etrange comme toutes ces images, réelles ou imaginées, se mêlent pour ne former plus qu’un magma sans cesse alimenté de représentations du monde.

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Grande nouvelle : le premier cœur artificiel totalement implantable pourrait être disponible dès 2013, c’est-à-dire demain dans l’espace-temps de la médecine ! Un espoir, sûrement, pour les 17 millions de personnes qui meurent chaque année d’insuffisance cardiaque. Et l’aboutissement d’une carrière dédiée à notre pompe interne pour Alain Carpentier, qui, pour ce projet, s’est allié à l’avionneur EADS. Le cœur, moteur de la vie. Jusque là, tout est logique ! Cet artefact en matériaux bio-synthétiques a été conçu sur le modèle de l’original de chair et de sang. Pour fonctionner, et donc pour que son porteur vive, il doit être connecté à un système de raccordement électrique par batterie externe… Cette dernière a une autonomie de 4 à 5 heures ! Comme si on vivait par tranches de 4 à 5 heures, sans pouvoir faire de pause pour autant… D’ici 2 ans donc, l’expression « recharger ses batteries » prendra un tout autre sens !

C’est là que l’exploit – réel – se meut légèrement en ironie… Cette batterie est rechargeable sur le réseau électrique, mais aussi sur l’allume-cigare de la voiture… Or, le tabagisme est un facteur de risque important d’infarctus, d’accident vasculaire cérébral et d’athérosclérose, autrement dit, de maladies cardiovasculaires… celles-là même qui justifient en partie la nécessité de développer cette alternative cardiaque ! Autant dire que le cœur n’est pas rancunier ! Mais ce n’est que passager… A terme, le cœur artificiel fonctionnera grâce à une pile à combustible, multipliant par 2, 3 l’autonomie. Les DVD d’Iron Man seront alors livrés avec le mode d’emploi… Trêve de plaisanterie : il ne reste plus que 2 ans pour faire comprendre que le cœur n’est pas le siège des sentiments, comme c’est communément admis en occident ! Ensuite, nous pourrons réfléchir à une nouvelle définition de l’humanité : un être humain devant sa survie seconde après seconde à une machine est-il toujours un être humain comme nous l’entendons aujourd’hui ?

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