Photo-graphies et un peu plus…

Vous l’avez probablement remarqué et même personnellement expérimenté, nous avons tous une sorte de radar interne se mettant instinctivement en branle et allumant nos warning – merci à notre cerveau reptilien d’être encore actif ! – dès lors qu’une personne pénètre un périmètre que nous estimons intime sans l’être pour autant, un intime. Bien sûr, il peut y avoir des circonstances atténuantes et une tolérance en fonction de la situation dans laquelle nous nous trouvons.

Par exemple, dans le métro à l’heure de pointe ou dans une galerie commerciale un samedi après-midi où nous sommes cernés par des inconnus à l’allure parfois patibulaire, alors que nous devrions typiquement être dans la configuration d’une distance publique voire sociale (soit entre 1,20 m et plus de 7 m entre les uns et les autres), la frontière de l’intime (sous les 45 cm) est souvent franchie sans pour autant que nous nous repassions notre dernier cours de self defense en accéléré. Car si notre cerveau commence par nous avertir « Arouuuu, attention, plusieurs individus non identifiés vont entrer dans votre périmètre de sécurité (oui, mon cerveau me vouvoie, question de respect !) : contact inévitable« , il sait aussi s’adapter « Surtout, ne paniquez pas ! Et poursuivez votre chemin en faisant comme les autres ! » C’est-à-dire donner des coups d’épaule pour se faufiler dans certains pays, ou, surtout ne pas toucher l’autre dans d’autres sous peine de réanimer le dinosaure qui sommeille en lui…

Mais il arrive aussi que vous vous retrouviez avec des gens – des personnes que vous connaissez bien, avec lesquelles vous vous sentez bien, en qui vous avez confiance – ne gérant pas les distances – personnelles a priori, donc, entre 45 cm et 1m20 – de la même façon que vous. Ce qui peut donner lieu à une jolie valse dont vous êtes le/la seul/e à être conscient/e pour la simple et bonne raison que c’est vous qui menez la danse. Et si vous menez la danse, c’est tout bonnement parce que vous trouvez qu’ils sont trop proches de vous voire au seuil de votre distance intime. Gêné/e par cette proximité – qui n’est pas de la promiscuité pour autant -, vous vous sentez obligé/e de reculer d’un pas, ce qui vous replace à une distance que vous jugez désormais raisonnable. Vous pouvez alors poursuivre la conversation sans être perturbé/e par ces centimètres qui vous séparent les uns des autres. Mais voilà qu’en réaction à votre repli, les autres se rapprochent à nouveau, jusqu’à retrouver la configuration initiale. Warning en alerte, vous faites un nouveau pas en arrière en vous déportant un peu sur le côté, en espérant que cette fois-ci, cela leur montera au cerveau. Et bien non ! Car tout cela se fait de façon totalement inconsciente. Pour vous en assurer, vous rééditez même l’expérience – c’est ça, la démarche scientifique – qui se conclut effectivement de la même manière que les deux fois précédentes. Après 5 minutes de ce petit va-et-vient qui vous amuse et vous agace à la fois, vous avez bougé de 5 mètres vers le sud-ouest. Vous êtes bien le/a seul/e à l’avoir remarqué mais vous êtes aussi le/a seul/e à ne plus savoir du tout ce qui s’est dit pendant ce laps de temps, trop occupé/e que vous étiez à chercher à maîtriser l’espace…

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A l’école et plus tard, on nous apprend qu’un mètre égale un mètre, qu’on le regarde de face, de travers, dans un sens ou dans un autre, que l’on soit de ce côté de la planète ou de l’autre côté, même si les unités peuvent différer. Un mètre = un mètre. Une équation simple, une conclusion facile à retenir. Et pourtant, dans certaines circonstances, on pourrait croire, un peu comme avec le temps, que le mètre est à géométrie variable. Un trajet constitue l’une de ces circonstances, une marche ou une randonnée par exemple. Mais pas n’importe laquelle : les boucles sont hors jeu. Ce qu’il faut, c’est un aller et un retour. Le même donc.

Et bien, 8 fois sur 10, statistique totalement hasardeuse, le retour semble plus court que l’aller, et cela indépendamment du terrain (montée à l’aller, descente au retour ou inversement) ! Même si cela contredit l’enseignement primaire, cela paraît, somme toute, plutôt logique. Car l’aller, c’est l’inconnu. Même si l’on sait de combien de kilomètres il se compose, on n’en voit pas le bout. Ne connaissant pas le terrain, notre corps est en mode « repérage ». C’est comme si l’on agissait – en l’occurrence, marchait – tout en apprenant, en mémorisant le parcours, intégrant ses passages difficiles et ses moments de pause. Ainsi, une fois arrivé à l’attendu end of trail, et prêt à repartir dans l’autre sens, cet « apprentissage » n’étant plus à faire, il ne nous reste plus qu’à marcher et à admirer, tout simplement, l’autre côté du paysage (il faut se garder des surprises quand on fait une boucle). Certes, pas dans nos pas exactement, mais avec cette sensation parfois rassurante d’être déjà passé par là, d’aller plus vite donc d’avoir moins marché. Ce qui est donc un leurre !

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Je peux l’avouer aujourd’hui, j’étais dans l’avion rebelle du Couloir aérien, celui qui s’était offert une petite virée spatiale, comme ça, sur un coup de tête, un matin comme il en existe où l’on se sent pousser des ailes, où l’on se dit que tout est possible. Juste avant d’amorcer son ascension, l’avion, qui avait pris les commandes de lui-même (une option négligée du pilotage automatique), a diffusé un message dans la cabine, expliquant tout ce qui allait se passer. Pirate de l’air, certes, mais soucieux du confort de ses passagers, et c’est tout à son honneur. Incrédulité dans les rangs jusqu’à ce qu’il ne commence sérieusement à s’incliner, alors transformée en panique totale. Mais, une panique étrangement silencieuse. A couper le souffle, pour ainsi dire.

De toute manière, il n’y avait rien à faire : l’avion en position verticale, impossible de se lever de son siège pour remonter le courant. Il n’y a que dans Titanic que les héros sont capables de défier la gravitation à ce point ! De la fiction ! Là, on est de l’autre côté. Dans la réalité. Evidemment, les masques à oxygène sont tombés et nous les avons mis dare dare sur nos visages, prenant de grandes inspirations comme si elles allaient nous réveiller d’un mauvais rêve. A bien y réfléchir, ce calme surréaliste était peut-être dû à la musique qu’avait mise l’avion, vraisemblablement très cinéphile. L’ouverture de Ainsi parlait Zarathoustra de Richard Strauss puis, dans la foulée, Le beau Danube bleu de Johann Strauss II, homonymie fortuite car sans lien de parenté. En quelques minutes, porté par la valse autrichienne, tout le monde était dans un état second. Comme perché. Contemplatif. A l’extérieur, palier de décompression après palier de décompression, le bleu ciel devenait nuit. Les petites télés, branchées sur ce que l’on voyait du cockpit, faisaient défiler des images d’un infini, sombre, et en même temps, parsemé de petites billes de lumière et de sphères gazeuses, que l’on devinait à travers les hublots. L’inconnu fantasmé, le rêve incarné. Une parenthèse étoilée sur laquelle est venue, pendant une micro-seconde, flotter l’image de la cité que nous venions de quitter, tel un au-revoir sublimé.

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